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Gérer sa trésorerie en temps de crise : la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales. Par Christelle Mazza, Avocat
Parution : lundi 20 avril 2009
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Les conditions de règlement d’une prestation de service ou d’une vente, quelle que soit la profession concernée (y compris les professions libérales) doivent impérativement faire l’objet d’une transparence quant aux modalités de paiement (fixation des prix, délais, escomptes) et aux pénalités de retard.

Un client bien averti dans un cadre contractuel transparent et clair permet au commerçant, (distributeur, fournisseur...) ou à tout prestataire de services en général de parfaitement anticiper la gestion de sa trésorerie.

En ces temps de crise ou les retards de paiement s’enchaînent, créant un risque de liquidation en cascade notamment auprès des petites entreprises, il n’est pas inutile de rappeler les règles applicables. L’actualité communautaire appelle d’autant plus cette précision que la Commission européenne vient de publier une proposition de directive visant à modifier la directive 2000/35/CE du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales.

Ce projet de réforme intervient après la communication de la Commission européenne le 25 juin 2008 d’un Small Business Act pour l’Europe, visant à promouvoir les PME, leur développement et leur financement sur le territoire de l’Union européenne.

A noter que ce projet vise à réglementer fermement les relations commerciales entre entreprises privées et établissements publics (ou comment recouvrer rapidement le montant de ses factures auprès d’établissements publics).

1) Le droit français : dernières modifications de la loi du 4 août 2008

Le code de commerce français réglemente en son livre IV la liberté des prix et de la concurrence et énonce à l’article introductif L410-1 : Les règles définies au présent livre s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public.

C’est au chapitre 1er du titre IV dudit livre que se trouvent les dispositions relatives aux modalités de paiement des transactions commerciales, sous l’énoncé de la transparence, réglementant notamment les conditions de vente.

L’objectif du législateur, en conformité avec le droit communautaire, est de faciliter la connaissance et reconnaissance des discriminations et d’établir des règles de marché parfaitement loyales et transparentes afin de ne pas rompre l’égalité de traitement entre les demandeurs, les distributeurs et les fournisseurs. Ces dispositions sont d’autant plus importantes que tout manquement est pénalement sanctionné.

L’article L441-3 du code de commerce prescrit que tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle doivent faire l’objet d’une facturation.

Compte tenu de la sanction applicable à défaut de respect de ces prescriptions (une amende de 75.000€ pouvant être portée à 50% de la somme facturée ou de celle qui aurait dû être facturée), il n’est pas inutile de rappeler les mentions devant obligatoirement figurer sur une facture :

- le nom des parties et leur adresse,

- la date de vente ou de prestation de services

- la quantité et la dénomination précise

- le prix unitaire HT

- toute réduction de prix acquise à la date de la vente ou de la prestation de services

- la date à laquelle le réglement doit intervenir

- les conditions d’escompte applicables

- le taux des pénalités exigibles le jour suivant la date de règlement inscrite sur la facture.

L’article L441-6 du code de commerce réglemente le socle de la négociation commercialeà savoir :

- les conditions de vente,

- le barème des prix unitaires,

- les réductions de prix,

- les conditions de réglement.

L’histoire de cet article permet de comprendre l’évolution de la perception de l’économie et du marché par la réglementation de la transparence entre les acteurs économiques.

En effet, si la négociation contractuelle de délais de paiement entre professionnels permet au débiteur de mieux appréhender sa trésorerie, ou au créancier d’offrir des conditions de vente concurrentielles, la mauvaise négociation de ces conditions, d’un côté comme de l’autre, peut s’avérer catastrophique en termes de stratégie de gestion.

Il est donc essentiel de bien connaître les marges de manoeuvre offertes par la loi qui sont autant de protections et garanties contre les négociations abusives.

L’article L441-6 du code de commerce est issu de l’article 33 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, abrogé par ordonnance du 18 septembre 2000 pour codification après modifications.

A l’époque, la réglementation de la transparence n’imposait comme formalisme pour les conditions de rémunération qu’un contrat écrit en double exemplaire détenu par chacune des parties avec obligation de mentionner les modalités de calcul et les conditions dans lesquelles des pénalités seraient éventuellement appliquées, sans indication de délai, laissant libre champ à l’imagination contractuelle des parties et surtout aux négociations.

La loi du 15 mai 2001 a instauré un délai par défaut de réglement des sommes dues (et donc sauf dispositions contraires des parties) à 30 jours suivant la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée.

La loi du 5 janvier 2006 est venue toiletter et compléter l’article L441-6 du code de commerce en rajoutant des dispositions spécifiques applicables au transport routier de marchandises, location de véhicules, commission de transport et activités de transitaire (...) fixant comme cadre de négociation contractuelle maximum le délai de 30 jours à compter de la date d’émission de la facture. Ainsi pour ce type d’activité, la liberté contractuelle s’est retrouvée sérieusement encadrée.

