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Rupture de fiançailles : coeurs "solitaires", à qui jeter la pierre ? Par Sabine Haddad, Avocat
Parution : mardi 19 janvier 2010
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Le Casanova sans scrupules, le séducteur non grata, ou le Don Juan sans états d’âme devront rendre des comptes dans des cas de ruptures de fiançailles fautives, non motivées, tardives ou humiliantes. Une promesse de mariage ne pourra pas être faite à la légère au risque, pour le fiancé solitaire de se prendre un retour de « caillou » plutôt qu’un retour du diamant. Justement, qu’en est-il de cette notion juridique de fiançailles ? Quels seront les préjudices matériel et moral que la rupture pourra engendrer ? Comment se règleront les restitutions de cadeaux ? ... La bague au doigt, sera, vous l’aurez compris au cœur des débats. Portant, entre pierre et caillou,la jurisprudence, certes, pas si récente en la matière a posé des limites en argent massif... même s’il ne faut jeter la pierre à personne, la vie est ainsi faite....

La liberté du mariage, est un principe de valeur constitutionnelle qui trouve son fondement dans les articles 2 et 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, à laquelle renvoie notre constitution.

C’est sans doute pour cela que le code civil, au regard de la liberté personnelle ignore totalement les relations de couple pendant les fiançailles et ne fait aucune obligation. de cette tradition. Ces fiançailles, définies comme un contrat visant une situation de fait constituent une promesse mutuelle de mariage que se font deux êtres amoureux, par un échange de cadeaux, un don réciproque pour une promesse d’officialisation, un échange d’alliance entre deux alliés...

Ce simple fait juridique, implique divers constats.

Les fiançailles pourront se former sans formalités et s’établir par tous moyens.de preuve librement.Leur engagement moral, non apparenté à un réel engagement juridique justifierait, à lui seul toute rupture libre et à tout moment de part et d’autre.

C’est le principe de la liberté matrimoniale, du libre consentement, celui qui permettra de se soustraire au mariage et surtout de ne pas y être contraint ...

Les règles de la responsabilité civile, visées dans l’article 1382 du code civil, ont cependant permis à la Jurisprudence de sanctionner des abus dans la rupture brutale, tardive ou sans réels motifs, pour indemniser le préjudice du ou (de la) fiancé(e) délaissé(e)

Ainsi, une rupture immédiatement préalable au mariage, alors que des frais ont été engagés pourra permettre de solliciter des dommages et intérêts liés au préjudice financier et moral, mais pas seulement.

Qu’en est-il du préjudice moral lié à cette rupture ? Comment se règleront les restitutions de cadeaux et... de la bague, la pierre ou le caillou ? La jurisprudence n’est pas très récente en la matière.

I- Des effets juridiques attachés aux fiançailles dans certaines circonstances.

La rupture fautive des fiançailles ou le décès d’un des fiancés sont les deux possibilités qui justifieraient une demande de dommages et intérêts.

La première à l’encontre du ou de la fiancée, pourra être en argent voire en nature, par conservation des cadeaux, sauf pour la bague de fiançailles considérée comme un bijou de famille.

La seconde en argent, à l’égard du tiers responsable de l’accident qui aura causé le décès du fiancé.

Le Casanova sans scrupules, le séducteur non grata, ou le Don Juan, sans états d’âme devront rendre des comptes dans des circonstances fautives, les cas de ruptures non motivées ou humiliantes puisqu’ils se prendront un « caillou » !

A) En cas de rupture des fiançailles fautives : l’octroi de dommages et intérêts

Il conviendra, avant tout de prouver de façon libre, par tous moyens, la réalité des fiançailles, donc de la promesse de mariage, avant d’éspérer solliciter une indemnisation pour faute. Cela résulte de la combinaison de 2 textes 1315 et 1382 du code civil.

1°- La réalité des fiançailles

Article 1315 du code civil « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver " . Autrement dit, la preuve incombe au demandeur.

