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Peut-on collecter le sang de cordon de son enfant : les réponses apportées par le code de la santé publique, par Thomas Roche, Avocat
Parution : mercredi 3 février 2010
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Le dépôt de la proposition de loi relative au prélèvement et à la conservation des cellules souches issues du sang de cordon ombilical par Damien Meslot, le 5 novembre 2009, a déclenché une série de réactions unanimes affirmant que l’ouverture de banques privées en France était interdite ou bien encore que la collecte du sang de cordon de son enfant était illégale.

Face à de tels arguments, il convient peut être de revenir à la source et de s’interroger sur l’état de notre droit positif en ce qui concerne la collecte et la conservation du sang de cordon de son enfant.

Ainsi, dans un premier temps, nous nous interrogerons sur la nature juridique de ce sang de cordon pour, dans un second temps, nous apercevoir que le code de la santé publique n’est pas aussi catégorique que certains veulent bien le laisser penser.

I. Quel est le statut juridique du sang de cordon ?

La détermination du statut juridique du sang de cordon est une étape importante qui permet de déterminer ce qui est possible en terme de collecte, préparation et conservation.

Le sang de cordon ou plus précisément le sang placentaire est issu du placenta qui lui-même constitue une formation anatomique qui se développe dans l’utérus pendant la grossesse en vue d’assurer les échanges entre la mère et le fœtus.

Cet échange est assuré par le cordon ombilical.

A l’issue de l’accouchement, le cordon est clampé et coupé au niveau du nombril de l’enfant, puis environ une demi heure après la sortie de l’enfant, le placenta (et bien entendu le cordon qui reste attaché au placenta) se décolle de l’utérus sous l’action des contractions et survient alors la délivrance.

La fonction et l’utilité du placenta s’arrête lorsque le cordon est clampé pour être coupé.

En effet, par cette action, la circulation du sang placentaire entre le nouveau-né et le placenta est arrêtée et le sang placentaire tout comme le plasma n’ont plus aucune utilité vitale pour l’enfant.

En toute hypothèse, le placenta est voué à être détaché du corps de la mère qui l’abandonne. Par extension, nous pouvons en déduire que l’ensemble des composants du placenta, à savoir le sang placentaire contenu dans le placenta et le cordon ombilical suivent le même sort et sont voués à devenir des déchets.

Cette analyse semble être confirmée par les dispositions de l’article L. 1245-2 du CSP qui dispose que :

« Les tissus, les cellules et les produits du corps humain, prélevés à l’occasion d’une intervention chirurgicale pratiquée dans l’intérêt de la personne opérée, ainsi que le placenta peuvent être utilisés à des fins thérapeutiques ou scientifiques, sauf opposition exprimée par elle après qu’elle a été informée des finalités de cette utilisation. »

Il est confirmé que le placenta (et par voie de conséquence, les éléments qui le composent) doit être considéré comme un « résidu biologique ».

Compte tenu de ce statut et contrairement à certaines idées reçues et largement répandues, il n’est nullement nécessaire que les maternités, dans lesquelles sont collectés des éléments du placenta, soient autorisées par une quelconque autorité administrative.

La collecte de ce « résidu biologique » peut être opérée par n’importe quelle maternité, du moment que le personnel médical et paramédical disposent du matériel nécessaire, d’une formation adéquate et surtout respectent les bonnes pratiques de collecte.

Ainsi, le sang de cordon est avant tout un résidu biologique, mais ce statut n’est que temporaire.

Dans l’hypothèse où la mère souhaiterait faire don du sang de cordon ou le conserver pour une utilisation ultérieure à des fins thérapeutique, ce sang placentaire ne sera plus considéré comme un résidu biologique.

Dès qu’il est collecté, conditionné, donc individualisé, en vue d’être préparé pour un usage thérapeutique ultérieur, le sang placentaire change de statut juridique et doit être considéré comme un produit cellulaire à finalité thérapeutique au sens de l’article L. 1243-1 du CSP :

« A l’exception des produits sanguins labiles, sont des produits cellulaires à finalité thérapeutique les cellules humaines utilisées à des fins thérapeutiques autologues ou allogéniques, quel que soit leur niveau de transformation, y compris leurs dérivés. »

Après avoir défini le statut du sang placentaire et avant d’aborder les conditions entourant la préparation et la conservation de ce produit, il convient d’ouvrir une parenthèse sur le choix offert, pour l’instant aux mères (parents).

En d’autres termes, est-il possible qu’une mère puisse décider de conserver le sang placentaire de son enfant ?

