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Le compte séparé et les règles de maniement de fonds applicables aux syndics de copropriété, par Nicolas Pillon, Avocat
Parution : mardi 8 juin 2010
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Dans le cadre de sa mission d’administration, de conservation et d’entretien de l’immeuble, le syndic de copropriété est chargé de recouvrer les créances du syndicat des copropriétaires et de régler les dettes de ce dernier.

Le syndic est donc amené quotidiennement à régler des sommes d’argent au nom et pour le compte de la copropriété et à percevoir des fonds qu’il dépose sur un compte bancaire.

Le maniement des fonds ainsi reçus par le syndic est strictement encadré.

L’article 18 de la loi du 10 juillet 1965 n°65-557 (fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis) impose au syndic d’ouvrir un compte bancaire « séparé » au nom du syndicat et de déposer sur ce compte toutes les sommes reçues au nom ou pour le compte du syndicat :

« Le syndic est chargé (…) d’ouvrir un compte bancaire ou postal séparé au nom du syndicat sur lequel sont versées sans délai toutes les sommes ou valeurs reçues au nom ou pour le compte du syndicat. (…) »

Cette obligation légale n’est pas toujours respectée (loin s’en faut).

Pourtant, elle est assortie d’une sanction draconienne.

En effet, en l’absence d’ouverture d’un compte séparé dans les trois mois suivant la désignation du syndic, le mandat de ce dernier est nul de plein droit (autrement dit, de par le seul effet de la loi et avant même qu’une décision judiciaire constate cette irrégularité) :

« La méconnaissance par le syndic de cette obligation emporte la nullité de plein droit de son mandat à l’expiration du délai de trois mois suivant sa désignation. »

La nullité du mandat du syndic a des conséquences importantes.

Elle est susceptible d’affecter notamment la validité desassemblées générales convoquées par ce syndic et la régularité des procédures judiciaires impliquant la copropriété.

Afin de ménager les intérêts des copropriétés administrées par des syndics indélicats (ou négligent), dont le mandat serait invalidé par l’effet de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965, cette disposition précise toutefois que :

« les actes qu’il aurait passés avec des tiers de bonne foi demeurent valables. »

Cette disposition permet ainsi de sécuriser les conventions conclues entre le syndicat des copropriétaires et des tiers non informés de la nullité du mandat du syndic.

Qu’est ce qu’un compte bancaire « séparé » ?

Cette question a parfois donné lieu à certaines approximations en jurisprudence.

La Cour de cassation a donc été amenée à préciser qu’un « compte séparé » au sens de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965 est un compte bancaire ouvert au nom du syndicat des copropriétaires et dont celui-ci est seul titulaire :

« le syndicat des copropriétaires doit être titulaire d’un compte bancaire ou postal séparé ouvert à son nom »

Civ.3, 9 avril 2008, N° de pourvoi : 07-12268, Bulletin 2008, III, N° 66, Décision attaquée : Cour d’appel de Paris du 7 décembre 2006

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000018644093&fastReqId=1966955038&fastPos=1

http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/troisieme_chambre_civile_572/arret_no_11493.html

Cette décision a permis de clarifier définitivement la notion de compte séparé, en rappelant expressément qu’un compte séparé est tout simplement un compte bancaire dont le titulaire est le syndicat des copropriétaires.

Il en résulte qu’un compte bancaire ne peut pas être qualifié de compte séparé, s’il apparait que le titulaire de ce compte est le syndic.

A cet égard, il importe peu qu’un tel compte ait été utilisé pour recueillir les fonds d’une seule et unique copropriété ou que ce compte ait été affecté de «  sous comptes individualisés  » : le «  sous compte » d’un compte ouvert au nom du syndic n’est pas un « compte séparé » (Cour de cassation, Civ. 3, 3 mai 2001 Rev. Administrer, octobre 2001).

A quoi sert un compte séparé ?

Le compte séparé est un instrument de transparence et de clarté comptable.

En effet, il permet d’isoler les fonds des différentes copropriétés administrées par un même syndic.

Il prévient ainsi toute confusion entre les actifs de ces syndicats et ceux du syndic ou des autres copropriétés administrées par ce dernier.

Par ailleurs, il permet au syndicat des copropriétaires de bénéficier des fruits et des produits financiers (intérêts, etc…) générés par ses propres capitaux (alors que les intérêts produits par des fonds déposés sur le compte de syndic bénéficient à ce dernier).

