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L’entreprise et l’Union Européenne : comment allier initiative privée et politiques publiques de grande ampleur, par Christelle Mazza, Avocat
Parution : mercredi 18 mars 2009
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L’Union européenne n’est pas un territoire économique réservé aux grandes entreprises cotées en situation de quasi monopole, aux administrations ou aux ministères. L’Union européenne est le chantier de tous les possibles que les entreprises françaises, quelle que soit leur taille, n’exploitent pas, par méconnaissance des mécanismes internes de fonctionnement.

En cette période de crise, il est grand temps de découvrir les champs économiques nouveaux ou existants et de lancer des projets innovants (l’un des objectifs affichés de l’Union européenne) qui permettront aux entrepreneurs audacieux de se démarquer rapidement de la concurrence.

Pour ce faire, une petite initiation aux financements européens s’impose. Car ce qui contribue à l’ignorance de ces mécanismes par une bonne partie du tissu économique français réside notamment dans la complexité du système.

A noter que depuis quelques semaines, l’Union européenne édite en ligne son activité quotidienne assurant le suivi des réformes, démarches et projets en continu EU calendar

1) Les programmes-cadres communautaires

L’Union européenne délimite la mise en oeuvre des politiques publiques entrant dans son champ de compétences par des programmes d’actions pluriannuels.

Ainsi, les institutions européennes (Parlement et Conseil) édictent des décisions adoptant des programmes d’actions communautaires portant sur l’ensemble des thématiques déléguées à l’Union européenne, de la santé à l’agriculture en passant par l’énergie, l’emploi, l’environnement, les transports, la protection des consommateurs ou les nouvelles technologies.

Autant de matières intéressant la vie des entreprises dans leur quotidien, de leur création à leur développement en passant par leurs relations avec le monde économique qui les entoure (à l’échelle nationale avec les autres acteurs économiques publics ou privés, à l’échelle européenne avec leurs homologues, à l’échelle mondiale également lorsque leur implantation le justifie).

A titre d’exemple, le Parlement et le Conseil ont adopté dans une décision n°1350/2007/CE en date du 23 octobre 2007 le deuxième programme d’action communautaire dans le domaine de la santé, prescrivant la mise en oeuvre de différentes politiques publiques en vue de protéger et promouvoir la sécurité sanitaire et la diffusion d’informations et de connaissance en matière de santé entre 2008 et 2013.

Deuxième programme d’action communautaire dans le domaine de la santé (2008-2013)

Ce programme est doté d’une enveloppe financière de 321 500 000 euros pour la période citée.

Autre exemple, les décisions n°1982/2006/CE et n°969/2006/CE du 18 décembre 2006 adoptant le septième programme cadre de recherche et développement en matière technologique, de démonstration et en matière nucléaire pour la période 2007-2013.

Septième Programme-Cadre (2007-2013) : Bâtir l’Europe de la connaissance

Ce programme-cadre parmi l’un des plus importants organisé et abouti en termes juridiques au sein de l’Union européenne, se subdivise en différents programmes en vue notamment de promouvoir la recherche et l’innovation en Europe, l’amélioration du statut des chercheurs et le développement de la compétitivité.

Au titre de la mise en oeuvre des actions prescrites dans le cadre de ce programme, la Commission européenne propose un budget de 50.521 millions d’euros pour la période.

Ces programmes-cadres prévoient ainsi un certain nombre de politiques publiques à mettre en oeuvre directement par les acteurs économiques européens (ministères, universités, associations, entreprises, établissements publics...) en les finançant pour partie.

2) L’appel à propositions

Les programmes-cadres contiennent une liste de prescriptions et d’actions à mettre en place selon des stratégies diverses regroupées sous le même thème.

Les actions issues du programe-cadre sont isolées et un budget de cofinancement va leur être affecté. C’est la Commission européenne qui est en charge pour partie de l’application et de la gestion de ces budgets.

La Commission va alors édicter une sorte d’ordre de mission avec budget afférent et le proposer à certaines catégories de personnes juridiques et d’acteurs économiques par une publication officielle. C’est ce que l’on appelle l’appel à propositions. L’appel à propositions est l’équivalent d’un appel d’offre de marchés publics et fait grief, en ce sens qu’il lie juridiquement les candidats qui vont postuler.

Pour reprendre l’exemple précité en matière de santé publique, la Commission européenne a édicté une décision en date du 27 février 2008 concernant la mise en place du programme communautaire dans le domaine de la santé pour 2008, le budget affecté et les critères de subvention.
L’article 3 de cette décision énonce les domaines prioritaires sur lesquels ces actions devaient porter pour 2008 parmi lesquels figurent la sécurité sanitaire, le principe de précaution, la recherche médicale de prévention de maladies à risque, la lutte contre l’obésité, l’équilibre alimentaire...

L’appel à propositions est la publication d’une offre de subvention pour la mise en oeuvre d’une politique publique communautaire d’intérêt général, tout en combinant la force de travail et le savoir-faire des partenaires publics ou privés sur tout le territoire européen.

