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Avocats et Spécialisations : L’enquête du Village de la justice (II)
Parution : vendredi 4 juin 2010
Adresse de l'article original :
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Des questions reviennent fréquemment sur les forums du Village de la justice, où bon nombre d’échanges ont lieu sur ce thème : "Un Master 2 lie t-il un avocat à sa future spécialité ?" (sous entendu, la formation initiale peut elle “coincer” ou aider ? Quand et pourquoi se spécialise-t-on ?)... "Vaut-il mieux être spécialiste ou généraliste pour sa carrière ?", etc.

A l’heure de la réforme des spécialisations des avocats par le Conseil National des Barreaux, nous avons enquêté pour savoir ce que les avocats et les recruteurs pensent du sujet... Car en pratique, ce sont eux qui sont en première ligne sur cette notion.

... Suite de la première partie du dossier...

3. Qu’en disent les cabinets de recrutement, qui sont au cœur des demandes des cabinets d’avocats ?

Evidemment bien placés pour s’exprimer sur cette question, les cabinets de recrutement ont le recul nécessaire, non seulement pour appréhender la diversité des situations, mais aussi leurs évolutions.
Pour eux, c’est “Oui à la spécialité, mais...” :

Pour Christian Lamy (cabinet Jurispartner - Groupe William Sinclair), “la spécialisation permet d’être reconnu en tant qu’expert, et c’est positif pour la carrière des avocats et leurs cabinets.
Mais attention, si vous évoluez vers l’entreprise, cela peut vous fermer des portes : une spécialité forte acquise après des années de pratique est restrictive pour une entreprise, qui cherche plutôt la polyvalence
”.

Blandine Cordier-Palasse (Blandine Cordier Conseil Executive Search) nous indique même qu’il ne faut pas se précipiter pour se spécialiser :
Pour les jeunes avocats, il est important qu’ils “tournent” au sein du cabinet dans les divers domaines d’activité afin d’appréhender les différentes problématiques fondamentales et acquérir des réflexes de base sur ces sujets. Cela permet à l’avocat d’acquérir une vision la plus transverse et la plus globale possible de questions qui peuvent être posées par un client.
Dans un second temps, les avocats sont amenés à se spécialiser compte tenu de la complexité croissante du droit et de la taille des cabinets.
Toutefois certains spécialisations telles que le M&A sont moins pénalisantes et restrictives que d’autres. Elles font appel à des connaissances très larges dans les divers domaines juridiques pour lesquels il est fondamental d’avoir une vision globale de l’entreprise. Celle-ci permet d’être pro actif pour soulever des problématiques sur des sujets très larges
”... et ça c’est un atout pour l’avocat et le cabinet.

Attention donc aux spécialisations trop poussées !
(On rappellera par exemple qu’il y a eu une tentative en Suisse de créer une spécialité officielle en “droit des animaux”. En France, de nombreux avocats se sont par exemple “spécialisés”, avec l’arrivée des radars automatiques, dans le droit automobile, consistant souvent à contester les PV. Est-ce aller trop loin ? C’est à réfléchir...)

Pour Xavier Linel (cabinet Equiteam), il y a aussi des situations personnelles : “Concernant les avocats de cabinets internationaux à Paris, il faut qu’un avocat soit connu dans un domaine précis, pour des raisons de lisibilité de sa pratique professionnelle et de sa renommée sur le marché.
En cas de crise, comme par exemple récemment en private equity, les avocats reconnus dans ce domaine ont pu trouver des "rebonds" en bifurquant légèrement leur pratique vers le restructuring. Un très bon avocat en M&A doit aussi être capable de faire du contentieux lié à la matière que ce soit en droit des sociétés par exemple ou du contentieux entre les actionnaires... La spécialisation doit donc être relative.
C’est surtout pour les juniors qu’il y a risque de trop de spécialisation dans les premières années de pratique.
"

Et pour le développement des cabinets d’avocats, “c’est un peu la même logique, il faut avoir des spécialités reconnues, qui donnent une image claire du positionnement du cabinet” nous indique encore Xavier Linel.