Mais surtout, un compte séparé permet de garantir au syndicat des copropriétaires que ses fonds ne pourront pas être appréhendés par les créanciers personnels du syndic ou d’une autre copropriété gérée par ce syndic (notamment par l’effet d’une saisie-attribution diligentée par ces créanciers ou d’une procédure de liquidation judiciaire dirigée contre le syndic).

Le compte séparé constitue donc une garantie importante pour le syndicat des copropriétaires et pour chacun de ses copropriétaires.

Les règles de preuve du compte séparé :

Dans un certain nombre de situations, le syndic ou le syndicat des copropriétaires peuvent être contraints de justifier qu’un compte séparé a bien été ouvert dans les conditions prévues par l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965.

Ainsi, par exemple, le syndic est tenu de justifier de l’ouverture de ce compte lorsque l’assemblée générale ou le conseil syndical lui communique une demande en ce sens.

(Cette demande est légitime, puisqu’elle permet au syndicat des copropriétaires de s’assurer que son syndic a respecté une obligation légale prévue à peine de nullité du mandat de ce dernier).

Par ailleurs, dans le cadre d’une procédure impliquant la copropriété, la partie adverse est fondée à exiger du syndicat des copropriétaires qu’il justifie de l’ouverture d’un compte séparé (et ce, afin de s’assurer de la recevabilité d’une procédure engagée à son encontre par le syndicat).

Lorsque le syndic (ou le syndicat des copropriétaires, selon les cas) est saisi d’une demande de cette nature, il est alors contraint de prouver qu’un compte séparé a été ouvert dans le délai de trois mois prévu par l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965.

Si cette preuve n’est pas rapportée, il y a alors lieu de constater qu’aucun compte séparé n’a été ouvert et que le mandat du syndic est nul (voir, par exemple, Cour d’appel de PARIS, 23ème Chambre, Section B, 19 février 2009, RG : 08/05938).

Comment justifier de l’ouverture d’un compte séparé ?

Pour rapporter la preuve de l’ouverture d’un compte séparé, le syndic (ou le syndicat des copropriétaires) doit présenter une copie de la convention d’ouverture du compte mentionnant expressément que le titulaire de ce compte est le syndicat des copropriétaires.

Il convient de souligner que le syndic (ou le syndicat des copropriétaires) ne saurait soutenir valablement qu’il ne dispose pas d’une convention d’ouverture de compte écrite.

En effet, une convention d’ouverture d’un compte séparé doit être constatée sous la forme d’un écrit signé par le syndic (elle ne peut pas être conclue tacitement).

Sur ce point, il faut préciser qu’en principe, une convention de compte bancaire n’est pas soumise à une condition de forme et que sa preuve est libre (Cour d’appel de BESANCON, 27 novembre 1998, juris-data n°046115, JCP 1999, IV, 2107).

Cependant, le compte d’un syndicat des copropriétaires est un «  compte de dépôt  ».

Or, la convention d’ouverture d’un compte de dépôt est soumise aux conditions de forme définies par l’article L312-1-1 du Code monétaire et financier (modifié par l’ordonnance n°2009-866 du 15 juillet 2009, art. 4).

Cette disposition prévoit que la convention de compte de dépôt doit être conclue sous la forme d’un écrit précisant les modalités de gestion du compte et qu’elle doit être signée par le titulaire du compte :

« I.- (…) La gestion d’un compte de dépôt des personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels est réglée par une convention écrite passée entre le client et son établissement de crédit ou les services financiers de La Poste.

Jusqu’au 31 décembre 2009, les établissements de crédit et les services financiers de La Poste sont tenus d’informer au moins une fois par an les clients n’ayant pas de convention de compte de dépôt de la possibilité d’en signer une.

(…) L’acceptation de la convention de compte de dépôt est formalisée par la signature du ou des titulaires du compte. »

Cette convention doit donc être signée par le titulaire du compte lui-même (si ce titulaire est une personne physique) ou par son représentant légal (lorsqu’il s’agit d’une personne morale).

La convention d’ouverture d’un compte séparé d’un syndicat des copropriétaires doit donc être signée par son syndic.

La méconnaissance de ces conditions de forme est pénalement réprimée par l’article L351-1 du Code monétaire et financier :

« Est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait de méconnaître l’une des obligations mentionnées au premier alinéa du I, au II de l’article L. 312-1-1 et au VII de l’article L. 314-13 ou l’une des interdictions édictées au I de l’article L. 312-1-2. »

Le syndicat des copropriétaires et son syndic sont ainsi présumés être en possession d’un exemplaire écrit et signé de la convention d’ouverture du compte séparé ouvert au nom de la copropriété.

