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Financer l’immobilier d’entreprise grâce au démembrement de propriété, par Christophe Ducellier, avocat, spécialiste en droit fiscal et en droit des sociétés
Parution : mardi 12 janvier 2010
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La démonstration en a été faite régulièrement, le démembrement de propriété d’un immeuble d’activité ou des parts d’une SCI détenant un tel immeuble est un très efficace moyen de structurer un patrimoine privé, ou, pour une entreprise, d’utiliser à moindre coût un immeuble d’exploitation (v. pour des informations régulières sur le sujet : http://avocats.fr/space/christophe.... ).

La réflexion qui conduit à de telles conclusions intègre non seulement des connaissances en droit civil, en droit fiscal, mais aussi en droit comptable et en mathématiques financières (la valorisation de l’usufruit et de la nue propriété à partir de la méthode des cash-flows actualisés implique notamment de prendre en compte la réduction des incertitudes).

Jean Aulagnier et Pierre Fernoux (V. son article de synthèse dans le Bulletin Fiscal F. Lefebvre de mars 2009 : BF 3/09 p 181) ont très largement et brillamment œuvré pour défricher la matière et la sécuriser.

Toutefois, de même que les anciens cartographes estimaient que passées les limites du monde connu...il y avait des dragons, nombre de néophytes de la matière ou même de praticiens non spécialisés évoquent souvent, à propos du démembrement de propriété avec constitution d’un usufruit temporaire, le terrible risque de l’abus de droit.

Il faut dire que cette technique est bien trop souvent présentée comme une technique de défiscalisation, ce qu’elle n’est pas !

Tout au contraire, le démembrement temporaire de propriété est une technique d’optimisation du financement d’un immeuble et de structuration d’un patrimoine, en vue de sa détention sur le long terme ou de sa transmission future. Elle permet par exemple aussi de se constituer un capital retraite dans de meilleures conditions économiques.

Elle permet aussi à une entreprise d’utiliser un immeuble pour un coût de trésorerie moindre que si elle était locataire.

Il coûte en effet moins cher à l’exploitant (quel qu’il soit) de supporter le financement d’un usufruit temporaire (dont la valeur une fois fixée est amortie sur la durée conventionnellement arrêtée avec le nu propriétaire) que de supporter le paiement d’un loyer qui progresse chaque année en fonction de son indice de revalorisation.

Prétendre qu’il s’agit là d’une technique de défiscalisation ou d’un abus de droit conduit à supposer que les intéressés n’ont pas véritablement compris l’intérêt et la portée de la technique ainsi mise en œuvre...ou que leur service marketing (le terme "défiscalisation" est très vendeur il faut le reconnaitre..) a pris le dessus sur le technicien.

De nombreux auteurs, voulant peut être surfer sur ce qui est en train de devenir une mode, se sont également intéressés au sujet, mais semblent s’être égarés dans les méandres de la technique.

Comparons l’intérêt d’un schéma de démembrement de propriété avec les schémas traditionnels recourant à une SCI pour investir dans un immeuble d’activité (quel que soit sa taille).

Traditionnellement en matière d’immobilier d’entreprise, il est proposé la constitution d’une SCI qui donne en location l’ensemble immobilier à la société d’exploitation. La question que se posent alors tant les praticiens que les investisseurs est de savoir s’il faut ou non opter pour l’impôt sur les sociétés.

Pourtant, cette solution génère des charges de loyer proportionnelles à la valeur totale de l’immeuble pour la société d’exploitation et donc ampute d’autant sa trésorerie (qui ne peut plus être utilisée au développement de l’activité) alors que la valeur d’un usufruit temporaire, d’une durée maximale de 30 ans (quand l’usufruitier est une société) sera toujours inférieure à la valeur de l’immeuble en pleine propriété.

L’entreprise utilisatrice devra donc financer uniquement la valeur de l’usufruit temporaire et non la valeur de la pleine propriété de l’immeuble.