L’appel à propositions vise à construire des réseaux, un tissu économique nouveau, afin de dégager de nouvelles opportunités indépendantes du coup de pouce initial, tout en restant fidèle à la subvention publique poursuivant un dessein d’intérêt général.

C’est toute l’originalité du financement de projet communautaire d’allier l’initative privée à la puissance publique.

La postulation est enfermée dans un délai pendant lequel un coordinateur de projet (project leader) va réunir des partenaires dans l’ensemble de l’Union européenne, qu’ils soient de nature privée ou publique, afin de postuler et de remporter éventuellement le co-financement de l’action projetée.

3) les grands principes du cofinancement communautaire

Le réglement de principe CE 1605/2002 du Conseil en date du 25 juin 2002 portant réglement financier applicable au budget des Communautés européennes stipule en son seizième considérant les modalités d’exécution possibles du budget européen :
• soit de manière centralisée par la Commission européenne,
• soit de manière partagée avec les Etats membres ou décentralisée avec les pays tiers bénéficiaires d’aides extérieures,
• soit enfin de manière conjointe avec des organisations internationales.
Le principe des subventions est défini à l’article 108 dudit réglement comme ’’des contributions financières directes à la charge du budget accordées à titre de libéralité en vue de financer :

• soit une action destinée à promouvoir la réalisation d’un objectif qui s’inscrit dans le cadre d’une politique de l’Union européenne,

• soit le fonctionnement d’un organisme poursuivant un but d’intérêt général européen ou un objectif qui s’inscrit dans le cadre d’une politique de l’Union européenne.’’

Ainsi, si l’Union européenne offre ces financements considérés au sens des textes comme une libéralité, lesdites subventions sont soumises aux principes de transparence et d’égalité de traitement. Elles ne peuvent être cumulées ou octroyées rétroactivement et elles doivent s’inscrire dans le cadre d’un cofinancement. (...) Les subventions ne peuvent avoir pour objet ou pour effet de donner lieu à profit pour le bénéficiaire.

L’Union européenne finance des actions certes, mais sans qu’il n’y ait possibilité de dégager des bénéfices sur les actions financées et bien évidemment sans que le financement ne soit dédié à la mise en place d’un projet d’initiative privée dans un but de stricte rentabilité.

Les chiffres dédiés à chaque programme peuvent donner le vertige. Ces sources de financement sont très connues des collectivités locales, universités ou autres établissement publics mais très peu du monde des entreprises. Elles représentent cependant un attrait évident et une façon, pour les grandes structures comme pour les PME, de développer l’opportunité de se démarquer sur l’échiquier national et international du monde économique de plus en plus concurrentiel.

4) Les financements européens et le monde de l’entreprise

Si les entreprises françaises méconnaissent cette manne financière, c’est essentiellement pour les raisons suivantes :

• les établissements publics sont rodés aux mécanismes de demandes de financements publics, le montage de projet étant extrêmement complexe et nécessitant une solide expérience des institutions européennes et publiques en général, ce dont ne disposent souvent pas les grandes entreprises, encore moins les PME pour des raisons structurelles,

• le libellé des actions à mettre en oeuvre relève davantage du domaine des politiques publiques et peut rebuter les considérations de rentabilité économique d’une structure privée qui souvent ne se sentira pas concernée,

• le montage de projet nécessite en N-1 une mobilisation en ressources humaires essentielle et continue, sans pouvoir dégager aucun bénéfice ni rentabilité directe et sans même être assuré de pouvoir obtenir le cofinancement de l’action projetée.

Autant d’obstacles qui paraissent insurmontables à l’entreprise qui préfèrera réserver sa trésorerie à l’innovation, la prospection et non à la chose européenne" .

Il est vrai que la sphère communautaire reste une nébuleuse juridique complexe pour le néophyte. N’importe quel porteur de projet se souvient encore avec émotion de sa première candidature, de la complexité à délimiter le champ d’action, à calculer et encadrer un budget...

La candidature à appel à propositions s’apparente au financement de projet que l’on peut rencontrer dans les grands secteurs type énergie, centrales nucléaires, autoroutes, lignes de chemin de fer, réseaux de fibre optique...tout ce qui concerne les chantiers étatiques délégués aux entreprises de construction et de conception privés sur appel d’offre.

La technicité de ce type de projet ne doit cependant pas effrayer les entreprises privées qui trouveront dans la réponse aux appels à propositions une occasion unique de développer leur activité. Bien que la recherche de profit ne soit pas la raison essentielle de cette participation et bien qu’en aucun cas elle ne doive représenter une ambition ouvertement affichée d’en tirer un profit économique, le montage de projet européen est une culture à laquelle les entreprises françaises ont tout intérêt d’adhérer.

5) Pourquoi les entreprises privées devraient-elles participer activement aux actions communautaires ?