Enfin la récente loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a modifié les dispositions de l’article L441-6 du code de commerce en encadrant davantage le champ des négociations en matière de conditions de rémunération.

Ainsi, le délai de 30 jours est maintenu, mais il ne peut pas dépasser 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date d’émission de la facture. L’alinéa suivant permet une certaine souplesse en autorisant contractuellement à négocier des délais plus courts (mais pas plus longs) et un point de départ du délai différent (par exemple la date de réception des marchandises).

Par ailleurs, la loi de modernisation de l’économie est venue renforcer les sanctions pécuniaires de non respect des délais de paiement. Auparavant, le taux légal applicable au titre des pénalités de retard était égal au moins à une fois et demi le taux appliqué par la banque centrale européenne le plus récent majoré de 7 points. Aujourd’hui, le taux applicable ne peut être inférieur à trois fois le taux appliqué par la Banque centrale européenne majoré de 10 points.

L’évolution de cet article manifeste un interventionnisme du législateur de plus en plus fort, comparé aux dispositions plus libérales appliquées en 1986 qui laissaient une grande liberté contractuelle aux parties.

Dans un contexte économique de plus en plus concurrentiel et agressif, les autorités communautaires et de facto le législateur national, semblent revenir vers une réglementation plus protectrice, notamment des PME qui en ces temps de difficultés économiques et financières sont les premières victimes des retards de paiement.

2) Le projet de directive concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales

La directive 2000/35/CE du 29 juin 2000 règlement le retard de paiement dans les transactions commerciales est partie du constat que malgré la recommandation du 12 mai 1995, les nombreuses différences législatives et réglementaires applicables en matière de retard de paiement entre les Etats membres constituaient un obstacle au bon fonctionnement du marché intérieur et aux échanges.

La directive, instrument souple mis à disposition des Etats membres, a donc permis l’introduction en droit français du délai par défaut de 30 jours, tel que prescrit à l’article 1 de ladite directive.

L’accent est mis dans cette directive sur la clause de réserve de propriété comme mesure de protection du créancier, conformément au droit international privé.

Par ailleurs, la directive prévoit une réglementation des procédures de recouvrement pour des créances non contestées n’excédant pas 90 jours civils à compter de la formation du recours (article 5 de la directive, qu’il n’est pas inutile de rappeler devant le juge des référés, soulevant l’éternel débat de l’application directe des directives par le juge national en cas de non transposition ou transposition partielle, mais c’est un autre débat)

Quelle évolution de l’économie et du marché intérieur a donc poussé la Commission a proposer une modification de la directive 2000/35/CE ?

Dans son résumé à l’attention des citoyens, la Commission européenne précise que les modalités de règlement fixées contractuellement sont peu souvent respectées, entraînant des difficultés financières significatives, notamment pour les PME.

La Commission précise également que de nombreuses entreprises estiment la législation mise en place comme insuffisante pour recouvrer les montants dus. Elle annonce trois mesures phares :

*fixation d’un délai de 30 jours à l’attention des pouvoirs publics pour régler leurs factures aux entreprises privées à défaut de quoi, en sus des intérêts de retard, ils devront payer 5% du montant concerné,

*les entreprises pourront réclamer les intérêts dus sur les paiements en retard ainsi que le remboursement des frais de recouvrement,

*tous les montants des intérêts, même de faible valeur, pourront être facturés.

La Commission précise que ces dispositions seront facultatives pour les entreprises afin de préserver leurs bonnes relations avec les clients, laissant ainsi une grande part à la liberté contractuelle.

La lecture de l’impact assesment (anayse d’impact) de la Commission constitue une étude approfondie des conditions économiques du marché actuel pour les entreprises et notamment les PME, avec le constat par ailleurs que les établissements publics sont souvent de mauvais payeurs vis à vis des entreprises privées avec lesquelles ils font affaire.

La Commission européenne évoque cinq causes entraînant le phénomène de retard de paiement constaté dans les transactions commerciales :

- la structure du marché

- l’évolution des conditions macroéconomiques : les entreprises souffrent d’une capacité réduite à générer des liquidités de leurs opérations, les banques prêtant par ailleurs plus difficilement,

- les contraintes liées à l’accès au financement : le retard de paiement constituant trop souvent un mode de financement efficace et peu cher au profit de sa propre activité, notamment pour les pouvoirs publics,

- les problèmes structurels de gestion interne des entités économiques,

- l’absence d’instruments efficaces de lutte contre les retards . A titre d’exemple, la Commission précise que la directive du 29 juin 2000 peut s’interpréter de plusieurs manières quant à la définition des frais de recouvrement significatifs ou au calcul du taux d’intérêt applicable ce qui ne permet pas la mise en place, par les Etats membres, de législations efficientes en prévention de la lutte contre les retards de paiement.

La Commission européenne évoque également les conséquences économiques lourdes liées au retard de paiement des transactions commerciales :

- diminution de la concurrence et de la solvabilité des entreprises, notamment des PME,

- obtention de crédit commerciaux gratuits au profit des établissements publics mauvais payeurs,

- impacts négatifs sur le commerce interne à l’Union européenne, la peur d’être payé tardivement voire pas du tout freinant le commerce transfrontalier.