Cette preuve se fera par tous moyens, ( photos, témoignages... Si le mariage est déjà organisé, faire-parts, frais de réservation acomptes versés sur la salle, l’orchestre, le traiteur....)

Les photographies prises lors de la soirée même des fiançailles lors de laquelle s’est déroulée la présentation des familles, les frais de traiteur chargé du dîner... seront tant d’éléments à considérer.

Il est certain qu’un mariage, bien engagé, annulé dans le mois de la cérémonie, favorisera la preuve par essence de la promesse de mariage, et pourra aider à justifier de l’abus ...

2°- Les éléments constitutifs de responsabilité civile

L’article 1382 du code civil : "Tout fait quelconque de l’homme ,qui cause à autrui un dommage ,oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer..."

Ainsi, si le principe est la liberté de la rupture, la faute en sera la limite, par application des règles de la responsabilité civile.

Dans le sujet qui nous préoccupe, l’homme visé dans le texte, pourra être le fiancé ,mais aussi la fiancée ! ( même si le masculin l’emporte...)

— Les tribunaux analyseront les motifs qui ont conduit à la rupture pour rechercher la faute.

Une absence totale de motifs, pourra suffire à constituer l’abus, alors que des motifs sérieux, seront suffisants pour débouter d’une action en indemnisation : Ex conflit avant le mariage sur le choix du régime matrimonial, désaccords familiaux, une ou un fiancé(e) qui se révèlerait atteint de problèmes psychiatriques cachés...

Par contre rompre, juste avant le mariage, après publication des bans, ou après que la femme ait été mise enceinte pourra être jugée abusif. (1ère Civ 3 janvier 1980, dalloz 1980 IR p 295)

L’inconduite, de celui qui rompt, pourra être envisagée sous l’angle de l’injure.

La tardiveté, de la rupture ou des motifs liés au milieu social, à la tradition religieuse, seront tant de motifs illégitimes...Quelques exemples de jurisprudences sont rappelés ici à titre d’exemple.

- 1ère Civ 29 avril 1981, pourvoi n°80-10-823". Les juges du fond qui constatent qu’un homme avait rompu avec sa fiancée pour épouser une autre jeune fille et que le motif qu’il invoquait pour justifier cette rupture, c’est à dire une lettre écrite de par sa fiancée dont les termes démontraient, d’après lui qu’elle l’avait trompé et voulait épouser un tiers, révélait en réalité le désespoir d’une femme abandonnée, peuvent en déduire qu’en rompant ainsi sans motif légitime, à une époque où cette rupture était particulièrement préjudiciable pour celle-ci au point de vue matériel et moral, il avait commis une faute engageant sa responsabilité."

- 1ère Civ 15 mars 1988
, G.P. 1989. 1. 374,

« A caractérisé l’existence d’une faute et d’un préjudice corrélatif, l’arrêt qui a relevé qu’en rompant unilatéralement une promesse à laquelle il s’était engagé moralement et matériellement, le futur époux a commis une faute génératrice d’un dommage, d’autant plus que la future épouse est de civilisation musulmane et qu’elle est susceptible de rester un certain temps célibataire »

- 1ère Civ 4 janvier 1995

« La rupture des fiançailles ne donne pas droit à elle seule droit à des dommages-intérêts qui ne peuvent être accueillis que s’il vient s’y ajouter une faute. La Cour d’appel qui condamne le demandeur à payer des dommages-intérêts à sa fiancée pour rupture brutale avec celle-ci, sans relever à la charge de l’intéressé aucune circonstance autre que l’absence de dialogue préalable, ne donne pas de base légale à sa décision. »

