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L’abus du droit de se clore par Christophe Buffet, Avocat
Parution : vendredi 7 mai 2010
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Peut-on abuser du droit de se clore ?

Autrement dit, le fait de se clore, de poser une clôture peut-il être abusif et donner lieu à des dommages et intérêts ou à une décision judiciaire condamnant le propriétaire qui a posé la clôture à procéder à l’enlèvement de celle-ci ?

Par principe, cela n’est pas à exclure, car la théorie de l’abus de droit est d’application générale.

En pratique toutefois, les décisions sont rares qui appliquent la notion d’abus de droit au droit de se clore.

Voici deux décisions dont la première retient un tel abus de droit et le sanctionne, et dont la seconde rejette la notion d’abus de droit. Enfin, un arrêt familier et ancien qui va vous rappeler vos études ...

1. Premier arrêt

L’abus est retenu, car le but de la clôture était de se dérober à une condamnation antérieure :

« Attendu qu’ayant relevé qu’en construisant un ouvrage qui n’avait d’autre utilité que de dissimuler à ses voisins les épaves et matériaux déposés sur son terrain, M. X... avait cherché à se dérober à une condamnation antérieure à enlever ces dépôts et à supprimer aux époux Y... toute vue autre que celle d’une maçonnerie brute et très proche, abusant ainsi du droit de se clore, la cour d’appel a, par ces seuls motifs qui excluaient qu’elle ait à répondre à des conclusions sans portée, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ; Condamne M. X... à payer aux époux Y... la somme de huit mille francs en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Le condamne aux dépens et aux frais d’exécution du présent arrêt ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du cinq janvier mil neuf cent quatre vingt treize. »

2. Deuxième arrêt

L’abus n’est pas retenu car le muret avait bien une utilité et le trouble anormal du voisinage est rejeté également :

«  Les époux X...et la SCI ETABLISSEMENTS GATEAU sont propriétaires sur la commune de GENLIS de parcelles contiguës sur lesquelles ils exploitent pour les premiers, un fond de commerce de vente au détail d’articles divers, sous l’enseigne " Atout fête " et pour la seconde, un commerce de détail sous l’enseigne " Espace Ménager Loisirs ".

Par acte du 2 février 2005, M. et Mme X...ont fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance de DIJON la SCI ETABLISSEMENT GATEAU en démolition du mur qu’elle a fait édifier en limite des deux propriétés.

Par jugement rendu le 7 novembre 2006 a :

-dit que la construction du mur litigieux, par la SCI ETABLISSEMENTS GATEAU constitue un abus de droit au préjudice des époux X...,

- condamné la SCI ETABLISSEMENTS GATEAU à démolir le mur édifié en limite des propriétés cadastrées sur la commune de GENLIS AP 237 et AP 238, sous astreinte de 100 € par jour de retard à l’expiration d’un délai de 30 jours suivant la signification du jugement,

- dit que passé un délai de trois mois, à compter de la signification du jugement, les demandeurs pourront faire réaliser les travaux de démolition par une entreprise de leur choix, aux frais de la défenderesse,

- s’est réservé la liquidation de l’astreinte,

- a débouté les époux X...de leur demande de dommages et intérêts,

- a condamné la SCI ETABLISSEMENTS GATEAU à leur payer 1. 200 € au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 5 décembre 2006, la SCI ETABLISSEMENTS GATEAU a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses écritures déposées le 2 mars 2007, elle conclut à la réformation du jugement déféré et demande à la Cour de débouter les époux X...de leurs prétentions et de les condamner au paiement d’une somme de 5. 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre 2. 000 € au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dans leurs écritures déposées le 17 avril 2007, M. et Mme X...concluent au débouté des prétentions de l’appelante, à la confirmation du jugement déféré, et à la condamnation de la SCI ETABLISSEMENTS GATEAU à leur payer 5. 000 € à titre de dommages et intérêts et 2. 000 € au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Cour se réfère pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties à la décision déférée et aux conclusions échangées en appel et plus haut visées.

SUR CE, LA COUR :

Attendu que le litige opposant les parties porte sur l’édification par la SCI ETABLISSEMENTS GATEAU, à l’intérieur des limites de sa propriété, d’un muret de clôture séparatif du fonds des époux X... ;

Attendu qu’au soutien de son recours, la SCI ETABLISSEMENTS GATEAU revendique le droit légitime de se clore et fait valoir que c’est à tort que le tribunal a considéré qu’elle en avait fait un usage abusif alors qu’elle justifie de l’utilité pour elle de cette construction ;

Attendu que M. et Mme X...soutiennent pour leur part que l’appréciation du tribunal sur l’existence de l’abus de droit commis par la SCI ETABLISSEMENTS GATEAU doit être confirmée ; qu’ils ajoutent qu’en tout état de cause la construction litigieuse est à l’origine d’un trouble anormal de voisinage ;

