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Le point sur la période d’essai, par Fabien Kovac, Avocat
Parution : mercredi 13 janvier 2010
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Dans un arrêt en date du 25 novembre 2009 (n°08-43008), la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a jugé que :

« Le renouvellement ou la prolongation de la période d’essai doit résulter d’un accord exprès des parties et exige une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié ne pouvant être déduite de la seule apposition de sa signature sur un document établi par l’employeur ».

En l’espèce, avant la fin de la période d’essai initiale, l’employeur adresse à son salarié une lettre ainsi libellée : « Je fais suite à notre entretien de ce jour et je vous confirme que nous avons décidé d’un commun accord et suivant les conditions de votre contrat de travail, de prolonger la période d’essai de trois mois ». Le salarié contresignera cette lettre.

Par la suite, l’employeur décide de rompre le contrat de travail durant ce qu’il pensait être encore la période d’essai.

Le salarié saisit alors la juridiction prud’homale, estimant la rupture abusive.

La Cour d’ Appel se prononce en faveur du salarié en retenant que la période d’essai n’avait pu être renouvelée faute d’accord exprès donné par ce dernier. Les juges du second degré affirment donc que le consentement du salarié ne peut résulter de sa seule signature sur un document rédigé par l’employeur. Cette seule signature reste équivoque et ne manifeste pas clairement une acceptation du renouvellement de la période d’essai.

Par conséquent, la période initiale étant arrivée à terme et n’ayant pas été renouvelée, la rupture du contrat de travail ne peut s’analyser en une rupture de la période d’essai.

Il s’agit donc d’un licenciement qualifié en l’espèce de « sans cause réelle et sérieuse ».

La Cour de Cassation, dans cet arrêt du 25 novembre 2009, confirme la position de la Cour d’ Appel dont l’arrêt était critiqué.

Elle rappelle, conformément à une jurisprudence constante, que la rupture de la période d’essai ne peut résulter d’une décision unilatérale de l’employeur (Cass. Soc. 30 octobre 2002 n°00-45-185). La faculté de renouvellement de la période d’essai est soumise à un accord exprès des deux parties intervenu au cours de la période initiale (Cass. Soc. 23 janvier 1997).

La Chambre Sociale ne permet aucune dérogation à la nécessité d’un accord en vue du renouvellement de la période d’essai. Elle a jugé récemment (Cass. Soc. 11 mars 2009 n°07-44090) que « le contrat de travail ne pouvait contenir une disposition moins favorable que la convention collective en prévoyant le renouvellement de la période d’essai dès l’origine, ledit renouvellement ne pouvant résulter que d’un accord exprès des parties intervenu au cours de la période initiale et non d’une décision unilatérale de l’employeur ».

L’apport de l’arrêt du 25 novembre 2009 se situe au niveau du consentement exprimé par le salarié. La simple signature apposée sur un document établi par l’employeur ne suffit pas à caractériser une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié.

Dans un arrêt daté du 3 juin 2009 (Cass. Soc. 3 juin 2009 n°08-40276) la chambre sociale avait déjà affirmé que la seule signature du salarié sur la lettre de l’employeur ne saurait valoir accord du salarié au renouvellement de l’essai. L’espèce était différente, la convention collective applicable prévoyant que le renouvellement de la période d’essai devra faire l’objet d’un accord écrit entre les parties. Mais cet arrêt nous apprenait déjà que la signature du salarié sur un document remis par l’employeur lui notifiant le renouvellement de la période d’essai ne correspondait pas à un accord écrit entre les parties.

Dans l’arrêt commenté, la Cour de Cassation rejette également le second moyen du pourvoi selon lequel le document signé par le salarié ne faisait que rappeler un accord déjà conclu entre les parties.

A la lumière de cette décision, les employeurs doivent faire preuve de vigilance et de précautions lorsqu’ils envisagent de renouveler la période d’essai d’un salarié. Tout d’abord, il est fortement recommandé de formaliser dans un document écrit l’accord intervenu entre les deux parties, même lorsqu’un accord collectif ne le prévoit pas. Ensuite, cet écrit doit révéler un véritable accord entre les parties. Il ne doit pas s’apparenter à une simple notification d’une décision émanant de l’employeur. L’apposition d’une mention sur le document signé par le salarié précisant que sa signature vaut acceptation du renouvellement de la période d’essai peut être une solution afin de limiter au maximum les risques de litiges.

La solution retenue par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation peut s’expliquer en partie par la volonté de protéger le salarié durant la phase d’essai. En effet, durant cette période les conditions de la rupture du contrat de travail lui sont défavorables. Les dispositions du code du travail relatives au licenciement ne s’appliquent pas à la période d’essai (article L 1231-1 du code du travail). Durant cette période, l’employeur peut donc résilier le contrat de travail sans avoir à justifier d’une cause réelle et sérieuse.