- 1ère Civ 14 février 1995, pourvoi n° 93-12863

« Attendu que la réparation du préjudice né de la rupture du concubinage ou de la rupture des fiançailles suppose, dans les deux cas, que soit établie l’existence d’une faute de l’auteur de la rupture ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a, par motifs propres et adoptés, souverainement estimé que M. Y..., qui affirmait que la raison de la séparation était le comportement névrotique, empreint de jalousie et d’avarice de sa compagne, ne rapportait pas la preuve de ses allégations ni, par suite, celle d’une faute quelconque de Mme X... dans la rupture « 

— Un préjudice matériel/ou et moral

- matériel : Il s’agira bien entendu des dépenses engagées en vue du mariage ; tels les frais de location de salle, orchestre, mais aussi frais d’acquisition d’un logement…

- moral : L’atteinte à l’honneur ; à la réputation, la déconsidération familiale, mais aussi les troubles affectifs qui engendreront une dépression... des maux justifiés par production de certificats médicaux, ordonnances, attestations....étant rappelé que le préjudice lié à la perte d’une chance ne sera pas réparable.

— Un lien de causalité entre la faute de l’auteur de la rupture et le préjudice subi par l’abandonné(e).

B) En cas particulier de décès du fiancé : l’octroi de dommages et intérêts du tiers responsable de l’accident.

A noter que lorsqu’un fiancé a trouvé la mort dans un accident provoqué par un tiers, l’autre pourra, malgré l’absence de tout lien juridique entre eux, obtenir

réparation du préjudice moral et matériel que ce décès lui fait subir par une action en responsabilité civile contre le tiers ayant causé le décès.

Chambre mixte, 27 février 1970, dalloz 1970, p. 201 et suiv).

II- Des restitutions obligatoires : Le lancé de la pierre ou du caillou

En principe, en cas de rupture sur « consentement mutuel », la restitution des présents et de la bague de fiançailles doit s’opérer.

La jurisprudence a été abondante dans les années 1960/1980 en matière de restitution de la bague de fiançailles.

A) L’absence de restitution des cadeaux de faibles valeur ou présents d’usage, quelque soit le motif lié à la rupture.

Ces dons resteront acquis et irrévocables.

Cela vaudra aussi pour la bague de fiançailles, assimilée à un présent d’usage. (sauf B)

- 1ère Civ 19 décembre 1979 , pourvoi n° 78-13.346 :

« Justifie légalement sa décision rejetant la demande de restitution de la bague de fiançailles formée par la mari à la suite du divorce des époux la Cour d’appel qui, après avoir exclu le caractère de souvenir de famille du bijou litigieux, estime souverainement que la remise de la bague à la fiancée constituait en l’espèce, compte tenu des facultés respectives des époux et de leurs familles un présent d’usage, qui ne pouvait comme tel, donner lieu à restitution »

La jurisprudence se penchera sur la valeur des présents, les facultés respectives des époux et de leur famille, ou la notion de bijou de famille pour retenir l’exception dans la restitution

B) La restitution de la bague de fiançailles envisageable pour trois motifs.

La fiancée solitaire, au cœur brisé, devra ôter sa bague supposée en diamant de l’annulaire gauche pour restituer l’anneau, dans certaines circonstances....

1°- Si le présent représente une valeur importante et disproportionnée par rapport à la fortune du donateur

Dans ces conditions, au regard de la fortune du donateur, son train de vie, le présent, cette bague de l’union devra être restituée même si relle aura été remise en vue du mariage. Les juges du fond apprécieront au cas par cas.

Ex : une bague qui aurait coûté 6 mois de salaires au donateur... !

facture à l’appui, Un verre solitaire, pourra être conservé, de même qu’une pierre remplie de crapaud sans grande valeur, un zirconium.. ici la valeur du bijou sera aussi basse que la valeur déployée dans l’amour du fiancé... Mais n’est-ce pas le geste qui compte ?

Article 953 du code civil : « La donation entre vifs ne pourra être révoquée que pour cause d’inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite, pour cause d’ingratitude, et pour cause de survenance d’enfants. »

Article 1088 du code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas."

