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Dissimilarité entre l’eau minérale et la bière ou échec d’une tentative de déspécialisation, par Philippe Rodhain, CPI
Parution : vendredi 17 avril 2009
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La protection accordée à une marque s’étend aux produits ou services similaires à ceux visés dans l’enregistrement, s’il en résulte un risque de confusion pour le consommateur d’attention moyenne.

Pour apprécier la similarité, « il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre les produits et services. Ces facteurs incluent en particulier leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire » (CJCE, 29 septembre 1998, affaire C-39/97,Canon Kabushiki Kaisha c. Metro-Goldwyn-Mayer Inc).

C’est en application de ces principes jurisprudentiels que la Cour d’appel de Paris a récemment été appelée à se prononcer sur le degré de similarité existant entre de l’eau minérale et de la bière.

Pour les plaideurs, cette similarité se reconnait au fait que les produits, en raison de leur nature (boissons), de leur fonction (désaltérer et étancher la soif), de leur clientèle commune, pouvaient être rattachés par le public à la même origine commerciale. Cette similarité est, selon ces partisans, d’autant plus patente qu’il existe aujourd’hui sur le marché de nombreuses bières sans alcool, ainsi qu’un nombre croissant d’eaux minérales fruitées et aromatisées qui se positionnent clairement sur le segment des « soft drinks », comme les bières sans alcool.

Ainsi, les pratiques commerciales actuelles tendraient à rapprocher la destination, ainsi que les modalités de commercialisation et de consommation des eaux minérales et des bières, à tel point que les consommateurs puissent leur affecter une origine commerciale commune.

Il est vrai que, dans certaines occurrences, la jurisprudence admet la similarité entre des produits ou services, bien qu’objectivement différents, en se fondant sur le critère de la diversification des activités des entreprises (CA Paris, 31 oct. 1991 : Ann prop. Ind. 1992, p.213 - conserves alimentaires c. pâtes alimentaires ; CA Paris, 6 sept. 2000, n°700 III 514 - parfums c. vêtements ; Cass.com 7 juin 2006 - montres de luxe c. cosmétiques et parfums ; Cass.com, 6 mai 2008, PIBD N°877 III 396 - vêtements c. fournitures scolaires).

Cette appréciation libérale de la similitude se justifie lorsqu’il est probable que le consommateur d’attention moyenne soit porté à croire que les produits ou services proviennent d’une même entreprise cherchant à diversifier son activité.

Le recours à cette méthode doit être exceptionnel, sous peine de vider de toute substance la règle de la spécialité, en reconnaissant comme similaires des produits ou services alors qu’aucun critère objectif ne les unit.

C’est d’ailleurs ce motif qui semble avoir amenée la Cour d’appel de Paris à infirmer, dans l’affaire rapportée, le jugement déféré au motif que « la possibilité d’exercer plusieurs activités distinctes n’est pas en soi de nature à conférer aux produits diffusés un caractère de similarité, et que celui-ci n’est pas en l’espèce rapporté ».

En raison de la tendance à la diversification des activités de certaines entreprises, ce critère est aujourd’hui pris en compte par les tribunaux, sous réserve de justifier de la politique commerciale invoquée, afin que soit préservée la règle de spécialité, garante du droit positif des marques.

Cour d’appel de Paris, 4ème ch., sect. B, 16 mai 2008, Nestlé Waters et Nestlé Waters Direct France c. Castelain Expansion SARL

Philippe Rodhain CPI

Conseil en propriété industrielle - Associé Fondateur

Chargé d’enseignement Bordeaux Master II Droit de la Vigne et du Vin
et Master II Intelligence Economique

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