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Une nouvelle affaire de corruption : mise en examen de deux agents du trésor public à Marseille, par Rosa Ana Cano, Juriste et Docteur en droit
Parution : lundi 26 avril 2010
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Deux agents du Trésor Public de Marseille ont été mis en examen pour corruption cette semaine, et également pour faux et usage de faux.

En effet ceux-ci sont soupçonnés d’avoir minoré des redressements fiscaux de plusieurs sociétés contre rémunération, cette nouvelle affaire aurait coûté à l’État français plusieurs millions d’Euros. Pour le moment, les gendarmes continuent à mener leurs investigations sur les exercices des trois dernières années.

C’est donc l’occasion d’expliquer ce qu’est l’infraction de corruption active d’agents publics et quels en sont ses éléments constitutifs que nous expliquerons en premier lieu, puis la corruption passive d’agents publics.

1. La corruption active d’agents publics nationaux

La corruption active d’agents publics nationaux est sanctionnée par l’article 433-1 du Code pénal.
L’article 433-1 vise le fait de proposer à une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public sans droit directement ou indirectement des offres, des dons, des présents ou des avantages quelconques ou à céder à une même personne qui sollicite les mêmes dons, promesses, ou avantages.

Dans tous les cas, celui qui offre le pot-de-vin ou l’avantage indu doit agir sans droit, ce qui est par exemple le cas d’un élu qui sollicite des fonds destinés au financement d’activités politiques. Depuis la loi du 30 juin 2000, il peut agir à tout moment, ce qui supprime la condition d’antériorité du pacte de corruption conclu antérieurement à l’accomplissement ou à l’abstention de l’acte de la fonction promis ou accompli en contrepartie de l’avantage indu ou offert.

Les buts de la corruption d’agents publics qu’elle soit active ou passive sont identiques et tendent à obtenir que l’agent public accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction.

Peu importe que les moyens utilisés aient ou non produit leurs effets, que le corrompu ait ou non l’intention ou les moyens d’atteindre le résultat escompté, qu’il ait ou non accepté l’offre qu’on lui faisait.

Nous allons définir en premier lieu la notion d’agent public (a).

a) la notion d’agent public

L’agent public est défini dans le code pénal comme toute personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public.
Ainsi est considéré comme titulaire d’un mandat électif public des sénateurs et des députés, aux conseillers municipaux, au président d’un conseil général. L’expression « investie d’un mandat électif » existe depuis longtemps, la jurisprudence reconnaît donc la qualité d’agent public aux personnes élues aussi lors d’élections nationales que locales. Nous constatons que l’expression « mandat exécutif » n’est pas utilisée dans l’article 433-1 du Code pénal. Le Président de la République étant couvert par une immunité de juridiction pendant toute la durée de son mandat, celui-ci ne pourrait pas être poursuivi pour corruption passive, néanmoins on peut se demander si une personne offrant un pot-de-vin au chef de l’État pourrait être poursuivie pour corruption active. La réponse est positive.

En effet, le Président est élu au suffrage universel direct, il est donc investi d’un mandat électif public.

Les officiers et agents de police, les inspecteurs chargés des examens pour l’obtention du permis de conduire sont considérés comme des personnes dépositaires de l’autorité publique. Les personnes dépositaires de l’autorité publiques sont les policiers, les douaniers ou toute autre personne mettant en œuvre « l’imperium » de l’État, ce qui correspond aux fonctions régaliennes.

Les personnes chargées d’une mission de service public peuvent être des personnes privées chargées d’une mission de service public, tel qu’un concessionnaire de service public. Il en est ainsi pour les agents de la Régie Autonome des Transports Parisiens Parisiens.

La corruption d’un magistrat, de juré, expert ou arbitre est incriminée par l’article 434-9 du Code pénal et celles des membres d’une profession médicale ou de santé relève des dispositions de l’article 441-8 du Code pénal.

Les termes « personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public » sont les élus, les fonctionnaires ou les personnes revêtues d’une partie de l’autorité publique et qui concourent à la gestion des affaires publiques.
L’un des éléments les plus importants est l’existence du pacte de corruption (b).

b) le pacte de corruption

La corruption active prend la forme comme nous l’avons indiqué à plusieurs reprises d’offres, de promesses, de dons, de présents fait dans l’intention de corrompre sans qu’il soit besoin que les personnes sollicitées aient été en outre l’objet de propositions verbales ou écrites.