Si la SCI est à l’IR la solution implique la déclaration des revenus fonciers au niveau des associés et ce, alors même :
- qu’il n’y a pas de distribution de trésorerie (à cause des remboursements d’emprunts) ;
- que la situation de trésorerie de la société exige bien souvent des associés qu’ils la complètent par le biais de leurs comptes courants.
Il en résulte pour les associés un cout fiscal important et la nécessité d’apporter des fonds pour recapitaliser la SCI.

Si la SCI est à l’IS la solution implique une fiscalité latente importante lors de la revente de l’immeuble (puisqu’il aura été amorti totalement ou partiellement).

Face à ce type de solution qui, finalement, génère d’importantes sorties de trésoreries pour la société d’exploitation et les associés de la société immobilière, la solution du démembrement de propriété avec constitution d’un usufruit temporaire apparaît comme beaucoup plus économe en trésorerie.

En effet, l’objectif du démembrement de propriété avec constitution d’un usufruit temporaire : est de permettre à l’utilisateur de disposer au meilleur coût d’un immeuble nécessaire à son exploitation afin de préserver sa trésorerie .

Rappelons, en effet, que le but d’une entreprise commerciale ou industrielle, n’est pas de financer de l’immobilier et encore moins de permettre à ses actionnaires de se constituer un patrimoine à moindre coût.

Son but est de développer son activité. Pour cela elle doit chercher, certes, à utiliser des immeubles de la meilleure qualité possible, mais à moindre coût pour elle.

Le schéma est le suivant :
- l’acquisition de la nue propriété du bâtiment est effectuée par des investisseurs dont l’objectif est le même que ceux qui ont recours à un contrat de capitalisation : ils acceptent d’investir une somme relativement peu importante, puis d’attendre 15 à 20 ans avant de récupérer la pleine propriété de l’immeuble ;
- l’usufruit temporaire est acquis par la société d’exploitation :

Ce schéma permet :
- d’amortir l’usufruit temporaire ;
- de récupérer éventuellement la TVA grevant la construction ou l’acquisition.

Conséquences juridiques et financières :
La société d’exploitation, usufruitière, acquiert l’usufruit temporaire de l’immeuble et en maîtrise ainsi l’usage pour son propre compte.
A l’extinction de l’usufruit, la SCI, nue-propriétaire, récupère la pleine propriété de son immeuble et pourra percevoir un loyer.

L’intérêt du schéma est double en ce qu’il permet :
- soit d’alléger le coût d’une transmission tout en dégageant une importante trésorerie (la valeur de l’usufruit du bien concerné qui est cédé à une société d’exploitation) ;
- soit l’acquisition d’un bien immobilier tout en utilisant moins de ressources financières de la société d’exploitation.

Ce schéma permet à l’usufruitier d’économiser un loyer, toujours trop important car il sert de façon directe ou indirecte à financer la valeur de l’immeuble en pleine propriété alors que la valeur de l’usufruit est, par définition, inférieure à la valeur de l’immeuble en pleine propriété.
Cette solution permet donc à la société utilisatrice de l’immeuble et usufruitière de dégager une trésorerie disponible supérieure à celle d’une société locataire.

Le graphique figurant en pièce jointe compare, à titre d’exemple, le coût de toutes les techniques d’acquisition (y compris le crédit bail ou l’acquisition de la pleine propriété par la société d’exploitation) sur la base d’une acquisition type de 500.000 €.

Bien évidemment, ce genre d’opération doit être abordé avec circonspection quand il s’agit d’établir les valeurs d’usufruit et les taux de capitalisation à retenir.

Trop souvent, on voit encore des « spécialistes » effectuer des calculs de valeur de nue propriété par soustraction (tout en prétendant déterminer les valeurs par capitalisation puis actualisation des flux…mais en ce qui concerne uniquement l’usufruit… !).

Les sources de contentieux à venir proviendront (et proviennent déjà) d’une certaine rusticité dans l’approche de la valeur économique tant de l’usufruit temporaire que de la nue propriété.

Christophe Ducellier
Avocat à la Cour
Conseil en droit fiscal et en droit des sociétés
c.ducellier chez ducellier-avocats.com
http://avocats.fr/space/christophe....

Rédaction du village