• Une arme de communication

La participation à un projet européen en tant que partenaire actif (associated partner) permet à l’entreprise de bénéficier, dans le cadre de son action, des mentions obligatoires de référencement à l’Union européenne, gage de qualité et de reconnaissance au plus haut niveau institutionnel. Ainsi, l’entreprise sera référencée dans son domaine d’intervention au niveau européen ce qui constitue un outil marketing et communication de grande qualité et connu par tous.

Le partenariat constitué ad hoc pour la réalisation du projet financé crée souvent une plate-forme interactive présente sur le net ainsi que des outils de communication type papier en-tête et supports marketing divers, affichant le logo imaginé spécialement pour l’occasion. Sur tous ces supports, servant notamment à faire connaître l’action financée, doit impérativement figurer le logo de l’Union européenne, de l’agence exécutive (délégation de la Commission européenne en charge du suivi de la mise en oeuvre du projet) ainsi que la mention this publication/conference, website (...)arises from the project X which has received funding from the European Union, in the framework of the Y Programme (cette publication/conférence/site (...) est issue du projet X financé par l’Union européenne dans le cadre du programme Y)

L’entreprise participant à l’action peut ainsi faire connaître son nom à échelle européenne, ainsi que son domaine d’expertise, valorisé par le projet mis en oeuvre et la marque institutionnelle. Et ce d’autant plus si l’entreprise est coordinateur du projet, agissant comme porte-parole auprès des institutions et autres partenaires du consortium ainsi constitué.

• Le développement d’un réseau public/privé européen

Les actions financées ne s’envisagent que dans le cadre d’un partenariat transeuropéen. L’ensemble des échanges et de la mise en oeuvre du projet se fera en anglais, langue commune aux différents partenaires et langue habituellement utilisée pour la rédaction des contrats. L’entreprise qui fera le choix de monter le projet pourra mettre en avant son savoir-faire et réunir ses homologues européens ou des institutions dont l’activité est complémentaire, afin de constituer un réseau à forte plus-value, susceptible de positionner l’entreprise sur tout le marché européen. Ce sera le cas notamment de sociétés souhaitant développer leur département recherche dans un domaine bien spécifique. Il s’agira de proposer de développer un pôle innovant avec des universitaires ou ministères étrangers ou bien encore avec des sociétés aux activités complémentaires souhaitant s’associer à la recherche visée. La participation à ce type d’action permet de créer un effet de levier avec le label institutionnel garantissant qualité et sérieux du projet. Par ailleurs, le milieu économique européen reste relativement peu étendu et permet aux différents acteurs de se faire connaître des institutions mais aussi des acteurs publics locaux ou européens. Ce type de financement permet de connaître le fonctionnement de la fourmilière européenne mais aussi d’y participer activement tout en se faisant connaître et/ou reconnaître.

• La création d’un activité de lobbying

La participation à un projet européen va permettre à l’entreprise de se faire connaître des institutions européennes. Réciproquement, l’entreprise participant au projet va pouvoir se préoccuper de façon plus concrète des enjeux de l’Union européenne au regard de son activité initiale. La législation communautaire occupe l’économie du quotidien et certaines opportunités peuvent se dessiner. C’est en tous cas l’objectif de l’Union européenne ; faire en sorte que les entités économiques soient actrices de leur devenir dans un environnement en continuelle mouvance. L’entreprise, qu’elle soit de taille moyenne ou importante, va pouvoir développer un savoir-faire propre dépassant les contraintes nationales, s’ouvrant d’autres horizons en termes de prospection, d’évolution et d’anticipation, se démarquant de ses concurrents directs oeuvrant encore trop souvent à échelle simplement nationale. Il est temps que la France développe une activité de lobbying importante quand d’autres pays, notamment les pays anglo-saxons ou proches des institutions comme la Belgique ou le Luxembourg ont déjà plusieurs longueurs d’avance. L’entreprise doit apprendre à négocier son terrain économique auprès des institutionnels qui ne soient pas seulement les collectivités locales mais aussi les décisionnaires au niveau européen. Ces démarches passent avant tout par la participation à des projets financés par l’Union européenne et la constitution d’un réseau dans son domaine d’activité.

Nous verrons prochainement comment se négocie et s’organise sur le plan économique et juridique un consortium, partenariat spécialement créé pour la mise en oeuvre d’une action. Certains points propres au droit communautaire et au droit international privé nécessitent également un développement : la clause d’arbitrage dans les contrats mixtes internationaux ou les recours du coordinateur de projet en cas de défaillance de ses partenaires.
Notre rubrique fera ensuite le point sur chaque direction générale et les législations importantes en vigueur, susceptibles d’intéresser les entreprises et leur participation active.

Pour de plus amples informations sur ces sujets, il convient de se référer au portail institutionnel européen et à chaque direction générale en fonction du ou des secteurs concernés : Europa

Christelle Mazza - Avocat au Barreau de Paris

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