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L’action directe du sous-traitant à l’encontre du maitre de l’ouvrage, une action conditionnée par la jurisprudence : à tort ou à raison… plutôt à tort, par Amaury Pat, Avocat
Parution : lundi 15 juin 2009
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L’article 12 de la loi numéro 75-1334 du 31 décembre 1975 dispose :

« Le sous traitant a une action directe contre le maître de l’ouvrage si l’entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance ; copie de cette mise en demeure est adressée au maître de l’ouvrage ».

L’article 3 de cette même loi dispose :

« L’entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat du marché, faire accepter chaque sous traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l’ouvrage ; l’entrepreneur principal est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître de l’ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande.

Lorsque le sous traitant n’aura pas été accepté ni des conditions de paiement agrées par le maître de l’ouvrage dans les conditions prévues de l’alinéa précédent, l’entrepreneur principal sera néanmoins tenu envers le sous traitant mais ne pourra invoquer le contrat de sous-traitance à l’encontre du sous traitant ».

La combinaison faite par la Jurisprudence de ces deux dispositions légales est particulièrement périlleuse pour les sous-traitants, comme il va être exposé ci-après.

Il ressort d’un arrêt rendu par la Chambre Mixte de la Cour de Cassation en date du 13 mars 1981 que les conditions d’acceptation et d’agrément prévues à l’article 3 précité sont nécessaires à l’exercice de l’action directe du sous traitant à l’encontre du maître de l’ouvrage et cumulatives.

Toutefois, la Haute Juridiction a pu estimer que le sous traitant non accepté et dont les conditions de paiement n’ont pas été agréées peut exercer à l’encontre du maître de l’ouvrage l’action directe, dès lors que ce même maître de l’ouvrage n’a pas protesté à la réception de la copie de la mise en demeure que lui a adressée le sous traitant non agréé désirant exercer l’action directe (Cass. Com 16 juillet 1991).

Il convient de préciser qu’en dehors de cette exception prétorienne, la position de principe adoptée par la Cour de Cassation est loin d’être irréprochable sur le plan juridique.

En effet, il convient de s’intéresser à la place donnée à l’article 3 de la loi de 1975 dans ladite loi.

Cet article figure au sein du titre I DISPOSITIONS GENERALES.

Il est composé de trois titres suivants dont les titres II relatif au paiement direct et III relatif à l’action directe.

La condition relative à l’acceptation du sous traitant par le maître de l’ouvrage et l’agrément par ce dernier des conditions de règlement du sous traitant est reprise à l’article 6 de la loi du 31 décembre 1975 au sein du titre II relatif au paiement direct.

Toutefois, ces mêmes conditions ne figurent nullement à l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975, lequel nous intéresse en l’espèce, au titre de l’action directe.

L’article 12 vise le sous traitant, sans distinguer selon que celui-ci a été accepté ou pas par le maître de l’ouvrage et vu ses conditions de règlement agrées par ce même maître de l’ouvrage.

Dès lors, et en vertu de l’adage bien connu selon lequel lorsque la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer, l’action directe devrait être ouverte au sous traitant, même lorsque celui-ci n’aura pas été accepté par le maître de l’ouvrage ou vu ses conditions agréées par ce dernier.

Au surplus, l’article 3 de la loi du 31 décembre 1975, sur lequel s’appuient la jurisprudence de la Cour de Cassation, ne traite des conséquences de l’absence d’acceptation du sous traitant ou d’agrément de ces conditions de paiement par le maître de l’ouvrage que dans les relations liant l’entrepreneur principal au sous traitant.

A aucun moment, l’article 3 n’indique que faute de satisfaire aux deux conditions litigieuses énoncées par ce même article, le sous traitant sera privé de son action directe à l’encontre du maître de l’ouvrage.

Le titre III relatif à l’action directe ne dit non plus mot à ce sujet.

La jurisprudence de la Cour de Cassation, tel qu’il ressort de l’arrêt de la Chambre Mixte du 13 mars 1981 est fortement critiquable.

L’obligation d’une acceptation et d’un agrément aux conditions de paiement du maître de l’ouvrage sont deux conditions qui devraient être considérées comme autonomes de l’action directe.

Ces conditions ne sont nullement des conditions d’exercice de l’action directe.

La jurisprudence avait déjà pu statuer en ce sens (Cour d’Appel de COLMAR, 2ème Chambre Civile, 12 mai 1978 et Cass. Comm. 19 mai 1980), ce qui paraissait somme toute logique.

En conclusion, la Cour de cassation adopte incontestablement une position particulièrement favorable au maître d’ouvrage, cette même position étant, de part l’étude des textes applicables, éminemment contestable !

Amaury PAT

Avocat