Sur ce sujet, Blandine Cordier-Palasse conclut : “Des spécialisations sur certaines niches d’activité peuvent en effet permettre le développement tout particulier d’un cabinet. Cette niche doit être pérenne ; la compétence et l’expertise du cabinet doivent être reconnues pour que les clients aient envie ou besoin de faire appel à ce cabinet spécifiquement sur ce sujet pointu qui ne doit pas nécessiter d’avoir une vision globale de l’entreprise.

4. Citations...

Nous terminons ce dossier par quelques citations choisies, pour vous inviter à la réflexion...

“Actuellement, aux spécialisations s’ajoutent les "activités dominantes" et les "champs de compétence" ; cette distinction est peu lisible et vient parasiter l’existence des mentions de spécialisation. Il conviendrait que, dans le cadre d’une réforme, les activités dominantes et les champs de compétence disparaissent.”

“Le bouche à oreilles se charge de la réputation ! (en bien ou en mal). En 40 ans de carrière, personne n’a jamais sonné à ma porte pour me confier un meurtre ou même un divorce !”

“Il faudrait aussi tenter d’harmoniser ces mentions avec les mentions académiques des universitaires.”

“Les mentions officielles me semblent incomplètes. La notion de spécialisé en droit des sociétés est à mon sens d’ores et déjà une notion trop généraliste par exemple...”

“Le marché (confrères + professionnels du secteur) ne reconnaît pas toujours les mentions...”

“Dans la pratique, de plus en plus de cabinets fonctionnent par départements spécialisés ; les avocats se concentrent ainsi de facto dans un domaine d’activité spécifique et se spécialisent par obligation.”

“Pour certains domaines, il faut une formation et une expérience relativement hétérogène (droit public et droit privé, voir international ou en procédure....). Une délimitation stricte n’a pas de sens...”

“La spécialisation a trop souvent pour résultat une méconnaissance de la procédure ; or il faut rester généraliste de la procédure qui concerne tous les domaines du droit.”

“La spécialité doit être validée officiellement (examen de dossier, examen à passer, ...) et non pas auto proclamée !”

“Trop de domaines sont oubliés par les spécialités (droit pharmaceutique...) !” (sujet fréquemment indiqué)

“En raison de l’évolution rapide de certaines matières, il est dommage que les mentions de spécialisation soit acquise une fois pour toutes. Un avocat compétent il y a 10 ans dans une matière donnée et ayant obtenu un certificat de spécialisation à cette époque peut ne plus du tout être à jour 10 ans plus tard.”

“Je pense que cette notion facilite le choix du client tout en le rassurant”.

“Il parait anormal que des praticiens d’une seule spécialité indiquent qu’ils sont généralistes pour des raisons uniquement déontologiques, déconnectées de la réalité, ou que des non praticiens puissent indiquer plusieurs spécialités non pratiquées en tant que spécialiste car ils ont un titre pour le faire. Le client est trompé dans les deux cas.”

“La mention de spécialisation permet hélas parfois de justifier un honoraire beaucoup plus élevé alors que certains ne suivent jamais de formation dans la ou les matières dont ils se disent spécialistes et ne sont pas meilleurs que d’autres.”

“Dans un grand barreau il est indispensable d’être spécialisé”.

“La notion d’activité dominante, avec par exemple, une formation continue plus poussée dans ces domaines, me semble plus adaptée, et laisse la possibilité d’évoluer tout au long de la vie professionnelle.”

“La spécialisation de l’avocat : Un futur ? OUI. Une amélioration pour la profession ? Moins sûr : Cette spécialisation dénature le métier d’avocat pour se rapprocher du legal counsel du modèle anglo-saxon”.

“La spécialisation des avocats s’acquiert par l’expérience et je m’interroge sur la nécessité de tout cet encadrement des spécialisations. Dans les barreaux étrangers cela n’existe pas...”

“Il ne peut y avoir de spécialisation qu’en des matières spécifiques extérieures au droit général ; exemple, le divorce n’est pas une spécialité même si ce peut être une activité dominante.”

“Les clients sont demandeurs et c’est à nous de leur fournir une information répondant à cette attente.”

“Les spécialisations ne sont pas assez défendues par les Ordres, car fleurissent sur internet des sites d’untel ou untel se disant spécialiste ou indiquant qu’il pratique tel type de contentieux, alors que cela est normalement réservé aux détenteurs des spécialité (par le droit immobilier pour ne pas les nommer).”

Rédaction du village