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Financement de la reprise d’entreprise : Peut-on utiliser la trésorerie de la société reprise ?
Parution : mercredi 10 février 2010
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Au fil des années, les dirigeants de PME ont une tendance quasi naturelle à laisser dans la caisse sociale la trésorerie générée par l’activité.
Lorsque la société est cédée sans avoir été préalablement délestée de sa trésorerie ou de ses disponibilités excédentaires, elle est proposée à un prix nécessairement plus élevé.
Le repreneur qui achète grâce au levier de l’emprunt contracte alors une dette plus importante.
Peut-il utiliser la trésorerie une fois l’acquisition réalisée ? Cette utilisation présente t’elle des risques ?

Pourquoi une trésorerie excédentaire importante ?

Deux raisons principales semblent se dégager pour justifier la constitution d’une trésorerie excédentaire.

La première, bien naturelle, est celle de la gestion prudente face aux aléas des affaires et du commerce et à la nécessité avérée d’être en mesure de financer, en fonds propres, plus que le simple besoin en fonds de roulement. Les autres besoins sont nombreux : une baisse fortuite du chiffre d’affaires due à la défaillance d’un client, un litige aussi onéreux qu’imprévu avec un fournisseur, le raccourcissement des délais de paiement, le durcissement des règles d’assurance-crédit, ou même un concurrent à racheter rapidement !

La seconde est liée à la lourde fiscalité de la distribution. Le poids de la taxation sur les sommes versées par l’entreprise, et ce à quelque titre que ce soit (dividende annuel, réserves, réduction de capital etc.), a largement limité les velléités de décider la sortie de trésorerie des caisses sociales. Ayant déjà été amputés d’un tiers au titre de l’impôt sur les sociétés, ces fonds ne peuvent décemment subir en plus les fourches caudines de l’impôt sur le revenu, contribution sociale généralisée, contribution au remboursement de la dette sociale, taxe "revenu de solidarité active" etc.
Cette situation a quelque peu évolué récemment avec l’instauration du prélèvement fiscal libératoire permettant de "limiter" cette fiscalité à un taux jugé raisonnable de 18 % (auquel il faut ajouter les 12,1% de "contributions"), rapprochant la taxation de celle des plus-values sur cession.

Car le problème est bien là, le dirigent de l’entreprise, fiscalement avisé, préfère largement payer l’impôt de plus-value (16 % il y a quelques années et 18 % désormais) plutôt que l’impôt sur le revenu (désormais plafonné à 50 % grâce au bouclier fiscal). La trésorerie laissée dans l’entreprise augmente proportionnellement le prix de l’entreprise en cas de revente ; le choix de la fiscalité permet alors de substantielles économies.

Malgré le rapprochement des taux en cas de taxation entre distribution et plus-value, la problématique reste entière aujourd’hui car il existe désormais plusieurs dispositifs permettant d’être exonéré de l’impôt de plus-value en cas de cession de l’entreprise – alors que la "sortie de trésorerie", quelques soient ses modalités, reste toujours taxée.

En clair, pour le cédant, il est préférable sur un plan fiscal de vendre plus cher l’entreprise avec sa trésorerie excédentaire plutôt que de réaliser une importante distribution de dividendes avant la cession. L’impôt de plus-value est théoriquement moins élevé que l’impôt sur les dividendes

Encore faut-il que cela ne pose pas de problème au repreneur.

Ainsi, apparaît la vraie problématique de notre sujet puisque nous allons maintenant nous tourner du côté du repreneur.

Un surcoût embarrassant

La notion de trésorerie excédentaire, plutôt rassurante lorsque l’on parle de gestion de l’entreprise, prend une tournure moins positive lorsqu’il s’agit d’acheter la société qui en dispose. On comprend aisément la problématique quand une société dont le besoin moyen en fonds de roulement est de 100.000 ou 300.000 euros doit être vendue et qu’elle dispose d’une trésorerie libre ou placée de plus de 800.000 ou 1.000.0000 euros.

