Village de la Justice www.village-justice.com

Le droit des marques cultive son particularisme vitivinicole ! Par Philippe Rodhain, CPI
Parution : mardi 31 mars 2009
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/droit-marques-cultive,5245.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Toute dénomination vinicole présente la particularité d’avoir une fonction de localisation, en se référant à la propriété dont est issu le vin qu’elle désigne. Ce particularisme rejaillit nécessairement dans la résolution des conflits de marques vinicoles.

Partant du principe que le risque de confusion doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents au cas d’espèce, des critères spécifiques à la contrefaçon en matière de marques vinicoles se dessinent au fil des décisions judiciaires.

Tout d’abord, le public référant, vis-à-vis duquel s’apprécie le risque de confusion en matière de marques vinicoles, n’est pas, comme on pourrait s’y attendre, le public en général, mais plutôt le consommateur averti, « habitué à distinguer, s’agissant des vins d’appellation, des produits pour lesquels les marques combinent les mêmes termes désignant des noms de famille, la qualité des propriétaires ou producteurs, et des noms de propriété ou de parcelles » ( Cass.com, 6 mars 2007, Château La Mondotte c. Château Mondotte-Bellisle).

Ainsi, bien que la contrefaçon s’apprécie classiquement d’après les ressemblances et non d’après les différences, ce consommateur averti attachera donc une importance certaine aux éléments différenciateurs existants entre les marques vinicoles en conflit.

Signes à usage collectif, les appellations d’origine contrôlée (AOC) se voient parfois revêtues d’une fonction d’individualisation pour « départager » des marques vinicoles semblables (Montpellier, 16 décembre 1992 – Château de la Rivière (AOC Fronsac) c. Château de Rivière (AOC Minervois), alors qu’est consacré le principe de l’incompatibilité absolue entre la marque et l’AOC (Cass. Com. 01 déc. 1987 - Affaire Romanée-Conti).

La notoriété de certaines AOC peut être également invitée dans le processus de différenciation de deux marques vinicoles (Bordeaux, 21 novembre 2005 – Petrus (AOC Pomerol) c. Château Petrus Gaïa (AOC Bordeaux supérieur).

Pragmatiques, ces solutions jurisprudentielles peuvent, néanmoins, paraître dangereuses, parce qu’elles confèrent à l’AOC un rôle qu’elle n’a pas, servir de signe distinctif privatif.

Par ailleurs, dépourvues de toute attitude à distinguer l’origine commerciale de produits vinicoles, les mentions traditionnelles, telles que Château, Clos, etc. servent pourtant, de temps à autre, à différencier des marques vinicoles rivales (Cass.com., 18 avril 2000 - Château Saint-Georges c. Clos Saint-Georges ; Bordeaux, 19 février 2007, La Demoiselle c. Château Les Demoiselles).

C’est dans le droit fil de cet édifice jurisprudentiel que la Cour de cassation réaffirme son attachement au particularisme du droit des marques vinicoles, en disposant que « […] l’origine géographique éloignée et la différence de qualité des deux vins désignés par ces marques, l’un étant issu de la Vallée du Rhône et d’appellation Côte Rotie et l’autre étant un Bordeaux Rosé ou Haut-Médoc, suppriment le risque de confusion pour un consommateur moyen, lequel, dans le choix d’un grand cru, est attentif à sa provenance […] ».

Or, la Haute juridiction ne disait-elle pas pour droit que « l’appréciation de la reproduction ou de l’imitation doit ressortir de l’examen des signes en présence, ce qui n’implique la comparaison ni des marchandises ni de leurs qualités » (Com. 26 juin 1973 : D. 1974. 558) ?

Les solutions jurisprudentielles en matière de conflits de marques vinicoles s’inscrivent donc, quelque peu, en marge de la jurisprudence traditionnelle du droit commun des marques commerciales, ne serait-ce que sur le terrain des critères permettant de retenir l’absence de risque de confusion.

En effet, les marques vinicoles se situent au confluent du droit rural, du droit de la consommation et du droit de la propriété industrielle et cultivent ainsi leur particularisme.

Cour de cassation, ch. Com., 8 avril 2008, E. Guigal SA c. Directeur général de l’INPI – LA MOULINE c. Château LA MOULINE DE LABEGORCE.

Philippe Rodhain CPI

Conseil en propriété industrielle

Chargé d’enseignement - Master II Droit de la Vigne et du Vin - Bordeaux IV - Master II Intelligence Economique - Bordeaux IV

http://www.ipsphere.fr