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L’affaire Wizzgo prend un tournant politique, par Axel Payet
Parution : mercredi 18 février 2009
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Le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu le 25 novembre dernier le jugement par lequel la société Wizzgo se trouvait condamnée à payer des dommages intérêts record aux chaines de télévision TF1, NT1, M6 et W9.

On apprend aujourd’hui que la société Wizzgo a adressé le 21 janvier un plaidoyer en faveur d’une évolution de l’exception de copie privée à l’ère du numérique au Président de la République.

La question de la protection du droit d’auteur sur internet est un sujet d’actualité brulant à l’heure où l’Elysée s’est donné pour mission de faire adopter le plus vite possible le projet de loi « Création et Internet » qui est justement censé réguler la protection des œuvres contre les dérives constatées sur l’internet.

Selon la société Wizzgo, l’exception de copie privée doit pouvoir s’appliquer à l’internet. Ainsi ses services d’enregistrement numérique de programmes de télévision pour le compte de tiers devraient être légitimes de la même manière qu’un magnétoscope classique. En effet, les possesseurs de magnétoscopes classiques (analogiques ou numériques) ne sauraient être poursuivis en contrefaçon par les chaines de télévision en raison des enregistrements qu’ils réalisent de par l’exception de copie privée prévue à l’article L 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle. Ce principe devrait être le même pour un enregistrement réalisé par internet.

Néanmoins, l’évolution souhaitée ne doit pas aller dans le sens d’une légitimation de services tels que ceux proposés par Wizzgo.

En effet, bien que se présentant comme tel, Wizzgo n’était pas un magnétoscope, dès lors que les services proposés ne respectaient pas deux des éléments fondamentaux sur lesquels reposent l’exception de copie privée :

1. La personne qui procède à la fixation de l’œuvre par copie doit être identique à celle qui bénéficie de la copie (tout au plus cette copie peut être diffusée au sein du cercle familial du copiste),
2. L’utilisation de la copie ne doit pas faire l’objet d’un commerce, aucun bénéfice commercial ne doit en résulter.

Légitimer un service tel que celui proposé par Wizzgo reviendrait alors à autoriser toute personne à procéder à des enregistrements pour le compte de tiers et à tirer un bénéfice commercial de cette activité au détriment des bénéficiaires du droit d’auteur. Ces derniers se trouveraient ainsi privés de la possibilité de tirer un revenu de leur création.

Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme la société Wizzgo, l’exception de copie privée trouve parfaitement à s’appliquer dans l’ère numérique. A titre d’exemple, il existe de nombreux dispositifs permettant d’accéder au flux télévisé directement sur un ordinateur et nombre de programmes gratuits disponibles sur internet servent à l’enregistrement de ce flux sous forme de fichiers informatiques. Libre ensuite au copiste de transférer les programmes enregistrés sur un lecteur multimédia pour son usage personnel. Aucun bénéfice au détriment des auteurs ne résulte de cette opération.

Wizzgo tente ensuite d’agiter un épouvantail dont on a déjà entendu parler maintes fois s’agissant de la protection du droit d’auteur sur internet : le risque que la suspension forcée (pour ne pas dire la suppression annoncée) de l’activité de Wizzgo telle qu’elle existait pousse les internautes vers des sources illégales. Ce risque n’est pas avéré. En effet, si les internautes se tournent vers des sources illégales c’est parce qu’elles permettent d’accéder gratuitement à des œuvres qui en temps normal sont payantes. Or, bien qu’elles soient encore rares, les sources légales et surtout gratuites permettant de visionner des programmes télévisés postérieurement à leur diffusion (les services de catch-up TV) existent et sont en plein développement.

En dernier lieu, l’argument selon lequel Wizzgo viendrait renforcer l’offre légale est discutable. Les services de cette société ne constituaient ni plus ni moins qu’une possibilité supplémentaire de contourner les droits d’auteur en tirant profit de la création des autres. Certes, le concept de Wizzgo est innovant et a séduit des centaines de milliers d’internautes ce qui ne suffit pas à le rendre licite.

En définitive, les arguments de Wizzgo ne justifient pas qu’une évolution de l’exception de copie soit incluse dans le projet de loi « Création et Internet », cette exception étant déjà pleinement applicable que ce soit dans la sphère matérielle ou dans la sphère immatérielle.

En revanche, il est certain que l’avènement de l’internet Haut Débit en France auraient dû marquer le point de départ d’une réflexion de fond importante de la part des différents ayants droit (que ce soit dans le domaine de la musique, de la télévision ou du cinéma…) afin de proposer des offres légales d’accès aux créations adaptées aux possibilités qu’offre aujourd’hui l’internet, cohérentes en terme de prix, de sorte à ramener les internautes sur le chemin du téléchargement légal.

Axel PAYET - www.voxpi.info

Pour en savoir plus : Lien vers le blog de Wizzgo où vous pourrez visionner une partie de l’émission “Plein Ecran du 12 décembre 2008″ de la chaine LCI.