Outre le risque majeur que cet excédent peut faire peser sur la qualification d’ "outil professionnel" et l’exonération pendante au regard de l’impôt sur la fortune du cédant, on admet aisément la situation difficile du repreneur qui souhaite obtenir un financement pour le prix "normal" de l’entreprise et, en plus, pour le montant de la trésorerie excédentaire.
La trésorerie excédentaire alourdit, chez le repreneur, le poids de la dette de rachat.

Dans ce cas, il ne paraît pas illégitime de se demander si, toutes choses étant égales par ailleurs, le surcoût généré par ce "trésor de guerre" vaut réellement sa valeur au bilan.
1€ de trésorerie "réellement" excédentaire vaudrait-il vraiment 1€ dans le cadre d’une transmission, puisque l’acheteur aura peine à le financer ?

Outre la capacité économique à financer ce surcoût, notre propos s’orientera surtout sur la capacité juridique du repreneur a avoir accès, une fois l’entreprise acquise, à la trésorerie excédentaire.
En somme, pour exemple, si l’on achète pour 100 une entreprise, dont 20 de trésorerie avérée excédentaire, va-t-on pouvoir, une fois la cession réalisée, récupérer réellement et rapidement ces 20 pour, par exemple, rembourser l’emprunt qui a servi à l’acquisition ? En a-t-on juridiquement le droit ? Quels risques sont liés à cette opération ?

Pourquoi ne pas simplement fusionner société cible et holding de rachat ?

Il est vrai que le moyen le plus efficace de transférer le "trésor de guerre" d’une structure à une autre n’est pas de chercher, par tout moyen, les solutions pour procéder à une distribution mais, tout simplement, de fusionner les deux structures.

Ainsi, la holding de rachat absorberait sa cible, ou encore, la cible absorbe la société qui a elle-même acquis les titres (fusion à l’envers).
Dans cette configuration, c’est la trésorerie de la cible qui est directement mise au service du remboursement de la dette.

Il n’existe plus dans cette hypothèse qu’une seule entité. La société d’exploitation qui fonctionnait jusqu’alors sans difficulté se retrouve désormais avec, au bilan, une charge financière d’intérêts d’emprunt et une charge de trésorerie de remboursement de l’emprunt (capital + intérêts), sans réelle contrepartie à l’actif.

Une première difficulté est issue de l’article L.225-216 du code de commerce qui dispose qu’ « une société ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l’achat de ses propres actions par un tiers ». Le législateur tente par ce type de dispositif de préserver, lors de la transmission de l’entreprise, l’intégrité du capital des sociétés. Dans cette perspective, la société acquise permet, par le volume de sa trésorerie, l’achat de ses propres actions puisque c’est le but premier de la fusion.

La seconde difficulté est l’abus de biens sociaux. Ce délit, prévu par les articles L.241-3 et L.241-6 du code de commerce, sanctionne le dirigeant «  qui, de mauvaise fois, auront fait, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement ».

Le repreneur, qui dirige tant la société d’exploitation que la holding de rachat, n’a-t’il pas intérêt à prélever les fonds de la société acquise pour rembourser le prêt contracté pour sa holding de rachat personnelle ?

Si l’on se place du côté du repreneur, l’intérêt est évident. Le but premier du repreneur est de rembourser la dette d’acquisition et la fusion fait peser sur les comptes d’exploitation des charges dans l’intérêt exclusif du remboursement de la dette.

La loi se place ici aux côtés des acteurs, partenaires et créanciers de l’entreprise, et assure ainsi une protection des salariés et financeurs – au titre desquels se situent les fournisseurs au premier chef - en cas de reprise.
Voilà ainsi un risque supplémentaire pour le repreneur.

Comment donc organiser au mieux le prélèvement après rachat ?

L’actionnaire majoritaire, qu’il soit historique ou récent repreneur, dispose de toutes latitudes pour procéder aux opérations qu’il juge opportunes dans le cadre de la gestion de la société. Il dispose d’au moins trois moyens tout à fait légaux et réguliers de se distribuer des fonds de la société.