Soyons très clair, aucune disposition législative spécifique ne prévoit cette possibilité. Nous apprenons simplement que des résidus opératoires ou biologiques peuvent être utilisés (on ne parle pas de conservation) à des fins thérapeutiques ou scientifiques.

Faut-il pour autant s’en émouvoir ou en déduire une quelconque interdiction ? La réponse est bien évidemment négative.

Il n’existe aucune interdiction formelle à une telle conservation. Par voie de conséquence, ce qui n’est pas interdit est possible.

Rappelons à ce propos l’un des principes contenu dans l’un des textes fondateurs de notre démocratie, à savoir la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 :

« Article 5. La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. »

A défaut d’être interdite, la décision de conserver le sang de cordon de son enfant demeure, malgré tout dans les faits, une liberté qui ne peut pas être exercée par les parents.

Pour l’instant, il n’existe en France, que des banques publiques qui refusent de proposer de tels services à des parents pourtant désireux de conserver le sang de cordon de leur enfant.

II. Les conditions d’encadrement de la conservation du sang de cordon

Certains raccourcis doivent être évités lorsqu’on parle de l’utilisation du sang placentaire à des fins thérapeutiques et notamment lorsque que l’on évoque une greffe du sang placentaire.

En réalité, il s’agit d’une greffe des cellules contenues dans le sang placentaire. Il est donc nécessaire de préparer ce sang placentaire en isolant les cellules qu’il contient et bien souvent de conserver ces cellules pendant une plus ou moins longue période avant leur utilisation.

Le sang placentaire doit donc subir un certain nombre d’opérations avant de devenir une préparation de thérapie cellulaire destinée à être administrée à un patient.

Les activités de préparation du sang de cordon et de conservation de ses dérivés ne peuvent être réalisées que par des organismes autorisés et il est en de même pour les procédés mis en œuvre afin d’obtenir une préparation de thérapie cellulaire.

A. L’autorisation d’activité(s) requise pour les banques de tissus et cellules

En application de l’article L. 1243-2 du CSP, seuls « peuvent assurer la préparation, la conservation, la distribution et les cessions à des fins thérapeutiques autologues ou allogéniques, des tissus et de leurs dérivés et des préparations de thérapie cellulaire, les établissements et les organismes autorisés à cet effet. »

Tout organisme, public comme privé doit, avant de développer l’une ou l’ensemble des activités mentionnées à l’article L. 1243-2 du CSP, solliciter une autorisation auprès de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).

Cette autorisation sera délivrée par le Directeur Général de l’Afssaps après avis de l’Agence de la biomédecine.

L’article L. 1243-2 du CSP évoque les produits concernés par les activités soumises à autorisation en ne mentionnant que les tissus et leurs dérivés et les préparations de thérapie cellulaire.

Cette énumération est visiblement incomplète et peut porter à confusion ou du moins soulever de nombreuses difficultés d’interprétation. En effet, cette rédaction laisse à penser que s’agissant de cellules destinées à être utilisées à des fins thérapeutiques, seuls des organismes ayant pour activité la préparation, la conservation, la cession et la distribution de préparation de thérapies cellulaires peuvent être autorisés.

Qu’en est-il alors des organismes qui souhaiteraient uniquement préparer et/ou conserver des cellules ou des produits cellulaires à finalité thérapeutique au sens de l’article L. 1243-1 du CSP ?

Tel est notamment le cas des banques privées de sang de cordon dont les prestations se limitent à traiter ce sang placentaire afin d’en extraire les cellules qu’il contient et d’en assurer la conservation pendant une période donnée.

En effet, il ne faut pas se méprendre sur les prestations proposées par les banques privées. Elles se chargent de conserver des produits cellulaires à finalité thérapeutique, c’est-à-dire des cellules humaines destinées à être utilisées à des fins thérapeutiques autologues ou allogénique.

Ces produits cellulaires à finalité thérapeutique pourront par la suite constituer des préparations de thérapie cellulaire au sens de l’article L. 1243-5 ou des spécialités pharmaceutiques ou d’autres médicaments fabriqués industriellement comme mentionné à l’article L. 1243-1 du CSP.

Les dispositions législatives semblent totalement écarter la possibilité que les cellules puissent constituer un produit de départ, une « matière première » entrant dans la composition d’un produit thérapeutique.

Il convient alors de se reporter aux dispositions réglementaires pour constater que l’article L. 1243-2 ne s’applique pas aux seuls organismes préparant et conservant des préparations de thérapie cellulaire.