Le délit est consommé dès que les moyens énoncés par la loi en vue du but qu’elle définit, ainsi l’offre d’une somme d’argent constitue non pas une tentative qui ne serait pas punissable, mais le délit même de corruption active.

Par exemple, un tribunal correctionnel a jugé que le fait pour un prévenu de s’être engagé à verser une somme d’argent pour obtenir un marché d’un office public HLM.

En ce qui concerne l’interprétation de l’expression « sans droit », est nécessairement « sans droit » la sollicitation de la part d’un élu de fonds destinés au financement d’activités politiques en vue d’accomplir un acte de sa fonction, il ne saurait donc être soutenu que si la sollicitation de fonds par des élus destinés aux besoins d’un financement politique était irrégulier comme excédant le montant maximal de la loi n°90-55 du 15 janvier 1990...

Dans le pacte de corruption, il y a un concert frauduleux entre les parties, en contrepartie des avantages versés à l’agent public, celui-ci accomplit ou s’abstient d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions. ( c)

c) un acte de sa fonction ou un acte facilité par sa fonction

Un acte facilité par la fonction est un acte qui sans relever des fonctions de l’agent public est facilité par elle. Un cour d’appel qui pour déclarer coupable de corruption passive le prévenu a retenu que ce dernier, fonctionnaire de la préfecture, affecté au service du logement a proposé à des étrangers en situation irrégulière de leur fournir un titre de séjour moyennant rémunération, une somme de 2000 Francs ayant été effectivement versée, peu importe que la délivrance des titres de séjours, ait été en dehors de ses attributions personnelles dès lors qu’il résulte tant de l’article 177 al 3 ancien applicable à l’époque des faits que de l’article 432-11 du Code pénal.

On peut définir l’acte de la fonction, de la mission ou du mandat, l’acte dont l’accomplissement ou l’abstention est imposé par la loi ou les règlements applicables à la fonction de la personne qui l’exerce. Cette définition comprend non seulement les actes qu’il appartient au titulaire de la fonction, de la mission ou du mandat d’accomplir seul ou avec le concours avec d’autres, mais encore ceux à la préparation desquels il participe, sans pouvoir les accomplir lui-même, ou ceux dont les devoirs de sa charge lui font l’obligation de s’abstenir. La loi ne distingue pas les actes pour lesquels l’agent dispose d’une compétence liée ou d’un pouvoir discrétionnaire, les deux cas sont couverts.

L’acte de la fonction constitue au sens de l’article 177 al 1er de l’ancien Code pénal le délit de corruption passive.
L’acte de la fonction entre dans les attributions ou les compétences du fonctionnaire ou de l’agent public. L’acte facilité par la fonction, la mission ou le mandat, est un acte qui bien que ne ressortissant pas aux attributions données expressément à l’intéressé par les lois et les règlements a été rendu possible par elles en raison du lien étroit unissant les attributions et l’acte.

Le juge appréciera au vu des éléments de l’espèce, si l’acte est un acte de la fonction ou facilité par la fonction, cette conviction n’exigeant pas qu’il se réfère précisément aux lois prévoyant les attributions de l’agent public étranger.
Les sanctions pénales encourues tant par les personnes physiques que par les personnes morales en cas de corruption active d’agents publics nationaux seront brièvement présentées (d).

d) la répression de la corruption active pour les personnes physiques et les personnes morales

Les personnes physiques encourent une peine d’emprisonnement de dix ans et une amende et de 150 000 Euros d’amende tandis que les personnes morales encourent une amende du quintuple, et l’une des peines complémentaires prévues à l’article 131-39 du code pénal telles que l’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales, le placement, pour une durée de cinq ans au plus sous surveillance judiciaire, la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit…

La corruption passive sera maintenant traitée.

2.La corruption passive d’agents publics nationaux

L’article 432-11 du Code pénal français sanctionne la corruption passive d’agents publics nationaux.
Alors que l’ancien article 177 du code pénal regroupait dans une seule disposition tous les cas de corruption, la réforme du Code pénal de 1992 a entraîné un éclatement des incriminations de corruption active et passive. L’article 432-11 n’incrimine que la corruption passive d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public.