Tout d’abord il faut rappeler qu’une fois par an, il décidera de l’affectation du résultat de l’exercice précédent et le distribuer à son profit, s’il juge que la société n’en a pas besoin.

Ensuite, il ne faut pas oublier qu’à tout moment, il est en mesure de procéder à des distributions de réserves si les résultats antérieurs ont été affectés à ce poste et, qu’il apparait que la société n’en a pas besoin.

Enfin, s’il n’y a ni résultat ni réserve, il peut même décider de réduire le capital social et de s’attribuer, soit en contrepartie de la baisse de la valeur nominale des parts, soit en contrepartie d’une annulation pure et simple de celles-ci, des actifs sociaux dont fait partie la trésorerie sociale.

Le risque principal dans les trois cas, mais particulièrement dans le dernier, est alors la défaillance de l’entreprise acquise.

En effet, la théorie de l’ "acte anormal de gestion" ou de la "faute de gestion" va permettre aux créanciers sociaux, en cas de défaillance de l’entreprise, de se retourner directement contre le dirigeant qui, non content d’appréhender annuellement le résultat réalisé et de grever l’entreprise d’éventuels développements, aura également mis en danger la pérennité de la société en se séparant de réserves longuement accumulées ou en diminuant la seule richesse réputée stable de l’entreprise que constitue le capital social.

La preuve de cet acte anormal ou de cette faute semble fort simple à rapporter puisque le lien entre ce type d’opération et un état de cessation de paiement est simplissime : le dirigeant a permis une "sortie" de trésorerie, la société n’a donc plus eu les moyens d’honorer ces échéances !

En conclusion, pour rattacher ce propos à notre problématique, si, une fois la société reprise, le repreneur décide, parfaitement légalement, de distribuer la trésorerie pour lui permettre de rembourser – ce qui est souvent le cas – un crédit court terme destiné à financer le surcoût de la société causée par l’excédent de trésorerie, il s’expose clairement à une mise en jeu de sa responsabilité personnelle en cas de défaillance de l’entreprise.
Quand l’on sait que la reprise engendre très souvent une baisse d’activité à court terme, est-ce bien raisonnable ?

On pourrait répondre que cela n’est, en tout cas, pas systématiquement déraisonnable. Simplement, il suffirait de ne distribuer que la trésorerie "réellement" excédentaire. Ainsi, la trésorerie résiduelle laissée à la société d’exploitation serait celle qui couvre parfaitement le besoin en fonds de roulement. Si le besoin en fonds de roulement est couvert, il ne peut mécaniquement pas y avoir cessation des paiements.

Une telle logique revient pourtant à affirmer haut et fort que l’entreprise n’est soumise à aucun risque réel et que l’on est soi-même, outre un excellent financier qui saura déterminer avec précision le besoin immédiat et futur en fonds de roulement, un admirable visionnaire capable d’anticiper sans erreur la baisse réelle d’activité liée à la reprise et la conjoncture macroéconomique à venir !

Cela nous paraît, admettons-le, un orgueil un peu déplacé par les temps qui courent…

Article paru dans le supplément transmission de la Gazette Nord-Pas-de-Calais le 8 janvier 2010 (www.gazettenpdc.com)

CE QU’IL FAUT RETENIR :

- Acquérir une société dont la trésorerie excédentaire est très importante pose des difficultés,

- Utiliser directement la trésorerie de l’entreprise pour rembourser l’emprunt qui a servi à l’acquérir est interdit par la loi,

- Les sanctions, en cas de défaillance de l’entreprise, peuvent toucher personnellement le repreneur et son patrimoine personnel.

{Par Hubert Mroz ([->h.mroz@notaires-roubaix.fr]), et Vincent Pilarczyk ([->vincent.pilarczyk@notaires.fr]), Membres de l’INES (Institut Notarial de l'Entreprise et des Sociétés) Nord-Pas-de-Calais.}