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Stocks en consignation ou « l’arnaque » aux délais de paiement ! Par Thierry CHARLES, Juriste
Parution : lundi 22 juin 2009
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« Il ne voulut pas seulement voir l’or et l’argent, ains les feit seulement livrer par compte et consigner entre les mains des questeurs et tresoriers. (…) Estans advertiz que les religieuses vestales avoient quelques consignations et autres deniers mis en depost et en garde entre leurs mains, ilz les allerent enlever par force ».
Jacques Amyot (Humaniste français (1513-1593)

Il est bien connu que « c’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe » ! Ainsi, la réforme sur les délais de paiement est l’occasion de voir apparaître (réapparaître ?) les vielles recettes du passé, qui serviront à contourner l’application stricte de la loi de modernisation de l’économie (loi LME n°2008-776 du 4 août 2008), et notamment par le recours au « stock consignation »

De quoi s’agit-il ?

Sous le fallacieux prétexte d’assumer des obligations de logistique, le fournisseur ou le sous-traitant est obligé de conserver chez lui des pièces qui auraient dû être retirées par le donneur d’ordre, et livrer des pièces dans un entrepôt extérieur où le donneur d’ordre se sert au fur et à mesure de ses besoins. Dans la pratique, ces stocks sont appelés « stocks de consignation »

Or, nous allons voir que, malgré l’encadrement de la gestion du stockage et des services logistiques, le recours à la consignation des stocks entrepôts (I) peut amener des dérives dans l’application de la réforme des délais de paiement du fait de la dépendance économique du fournisseur à l’égard de son client, et devenir un véritable jeu de dupes (II).

I/ Consignation des stocks entrepôts : le principe de la consignation

Le principe de la consignation du stock entrepôt est de transférer la responsabilité financière du stock au fournisseur. Le fournisseur met à disposition dans les entrepôts de la société X (souvent un acteur de la grande distribution) un stock de produits. La société X achète les produits à la sortie de l’entrepôt et en prend possession.

Au fur et à mesure, la société X procède au réapprovisionnement du stock des entrepôts, en concertation (forcée) avec le fournisseur. Une proposition de réassort est envoyée, et le fournisseur « valide » et confirme ces propositions.

Régulièrement (chaque semaine), un relevé indiquant les quantités de produits expédiées en magasin au cours de la semaine précédente ainsi que le stock résiduel est envoyé au fournisseur. (1)

Ces prestations nouvelles soulevant de nombreuses questions juridiques, il est recommandé aux fournisseurs (ou sous-traitants) de conclure un contrat de dépôt qui leur garantira notamment la conservation de la propriété des produits livrés jusqu’au paiement du prix.

Mais la convention devra également prévoir outre les procédures d’inventaire du stock, la vérification des quantités prélevées par rapport aux quantités payées, la charge des risques de détérioration des marchandises, ainsi que, le cas échéant, la reprise du stock lorsque le donneur d’ordre cessera ses commandes.

II/ Un « jeu de dupes »

Mais il s’agit au préalable de « ferrer le pigeon » (en l’occurrence le fournisseur) en faisant valoir, exemple à l’appui, tout le bien fondé, pour lui, de la démarche.

Un scénario sous « power point » décrit, étape par étape, comment les produits finis et les produits commercialisables sont traités dans le cadre d’un processus de consignation dans lequel les produits envoyés au client sont la propriété de la société jusqu’à ce qu’ils soient vendus par le client à un tiers.

Le scénario comprend le processus suivant : ordre de réapprovisionnement d’articles en consignation, prélèvement d’articles en consignation et enlèvement d’articles.

Mais qu’en est-il de la facturation ?

On explique au fournisseur, à grand renfort de schémas, qu’il est réglé aujourd’hui, après le transfert de propriété des stocks, à plus de 90 jours fin de mois, alors que, demain, dans le cadre de la consignation des stocks entrepôts, il sera payé à 45 jours fin de mois !

Un véritable « marché de dupes » dans la mesure où depuis le 1er janvier 2009, les délais de paiement accordés aux entreprises sont désormais plafonnés à 45 jours fin de mois ou à 60 jours après l’émission de la facture (article L. 441-6 du Code de commerce).

Pourquoi dès lors évoquer un délai de plus de 90 jours, à fortiori après le transfert de propriété des stocks, si ce n’est pour « tromper » le fournisseur, dans la mesure où le délai maximum légal court à compter de la date d’émission de la facture, qui reste à l’initiative du fournisseur (sauf DOM/TOM).

En effet, l’option qui aurait consisté à retenir pour point de départ la réception des marchandises ou l’exécution des prestations aurait ouvert la porte à des pratiques abusives, comme le refus de réceptionner ou de signer un PV ou bon de réception, alors même que le produit est livré (rappelons que la date de facture a été instaurée en matière de transport par la loi Perben du 5 janvier 2006).