On pourrait dire que les donations sont ici faites sous condition résolutoire de non célébration du mariage. La condition liée au mariage défallante , rendra caduque le don.

2°- Si la rupture est fautive

Si l’initiative de la rupture fautive vient de la jeune femme, elle devra rendre la bague qui lui a été offerte.

Si au contraire, la rupture vient du jeune homme, il ne pourra demander à la récupérer sauf s’il s’agit d’un bijou de famille ; auquel cas la fiancée devra consentir à cette restitution.

3°- Si la bague est un bijou de famille

La jurisprudence affirme, de manière constante, que les souvenirs de famille doivent être restitués quelles que soient les circonstances de la rupture 1ère Civ. 23 mars 1983, dalloz. 1984, p. 81). Ils doivent rester dans la famille, d’autant plus s’ils sont une tradition qui se transmet de génération en génération. De ce point de vue, la bague sera considérée comme un prêt.

-1ère Civ 30 octobre 2007,pourvoi n°05-14-258, confirme l’indisponibilité des bijoux de famille, lesquels ne peuvent être donnés à un tiers ( concubin, épouse, partenaire pacsé, ou fiancé),maiis seulement remis à charge de restitution. Ces derniers ne pourront venir soutenir qu’il s’agit d’un don manuel.

Il s’agira d’un prêt à charge de restitution au sens de l’article 1875 du code civil qui dispose : « Le prêt à usage est un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi. »

- Cour d’Appel de VERSAILLES 10 mars 2005 ,pourvoi n° 04/1388

Dans la cadre d’une liquidation de régime matrimonial après divorce, »... la cour observe que monsieur X... sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a ordonné la restitution de biens propres mobiliers lui appartenant sous astreinte en possession de madame Y..., à savoir une bague de fiançailles, un fusil de chasse, une collection de pièces en argent, les objets se trouvant dans un coffre et des biens mobiliers se trouvant dans la propriété de Z, alors qu’il a été débouté de sa demande en ce qu’elle portait sur la bague de fiançailles et autres objets indéterminés ; Qu’il conviendra qu’il s’explique sur ce point ... »

La preuve du bijou de famille se fera par tous moyens.

Ex photographies de la bague portée dans une soirée de famille par un membre de famille, témoignages, facture détaillée d’achat au nom d’un membre de la famille, ou de réparation d’un bijoutier ...

Ainsi, quelque soit l’occasion, si les cadeaux d’anniversaires, de naissance... peuvent être conservés à titre de don manuel... la seule caractéristique de bijou de famille, suffira à elle seule à venir en réclamer restitution des années plus tard... Pour la bague de fiançailles, l’écueil est double puisqu’à cette parade, le niveau social du donateur au regard du coût de la bague sera aussi un élément apprécié pour ordonner la restitution ....

Il est clair qu’offrir une bague, représentant un bijou de famille, et ayant une valeur onéreuse, seront deux bonnes raisons pour venir arguer de la restitution après une rupture plus ou moins fautive ! Du coup, le fiancé repartira avec " ses bijoux de famille" sous le bras !

Nous ne sommes plus très loin de l’expertise, mais aux frais de qui ? Vous l’aurez compris, finalement... pour être certain de ne jamais rendre la bague... Une valeur moindre sera suffisante, laissant à penser qu’un petit carat, vaudrait mieux qu’une grande cata !

Le beau et le cher auront un prix particulier ici ! ... Mais le prix le plus cher à payer n’est-il pas celui de la rupture, la douleur du délaissé ?

Nous ne sommes pas loin de toucher au cœur du contentieux de la bassesse et de la mesquinerie au moment des restitutions...

Il est vrai qu’aujourd’hui, les fiançailles ont tendance à tomber en désuétude. Mais certaines familles traditionnelles, demeurent attachées à cet usage...

Demeurant à votre disposition,

Maître HADDAD Sabine
Avocat au Barreau de Paris

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