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Salakis, ni féta, ni grec, par Agnès Doyen, CPI
Parution : lundi 6 juillet 2009
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Depuis le 16 octobre 2007, le titulaire d’une des marques de fromages les plus connues des français grâce à des campagnes de publicité répétées et efficaces, ne peut plus utiliser le fameux slogan qui fit sa renommée : "SALAKIS la Feta au bon lait de brebis".

En effet, le mot Féta, fromage devenu une appellation d’origine protégée (AOP) (1), réservée aux fabricants originaires de certaines régions de la Grèce continentale ainsi que du département de Lesbos, ne peut être intégré dans une marque enregistrée pour des produits ne pouvant en bénéficier. De telles marques, pourtant valables au moment de leur enregistrement, deviennent ainsi nulles.

Le titulaire de la marque SALAKIS, qui n’est autre que la SOCIETE DES CAVES DES PRODUCTEURS REUNIS DE ROQUEFORT (ci-après Société des Caves), s’est donc vu contraint de cesser toute référence au mot Feta.

L’octroi de l’AOP avantage incontestablement les producteurs grecs. Pourtant, insatisfaite de l’arrêt de l’usage du nom Feta par le producteur français à la date fixée, une société grecque assigna la Société des Caves sur le terrain du droit des marques et de la concurrence déloyale.

Elle estimait d’abord que les marques SALAKIS (verbales et figuratives) étaient trompeuses, au regard de l’association créée entre la dernière syllabe de la marque et la Grèce, ainsi que de l’emploi des couleurs blanc et bleu dominant les emballages de ces produits, considérées comme symboliques de la Grèce.

Le tribunal (2) décide que la façon particulière de prononcer la marque provient de la publicité dont elle a fait l’objet et n’est pas "inhérente à l’orthographe du nom", qui n’est donc pas évocateur de la Grèce, pas plus que les couleurs ne s’y rapportent exclusivement.

Les marques ne sont donc pas intrinsèquement trompeuses au sens de l’article L.711-3 du CPI ("Ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe de nature à tromper le public notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit").

La société grecque sollicitait également le prononcé de la déchéance de la marque, qui est encourue aux termes de l’article L. 714-6 b du CPI, "lorsque du fait du titulaire de la marque, celle-ci est devenue propre à induire en erreur le consommateur sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit".

Le tribunal estime qu’il n’est pas établi que les publicités et slogans aient pu faire croire que le fromage vendu sous la marque SALAKIS était fabriqué en Grèce, mais seulement, la nuance est subtile, que le fromage était d’origine grecque. L’usage de la marque SALAKIS n’est donc pas non plus trompeur.

La société des Caves est en revanche condamnée en ce qu’elle n’a pas satisfait aux dispositions transitoires du règlement (3), pour avoir proposé de nouveaux produits sous la marque FETA SALAKIS après juillet 1987 (un produit allégé et un fromage à base de chèvre).

Plus original et audacieux était le dernier argument du demandeur, qui qualifiait d’acte de concurrence déloyale la mise en œuvre d’une politique commerciale destinée à lier durablement les produits commercialisés initialement sous la dénomination FETA à la marque SALAKIS, de telle sorte que le consommateur continue à les associer malgré la disparition du mot feta.

Ce comportement n’est pas jugé fautif par le tribunal dans la mesure où ces campagnes publicitaires avaient pour objet de renforcer le pouvoir attractif des marques pendant une période lors de laquelle la Société des Caves pouvait encore utiliser le nom feta.

On ne voit pas en effet dans quelle mesure une politique commerciale basée sur l’emploi d’une marque dans des conditions qui n’étaient pas de nature à tromper le public, ainsi que l’a reconnu le tribunal, aurait pu constituer un acte de concurrence déloyale. En effet, sauf hypothèse de tromperie, l’objet même de la publicité est d’essayer d’associer dans l’esprit du public ciblé le produit à la marque sous lequel il est vendu.

L’épopée grecque de la feta SALAKIS a pris fin. Ni vu ni connu, feta est remplacé par fromage, et SALAKIS rime toujours avec brebiss…

Agnès DOYEN

CPI

Cabinet WAGRET

http://www.wagret.com

(1) Règlement (CE) n° 1829/2002 du 14 octobre 2002

(2) Tribunal de grande instance de Paris, 3ème ch., 17 février 2009 (RG 2005/15933)

(3) L’article 13 du Règlement n° 2081/92 du 14 juillet 1992 prévoit que les Etats membres peuvent maintenir les mesures nationales autorisant l’utilisation des expressions visées au paragraphe 1 point b) pendant une période limitée à cinq ans au maximum après la date de publication du présent règlement, à condition que les produits aient été commercialisés légalement sous cette expression durant au moins cinq ans avant la date de publication du présent règlement.