Attendu, s’agissant de l’abus de droit, que l’article 647 du Code civil donne à tout propriétaire le droit de clore son héritage ;

Que pour retenir l’existence d’un exercice abusif de ce droit, il doit être démontré que la SCI ETABLISSEMENTS GATEAU a fait édifier la clôture litigieuse dans l’intention de nuire à ses voisins ; que pour en justifier M. et Mme X...exposent que cette intention se déduit de l’absence d’utilité de l’ouvrage et de sa construction après que la SCI ETABLISSEMENTS GATEAU ait succombé dans un premier procès ayant opposé les parties ;

Mais attendu qu’il est justifié que le muret est utilisé par la SCI ETABLISSEMENTS GATEAU aux fins de location de plusieurs panneaux publicitaires qui sont source pour elle de perception de loyers ; qu’en outre il est produit aux débats plusieurs attestations établissant que sa construction lui a permis de faire cesser l’utilisation faite par ses voisins de la clôture en grillage qu’elle avait précédemment posée, pour y accrocher leurs marchandises ; qu’il résulte de ces éléments que la construction litigieuse présente bien pour elle un intérêt ; que le fait qu’elle ait été édifiée après la perte d’un premier procès ne suffit pas à caractériser un exercice abusif de son droit de se clore ;

Attendu, s’agissant du trouble anormal de voisinage, qu’il ressort des constats et photographies produits aux débats que si la construction du mur a incontestablement pour effet de rendre moins visible de la rue et moins accessible la petite partie de l’emplacement exploité le long du mur, dont il doit être noté que l’accès est également réduit par le choix des époux X...d’y implanter un distributeur automatique de boissons, elle ne porte en revanche aucune atteinte à la façade principale de leur magasin qui donne directement sur la rue et reste entièrement accessible et visible ; que compte tenu de son caractère limité, la gêne occasionnée à l’exploitation du fonds de commerce des époux X...ne dépasse pas la mesure des obligations ordinaires du voisinage ; qu’elle n’est donc pas de nature à engager la responsabilité de la SCI ETABLISSEMENTS GATEAU ;

Attendu que le jugement déféré doit donc être infirmé et M. et Mme X...déboutés de leurs demandes en démolition et en dommages et intérêts. »

Enfin un rappel historique :

Dans la théorie juridique de l’abus de droit, l’un des arrêts fondateurs avait été rendu précisément dans une instance où l’article 647 du Code civil ("Tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l’exception portée en l’article 682") était cité :

« LA COUR :

Sur le moyen de pourvoi pris de la violation des articles 544 et suivants, 552 et suivants du code civil, des règles du droit de propriété et plus spécialement du droit de clore, violation par fausse application des articles 1388 et suivants du code civil, violation de l’article 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs et de base légale.

Attendu qu’il ressort de l’arrêt attaqué que Coquerel a installé sur son terrain attenant à celui de Clément-Bayard, des carcasses en bois de seize mètres de hauteur surmontées de tiges de fer pointues ; que le dispositif ne présentait pour l’exploitation du terrain de Coquerel aucune utilité et n’avait été érigée que dans l’unique but de nuire à Clément-Bayard, sans d’ailleurs, à la hauteur à laquelle il avait été élevé, constituer au sens de l’article 647 du code civil, la clôture que le propriétaire est autorisé à construire pour la protection de ses intérêts légitimes ; que, dans cette situation des faits, l’arrêt a pu apprécier qu’il y avait eu par Coquerel abus de son droit et, d’une part, le condamner à la réparation du dommage causé à un ballon dirigeable de Clément-Bayard, d’autre part, ordonner l’enlèvement des tiges de fer surmontant les carcasses en bois.

Attendu que, sans contradiction, l’arrêt a pu refuser la destruction du surplus du dispositif dont la suppression était également réclamée, par le motif qu’il n’était pas démontré que ce dispositif eût jusqu’à présent causé du dommage à Clément-Bayard et dût nécessairement lui en causer dans l’avenir.

Attendu que l’arrêt trouve une base légale dans ces constatations ; que, dûment motivé, il n’a point, en statuant ainsi qu’il l’a fait, violé ou faussement appliqué les règles de droit ou les textes visés au moyen.

Par ces motifs, rejette la requête, condamne le demandeur à l’amende.

Ainsi fait jugé et prononcé par la Cour de Cassation, Chambre des Requêtes, en son audience publique du trois août mil neuf cent quinze. »

Christophe BUFFET

Avocat spécialiste en droit immobilier et en droit public

christophe.buffet chez gmail.com

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