Le juge contrôle tout de même la faculté de l’employeur de rompre le contrat de travail pendant l’essai. Il utilise notamment la technique de l’abus de droit pour sanctionner les employeurs ayant fait un usage abusif de leur droit de rupture unilatérale. La reconnaissance de ce possible abus est constante depuis l’arrêt Dame Courtia du 17 mars 1971. Si dans cet arrêt l’abus est caractérisé par une rupture du contrat « sans rapport avec l’exécution du travail », l’abus est aujourd’hui reconnu à chaque fois que le véritable motif de la résiliation est étranger à l’appréciation des capacités professionnelles du salarié.

Ainsi, la Chambre Sociale (Cass.Soc. 7 janvier 1988) a sanctionné un employeur ayant mis fin à la période d’essai car cette décision était consécutive à la réception d’une lettre émanant du salarié sollicitant des précisions sur la portée des relations contractuelles. Considérant qu’aucune cause était de nature à justifier la rupture de la relation contractuelle pendant l’essai, la Cour de Cassation a retenu un abus de droit de l’employeur de mettre fin à la période d’essai.

Dans une autre espèce (Cass.Soc. 20 avril 1989), l’employeur avait proposé au salarié de prolonger la période d’essai. Le salarié adresse alors une lettre à l’employeur lui faisant part de son accord mais exprimant le sentiment d’insécurité provoqué par cette façon de procéder. Suite à ce courrier, l’employeur décide de rompre la période d’essai. La Chambre Sociale considère que la notification de la rupture n’avait pas été prise en considération d’insuffisances professionnelles. Elle qualifie de légèreté blâmable le comportement de l’employeur et en déduit un abus du droit de rompre l’essai.

La rupture de l’essai ne peut donc avoir lieu que pour un motif lié à la finalité de l’essai. Cette finalité est énoncée à l’article L 1221-20 du code du travail : « La période d’essai permet d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent ».

Par conséquent, lorsque l’employeur invoque un autre motif que celui tiré de l’insuffisance professionnelle du salarié, il doit respecter les règles applicables au mode de rupture auquel se rattache le motif invoqué. Par exemple, si il invoque un motif disciplinaire, l’employeur doit respecter la procédure disciplinaire (Cass.Soc. 10 mars 2004).

Enfin, profitons de cette nouvelle jurisprudence sur la période d’essai pour rappeler que la loi n°2008-596 du 25 juin 2008 dite de « modernisation du marché du travail » a modifié et complété les dispositions du code du travail applicables en la matière.

La période d’essai et la possibilité de la renouveler ne se présument pas. Elles doivent être expressément stipulées dans la lettre d’engagement ou le contrat de travail (article L 1221-23 du code du travail).

La période d’essai dans le contrat de travail à durée indéterminée ne peut dépasser certaines durées précisées à l’article L 1221-19 du code du travail. Ces durées sont les suivantes :
- Deux mois, pour les ouvriers et employés ;
- Trois mois, pour les agents de maîtrise et les techniciens ;
- Quatre mois, pour les cadres.

L’article L 1221-21 encadre le renouvellement de la période d’essai. Celle-ci peut être renouvelée une fois si un accord de branche étendu le prévoit. Cet accord fixe les conditions et les durées de renouvellement.

La Cour de Cassation a fait application de cette règle dans un arrêt daté du 10 décembre 2008 (Cass.Soc. 10 décembre 2008 n°07-44153) en décidant que « quand la possibilité de renouvellement de la période d’essai n’est pas prévue par la convention collective applicable, la clause du contrat de travail prévoyant un tel renouvellement est nulle ». Cette clause de renouvellement est nulle « quand bien même la durée totale de la période d’essai renouvelée n’excéderait pas la durée maximale prévue par la convention collective » (Cass.Soc. 25 février 2009 n°07-40155).

Le code du travail fixe des durées maximales, renouvellement inclus, à ne pas dépasser :
- Quatre mois, pour les ouvriers et employés ;
- Six mois, pour les agents de maîtrise et techniciens ;
- Huit mois, pour les cadres.

Enfin, l’un des apports de la loi du 25 juin 2008 est l’instauration de délais de prévenance en cas de rupture de la période d’essai. Ainsi l’article L 1221-25 du code du travail énonce que lorsqu’il est mis fin, par l’employeur, au contrat en cours ou au terme de la période d’essai, le salarié est prévenu dans un délai qui ne peut être inférieur à :

-  Vingt-quatre heures en deçà de huit jours de présence ;
-  Quarante-huit heures entre huit jours et un mois de présence ;
-  Deux semaines après un mois de présence ;
-  Un mois après trois mois de présence.

Cette disposition n’est applicable qu’aux contrats stipulant une période d’essai d’au moins une semaine.

Le salarié doit également respecter un délai de prévenance lorsqu’il met fin à la période d’essai. Ce délai est de quarante-huit heures ramené à vingt-quatre heures si la durée de présence du salarié dans l’entreprise est inférieure à huit jours (article L 1221-26 du code du travail).

Un salarié dont le contrat de travail aurait été rompu par l’employeur pendant la période d’essai non valablement renouvelée est en droit de demander le règlement du préavis, de dommages et intérêts pour procédure irrégulière de licenciement et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La précaution est donc de rigueur.

Fabien KOVAC

Avocat au Barreau de Dijon en droit du travail

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