Sauf que dans l’hypothèse de ces « stocks avancés », le distributeur précise bien en préambule du contrat qu’il « souhaite disposer en permanence d’un stock de produits suffisamment approvisionné sans pour autant acquérir ledit stock du fournisseur dès la livraison sur les entreprises » : la boucle est ainsi bouclée, le fournisseur ne pouvant pas facturer : exit l’application stricte de la loi LME !

A noter que dans l’avis n° 09-06 du 20 mai 2009 de la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC / 09041512), venant compléter le dispositif de « Questions-Réponses » relatif à la mise en œuvre de la loi de modernisation de l’économie, il est indiqué à la question :

« Délais paiement calcul activités saisonnières. Un fournisseur livre un client en stock consignation. Il facture le client au moment de la sortie du produit du stock du client et non à la livraison. Est-ce acceptable selon la LME ? Y a t-il une différence d’appréciation pour cette pratique d’usage pour des activités saisonnières ? »,

… la réponse suivante :

« Les parties peuvent modifier le cadre juridique antérieur en pratiquant par exemple le dépôt-vente au lieu de la vente ferme ; les juristes spécialisés doivent pouvoir proposer des montages sécurisés avec, notamment le jeu de la clause de réserve de propriété. Pour le stock initial, le même type de mécanisme peut être imaginé. Le code monétaire et financier (article 511-7) offre certaines possibilités pour le fournisseur de consentir des avances sur commandes La LME ne remet pas en cause le régime juridique du dépôt vente ou vente en consignation. La vente en consignation n’est pas interdite. Cependant, appliquer contrairement aux habitudes anciennes, une telle pratique dans le but de contourner les obligations relatives à la réduction des délais de paiement, devient une pratique abusive. »

Dont acte !

Il s’agit ensuite de formaliser, pour la bonne forme dans un contrat, les obligations réciproques des parties : responsabilité en cas de sinistre, gestion des écarts de stock, etc.

A noter que très souvent dans les contrats, il est prévu également que le donneur d’ordre « reste libre de procéder au réapprovisionnement du stock en dépôt à tout moment, en concertation avec le fournisseur », que le fournisseur accepte de « racheter l’éventuel stock de produits acquis par la société X et entreposé au moment de la signature du présent accord sur ses entrepôts ou ceux de ses prestataires agissant pour son compte », (le contrat est rétroactif, dans le marasme économique actuelle il n’y a pas de petit profit !), et the last but not the least, « lors de la cessation du présent contrat, pour quelle que cause que ce soit, la société X pourra soit se porter acquéreur partiellement ou totalement du stock résiduel de produits encore en dépôt sur les entrepôts au moment de la prise d’effet de la cessation du contrat ou pourra demander au fournisseur la reprise de ces stocks en dépôt. Dans ce dernier cas, la reprise et le transport du stock repris incomberont au Fournisseur ».

Imaginons que dans le même temps, le fournisseur ait donné mandat à son client d’émettre en son nom et pour son compte les factures, en application de la directive européenne du 20 décembre 2001 (Dir. 2001/115/CE, 20 déc. 2001 : JOCE n° L.15, 17 janv. 2002), principe de l’auto-facturation, et le « hold-up » de certains donneurs d’ordre sur la réforme des délais de paiement de 2008 sera pleinement réussi.

En conclusion, Pascal Malfoy, Président de la Fédération des magasins de bricolage (FMB) lançait un véritable cri d’alarme dans le journal « Les Echos » du 11 juin 2009, en annonçant que le modèle économique du marché du bricolage était déstabilisé par la réduction des délais de paiement, tout en stigmatisant le problème des stocks (et ce malgré l’accord dérogatoire à l’application de la LME signé dans le secteur et étendu par décret n02009-374 du 2 avril 2009) :

« … le délai moyen de rotation des stocks dans nos magasins est d’environ 140 jours, compte tenu notamment de la largeur de l’offre et de la saisonnalité des produits (…).

Dans le même article, il estimait que « la réduction des délais de paiement va obliger les distributeurs à être plus vigilant sur d’éventuels stocks toxiques (i.e. des produits qui ne se vendent pas), tout en évoquant « la tentation des enseignes de réduire leur offre (…), avec, au bout du compte, une baisse d’activité des fournisseurs ».(2)

Aussi, compte tenu des risques de dérives, on ne saurait trop conseiller aux entreprises, et notamment aux PME, d’être vigilantes avant de signer de telles conventions.

Par Thierry CHARLES / Docteur en droit / Directeur des Affaires Juridiques d’Allizé-Plasturgie

Membre du Comité des Relations Inter-industrielles de Sous-Traitance (CORIST) au sein de la Fédération de la Plasturgie

(1) Il est prévu parfois que le consignataire prélèvera à chaque fois les stocks d’articles les plus anciens selon la méthode dite « FIFO ». La méthode de comptabilisation des stocks FIFO (first in, first out) valorise les sorties de stock au coût de l’article le plus ancien dans le stock. A noter qu’en période d’inflation, elle permet de dégager un bénéfice plus élevé que les autres méthodes de valorisation des stocks.

(2) Lire « Le secteur du bricolage sous pression de la crise et des délais de paiement », Les Echos, 11 juin 2009, p.26.