Enfin, dans son document de travail, la Commission invoque les deux objectifs liés à cette proposition de réforme :

- confronter les débiteurs à des mesures coercitives visant à les décourager de payer tardivement leurs factures,

- mettre à disposition des créanciers des instruments leur permettant d’exercer leurs droits de façon pleine et entière en cas de retard de paiement.

La Commission européenne précise néanmoins que la compétence de l’Union européenne en la matière est limitée et qu’il relève de la souveraineté de chaque Etat, en poursuivant des objectifs harmonisés, de légiférer sur ces problématiques (base juridique de l’article 95 du TCE, principe de subsidiarité).

On peut dire que la loi du 4 août 2008, dont les nouvelles dispositions de l’article L441-6 du code de commerce sont entrées en vigueur pour les contrats conclus à compter du 1er janvier 2009, a anticipé les prescriptions des autorités communautaires.

A noter le paragraphe 6 du projet de modification de la directive intitulé Contrôle et évaluation qui en dit long sur les difficultés économiques des entreprises et particulièrement en temps de crise : l’organisation d’un mécanisme fiable d’évaluation et de suivi est rendue malaisée par le fait que les règles définies dans la proposition n’auront pas d’effet contraignant sur les entreprises : celles-ci seront en effet libres de les appliquer et de faire valoir leurs droits ou pas. Il s’avère par ailleurs que la mauvaise conjoncture économique est susceptible d’avoir une incidence négative sur le respect des délais de paiement car elle met à mal les liuidités et les perspectives de financement des entreprises. En période de croissance économique, les entreprises bénéficient d’un apport de liquidités plus favorable qui, en partie du moins, peut servir à acquitter les factures plus rapidement.

Il s’agit concrètement de préserver l’équilibre de la libre concurrence et d’en limiter les abus. Si le créancier exerce trop de pression sur son débiteur,ce dernier risque de s’adresser à une autre structure plus complaisante la fois suivante. Pour autant, les restrictions de l’accès au financement du débiteur en amont ne doivent pas nuire aux droits du créancier. Cruel dilemme de l’oeuf ou de la poule...

La jurisprudence française vient néanmoins de rappeler le caractère impérieux des dispositions de l’article L441-6 du code de commerce dans un arrêt de la chambre commerciale en date du 3 mars 2009 qui fait l’objet d’une publication maximale (FP-P+B+I+R).

3) L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de Cassation du 3 mars 2009

L’arrêt qui vient d’être rendu par la chambre commerciale de la Cour de Cassation est en fait venu statuer sur le sort des pénalités de retard tels qu’issues de l’article L441-6 du code de commerce modifié par la loi du 15 mai 2001.

Le débiteur prétendait que l’absence de mention de l’application des intérêts de retard sur les conditions générales de réglement et sur la reconnaissance de dette qu’il avait signée, privait le créancier de son droit au recouvrement desdits intérêts.

Le premier moyen du pourvoi précisait que dans les transactions commerciales, toute somme facturée et impayée produit de plein droit des pénalités de retard sous la forme d’un intérêt produit par la somme impayée dont le taux minimum est impérativement fixé par la loi et qu’en admettant le contraire, la Cour d’appel de Lyon avait violé les dispositions de l’article L441-6 du code de commerce.

La chambre commerciale de la Cour de Cassation, dans un attendu de principe, a confirmé fermement : Attendu que les dispositions de la loi du 15 mai 2001 modifiant l’article L441-6 du code de commerce, qui répondent à des considérations d’ordre public particulièrement impérieuses, sont applicables dès la date d’entrée en vigueur de ce texte, aux contrats en cours ; que les pénalités de retard pour non paiement des factures sont dues de plein droit, sans rappel et sans avoir été indiquées dans les conditions générales des contrats (...).

La politique de publication de cet arrêt largement diffusé ainsi que la fermeté de l’attendu de principe viennent conforter la tendance actuelle à limiter les abus de retards de paiement, protégeant le créancier étourdi de l’absence de mentions spécifiques sur ses documents contractuels. Il reste que dans la pratique, ce type d’intervention reste de l’ordre du pot de terre contre le pot de fer....n’est-on pas prêt, pour un client institutionnel, à accorder les plus larges délais et sans intérêts, afin de préserver les relations commerciales ? D’où la volonté de la Commission européenne, tout en laissant la liberté aux entreprises d’arbitrer entre l’intérêt économique de la structure ou l’intérêt des relations avec les clients, de renforcer le dispositif, comme est venu le faire le législateur français, en inscrivant dans la loi le mécanisme des pénalités de retard. A charge pour le créancier de faire le choix ou non, d’appliquer la sanction.

Source :

www.actes-types.com/blog/christellemazza

Christelle MAZZA

Avocat à la Cour