Il en est ainsi pour la corruption d’un maire, d’un Président de Chambre des métiers, d’un fonctionnaire, d’un syndic de faillite. Cette disposition vise les élus, les fonctionnaires et les personnes disposant d’une partie de l’autorité publique.

La corruption consiste à « solliciter ou agréer sans droit, directement ou indirectement des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages que conques.

La corruption passive est constituée dès lors que le corrompu accepte ce qu’on lui offre ou qu’il prend l’initiative de solliciter l’avantage indu.

Les moyens de la corruption consistent à solliciter ou agréer une contrepartie à caractère pécuniaire. Elle prend fréquemment la forme de versements directs de sommes d’argent ou de remises d’objets de valeur, mais elle peut aussi consister à payer des dettes, à consentir des prix avantageux, à offrir des voyages d’agrément au corrompu ou à ses proches.

Les dons ou les avantages sont souvent consentis avant que le corrompu n’accomplisse l’acte désiré. Il peut arriver aussi que le corrupteur ne fasse qu’une promesse de don qui deviendra réalité une fois seulement que le corrompu a accompli l’acte de sa fonction ou facilité par sa fonction.

Jusqu’à la modification des articles 433-1 et 432-11 du code pénal par la loi du 30 juin 2000 qui a introduit l’expression « sans droit », l’antériorité du pacte de corruption devait être prouvée. En effet, la Cour de cassation subordonnait la commission de l’infraction à la preuve de l’antériorité du pacte de corruption comportant la promesse d’une remise ultérieure du pot-de-vin. En revanche, il n’est pas nécessaire de préciser l’antériorité lorsque la corruption comporte des relations suivies entre le corrupteur et l’agent public corrompu ou lorsque la corruption se traduit par un ensemble d‘actes réitérés . Comme l’a précisé la Cour de cassation « les dons récompensant les actes passés ont pour but de faciliter les services futurs »

Quelle que soit la date où la corruption a été commise, l’agent public corrompu sollicite ou accepte des dons pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte, de sa fonction, de sa mission ou de son mandat. Un lien de causalité direct et certain doit donc être établi entre les dons ou promesses de don et l’acte de fonction qui en découle ou qui l’a précédé. L’acte accompli par le fonctionnaire pourra être un acte positif comme un abattement sur les revenus imposables consenti par un inspecteur des impôts, la fourniture de renseignements sur les futurs marchés de travaux publics et une simple abstention comme la corruption destinée à obtenir d’une personne habilitée qu’elle ne dresse pas procès-verbal de l’infraction constatée

L’article 432-11 étend la corruption à l’exécution ou à l’abstention d’actes seulement facilités par la fonction, la mission ou le mandat, cela permet de poursuivre la rémunération d’actes n’entrant pas directement dans les attributions du corrompu.
Le corrompu encourt les mêmes peines que le particulier corrupteur.

Les sanctions (1) et les particularités de l’infraction (2) seront présentées successivement.

1) Les peines

Le fonctionnaire corrompu encourt dix ans d’emprisonnement et 150 000 Euros d’amende, ainsi que les peines complémentaires prévues à l’article 432-17 du code pénal telles que l’interdiction de droits civiques, l’interdiction d’exercer une fonction publique et la confiscation des sommes ou des objets reçus.

2) Les particularités de l’infraction

La tentative de corruption n’est pas incriminée, puisque l’infraction de corruption passive est commise du seul fait de la sollicitation du pot-de-vin et indépendamment du fait de savoir si les avantages promis seront remis ou si l’acte de la fonction sera accompli. En cas de remise d’un don, cet acte marque le point de départ du délai de prescription.
Si des relations suivies existent et sont marquées par une succession de services rendus et rémunérés, la prescription ne commence à courir qu’à compter du dernier de ces actes

Cette nouvelle affaire de corruption montre le caractère complexe de cette infraction quand il faut la qualifier juridiquement, et tout cela dépend des circonstances dans laquelle le délit a été commis.

Cette affaire est clairement un exemple de corruption passive.

Rosa Ana Cano, juriste et docteur en droit