L’article R. 1243-1 du CSP issu, dans sa rédaction actuelle, du décret n°2008-968 répond clairement à nos interrogations :

« Les dispositions de la présente section s’appliquent aux activités mentionnées à l’article L. 1243-2 relatives à la préparation, la conservation, la distribution ou la cession de tissus, de leurs dérivés, de cellules ou de préparations de thérapie cellulaire, quel qu’en soit le niveau de transformation, utilisés à des fins thérapeutiques chez l’homme. »

Ne nous méprenons pas, ce régime d’autorisation d’activités est autonome et n’implique pas d’être combiné systématiquement avec une autorisation de procédé tel que prévu par l’article L. 1243-5 du CSP.

2. L’autorisation de procédés est indépendante de l’autorisation d’activités

L’Agence de la biomédecine a notamment pour mission de participer à l’application de la réglementation. Encore faut-il la comprendre ou en faire une interprétation juste et objective !

Ainsi, nous pouvons lire sur le site de l’Agence de la biomédecine depuis le 22 octobre 2009 :

« le code de la santé publique prévoit que seuls peuvent assurer la préparation, la conservation, la distribution et la cession, à des fins thérapeutiques autologues ou allogéniques, des tissus et de leurs dérivés et des préparations de thérapie cellulaire, les établissements et les organismes autorisés par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (après avis de l’Agence de la biomédecine) après évaluation de leurs procédés de préparation et de conservation ainsi que de leurs indications thérapeutiques (article L. 1243-2 et L. 1243-5). Or, l’utilisation du sang de cordon autologue n’a pas à ce jour fait la preuve de son utilité thérapeutique ».

L’Agence de la biomédecine tente de démontrer que des banques privées ne peuvent, en l’état des connaissances scientifiques, être autorisées en France au prétexte qu’il n’existe aucune indication thérapeutique pour un usage autologue du sang de cordon.

Un tel argument est absolument fallacieux et procède à la contraction abusive de deux articles de loi totalement indépendants (et séparés par deux autres articles consacrés aux activités de préparation et de conservation à des fins scientifiques).

Il convient, comme nous l’avons développé précédemment de distinguer clairement l’autorisation d’activités prévue à l’article L. 1243-2 du CSP qui concerne l’ensemble des tissus et cellules, de l’autorisation de procédé qui ne concerne que les préparations de thérapie cellulaire c’est-à-dire les produits cellulaires à finalité thérapeutique destinés à être administrés à un patient, dans une indication thérapeutique particulière.

S’il l’on effectue un parallèle avec les médicaments, cela revient à distinguer l’autorisation de l’établissement pharmaceutique (Article L. 5124-1 du CSP), de l’autorisation de mise sur le marché du médicament (Article L. 5121-8 du CSP) .

Cette analyse consiste finalement à n’accepter la conservation de tissus et cellules qu’à compter du moment où il est démontré leur utilité dans le cadre d’une indication thérapeutique donnée. Voilà une belle illustration du principe de précaution tellement en vogue au sein de nos administrations sanitaires.

Surtout, n’anticipons pas d’éventuels besoins, attendons de nous retrouver face au fait accompli, en état de pénurie par exemple, pour décider de permettre à des parents la conservation du sang placentaire de leur enfant. Mais ne sera-t-il pas trop tard puisque ne l’oublions pas, les enfants ne naissent qu’une fois !

La prudence et l’application positive du principe de précaution ne devraient-elles pas conduire l’agence de la biomédecine à informer le Parlement et le Gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques entourant l’utilisation de cellules souches adultes et leur proposer les orientations et mesures qu’elles appellent ? (Art. L. 1418-1, 2° du CSP)

Au lieu de penser prospectives et anticiper les besoins de demain, l’Agence de la biomédecine préfère menacer de sanctions pénales les parents qui oseraient exporter le sang de cordon de leur enfants :

« Par ailleurs, pour effectuer cette conservation à l’étranger où elle est permise, ces sociétés privées pratiquant la conservation à usage autologue demandent aux parents de transporter ou d’envoyer par colis le sang de cordon prélevé. Or, cette pratique est illégale et punie par le code pénal (article 511-8 à 511-8-2 du code pénal) ».

Or, une fois de plus, un minimum de rigueur juridique et une certaine honnêteté intellectuelle aurait permis d’affirmer que « l’exportation est possible mais ne peut être réalisée que par des organismes autorisés. A défaut, d’être réalisé par un organisme autorisé, le fait d’exporter des tissus et cellules et notamment du sang de cordon peut être sanctionné pénalement ».

Seulement, cela nécessiterait de s’interroger sur les raisons expliquant l’absence d’organismes autorisés et impliquerait d’obtenir de l’Agence de la biomédecine et de son Conseil d’orientation quelques explications.

Thomas Roche, Avocat au Barreau de Lyon

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