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En matière de harcèlement, l’obligation de sécurité de l’employeur est une obligation de résultat absolue, par Wafae Ezzaïtab, Avocat
Parution : jeudi 15 avril 2010
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L’obligation de sécurité de résultat est renforcée voire même absolue en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs contre le harcèlement moral.

L’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et ce conformément aux dispositions de l’article L 4121-1 du Code du Travail, des articles L1152-1 et suivants du Code du Travail et de la directive CE n°89/391 du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et la santé des travailleurs.

Cette obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs est renforcée voire même absolue même en l’absence de faute de l’employeur.
C’est ce qu’affirme solennellement la Cour de Cassation réunie en chambre sociale le 3 février 2010 à deux reprises.

Dans la première affaire (Cass. soc., 3 février 2010 n° de pourvoi : 08-44019) : une salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail, en reprochant à l’employeur de n’avoir pas pris ses responsabilités pour la protéger de harcèlements moral d’avril à septembre 2004 puis sexuel de septembre 2004 à mars 2005 qu’elle subissait du fait du directeur associé.

La cour d’appel de Versailles dans un arrêt rendu le 17 juin 2008 rejette les demandes de la salariée aux motifs que « dès le moment où l’employeur a eu connaissance de la teneur des écrits adressés par M. Y... à Mme X... et de la « détresse », il a mis en œuvre des mesures conservatrices et protectrices destinées à permettre à la salariée de poursuivre son activité professionnelle au sein de la société en toute sérénité et sécurité, que le reproche fait par la salariée à l’employeur de n’avoir pas sanctionné M. Y... au mépris des dispositions de l’article L. 1152-5 du code du travail ne peut être retenu, M. Y... ayant démissionné de lui-même et quitté la société, que les mesures prises par l’employeur étaient adaptées à la situation ».

La Cour de Cassation casse et annule cette décision aux motifs que :

«  Attendu, d’abord, que lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission ;
Attendu, ensuite que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation, lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements ».

Le même jour, la Cour de Cassation, rend une décision reprenant la même solution de principe (Cass. soc. 3 février 2010, n° 08-40.144), les faits sont les suivants : une salariée, responsable de cafétéria d’un hôtel, dénonce le harcèlement moral dont elle est victime de la part de son directeur. L’employeur a délivré au salarié un avertissement à ce dernier puis, pour prévenir tout nouvel incident muté la salariée dans un autre établissement.
L’employeur n’est donc pas resté inerte face aux agissements de harcèlement.
Toutefois, en dépit des mesures prises par l’employeur se dernier voit sa responsabilité engagée aux motifs que : « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail de violences physiques ou morales, exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements ».

Que signifient ces deux décisions ?

On assiste à une aggravation de la responsabilité de l’employeur en matière de harcèlements moral et sexuel.
En effet, même si l’employeur prend des « mesures conservatrices et protectrices » destinées à permettre à la salariée de poursuivre son activité professionnelle en toute sérénité et sécurité et ainsi faire cesser ces agissements, la responsabilité de l’employeur est engagée sur le fondement du non respect de l’obligation de résultat de protection de la santé et de sécurité des travailleurs.
Quelles sont les conséquences de ces décisions ?
La rupture du contrat de travail par la salariée victime de harcèlement est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse aux torts de l’employeur.
La solution est particulièrement sévère à l’égard des employeurs et favorable pour les salariés car dorénavant même si l’employeur prend des mesures pour faire cesser les agissements de harcèlement sa responsabilité est engagée. L’employeur doit donc éviter la réalisation du harcèlement moral !
On remarque que l’évolution de la jurisprudence de la Cour de Cassation est favorable aux salariés puisque :
-  Le harcèlement moral est constitué même en l’absence d’intention de nuire de l’auteur (Cass. Soc. 10/11/2009 n°08-41.497).

-  Certaines méthodes de gestion peuvent caractériser le harcèlement moral (Cass. Soc. 10/11/2009 n°07-45.321).

-  Le harcèlement moral est constitué lorsque « l’employeur avait imposé à la salariée de manière répétée, au mépris des prescriptions du médecin du travail, d’effectuer des tâches de manutention lourde qui avaient provoqué de nombreux arrêts de travail puis, au vu des avis médicaux successifs, qu’il avait proposé des postes d’un niveau inférieur à celui d’agent de maîtrise, en particulier à cinq reprises le poste d’hôtesse au service client qui était lui-même incompatible avec les préconisations du médecin du travail » (Cass. Soc. 28/01/2010).

Ainsi, on assiste à une extension du champ du harcèlement moral et à un renforcement de l’obligation de sécurité de l’employeur qui est une obligation de résultat absolue en matière de harcèlement moral.

Wafae EZZAÏTAB

Avocat au Barreau de Paris

http://www.cabinetwafaeezzaitab.fr