Dès lors, à défaut de communication d’une copie de la convention écrite mentionnant que le titulaire du compte est le syndicat des copropriétaires, il convient de considérer que la preuve de l’ouverture d’un compte séparé n’est pas rapportée.

En pratique, on constate que les syndics communiquent rarement la copie des conventions d’ouverture de compte.

Ils se contentent généralement de communiquer un relevé d’identité bancaire.

Lorsque ce document mentionne clairement que le « titulaire » du compte sur lequel sont déposés les fonds de la copropriété est le syndicat des copropriétaires, la jurisprudence admet que ce document est un élément de preuve suffisant pour justifier de l’ouverture d’un compte séparé dans les conditions de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965.

Toutefois, ce document sera jugé insuffisant en cas de contestation concernant la date d’ouverture du compte.

En effet, le relevé d’identité bancaire ne mentionne pas la date d’ouverture du compte (il ne permet donc pas de vérifier que le compte a bien été ouvert dans le délai de trois mois prévu par l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965).

En tout état de cause, la jurisprudence prend soin désormais de vérifier que le relevé d’identité bancaire désigne clairement le syndicat des copropriétaires en qualité de «  titulaire  » du compte.

Les tribunaux et les cours d’appel relèvent systématiquement que le syndic a manqué à son obligation d’ouverture d’un compte séparé et que son mandat est donc nul, lorsqu’ils constatent que le relevé d’identité bancaire versé aux débats désigne le syndic en qualité de « titulaire » du compte (voir, notamment, T.G.I de PARIS, 8ème Chambre, 1ère Section, 2 mars 2010, deux jugements, RG : 07/1637 et RG : 14/681).

La solution est identique lorsque le relevé d’identité bancaire est revêtu de mentions ambigües sur l’identité du titulaire du compte.

Ainsi, la rubrique « Titulaire du compte » de certains relevés d’identité bancaire mentionne à la fois le nom du syndic et le nom du syndicat des copropriétaires.

Un document de cette nature n’établit pas l’existence d’un compte séparé.

Il laisse apparaitre qu’en réalité, le syndic loge les fonds qu’il perçoit pour le compte de la copropriété, sur un sous-compte individualisé d’un compte ouvert à son propre nom.

Ne répond pas à la définition du compte séparé le compte ouvert au nom du « cabinet X - Résidence Saint-Léonard, le client de la banque étant alors l’administrateur de biens et non pas le syndicat des copropriétaires »

Cour d’appel de PARIS, 23ème Chambre B, 29 juin 2000 : AJDI 2000, 846

En tout état de cause il convient de préciser que l’existence d’un compte séparé ne peut pas être prouvée par des attestations.

Il importe peu que ces attestations émanent de professionnels.

Ainsi, ont été jugées impropres à établir l’existence d’un compte séparé deux attestations établies par l’expert comptable et le commissaire aux comptes du syndic, lesquels déclaraient de concert que :

- le compte litigieux fonctionnait séparément de tous les autres comptes ouverts par le syndic auprès de la même agence bancaire et n’enregistrait que les opérations propres à cette copropriété,

- les intitulés et les numéros de comptes étaient nettement distingués entre le syndic et le syndicat des copropriétaires,

- il s’agissait bien d’un compte bancaire séparé ouvert pour le syndicat des copropriétaires et non d’un sous-compte individualisé dans le cadre du compte ouvert au nom du syndic,

Civ.3, 9 avril 2008, Bulletin 2008, III, N° 66 (précité ci-dessus)

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000018644093&fastReqId=1966955038&fastPos=1

http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/troisieme_chambre_civile_572/arret_no_11493.html ; http://www.unarc.asso.fr/site/abus/0305/abus368.htm

Est également dépourvue de force probante, une attestation de «  non fusion  » rédigée par l’établissement bancaire dans les livres duquel a été ouvert le compte.

En effet, une attestation de « non fusion » ne démontre pas qu’un compte séparé a été ouvert au nom du syndicat des copropriétaires.

Ce document confirme seulement que le syndic a respecté les dispositions de l’article 55 décret d’application n°72-678 du 20 juillet 1972, qui interdit à un professionnel de la vente et de la location immobilière de compenser ou de fusionner son compte spécial d’intermédiaire avec un autre compte bancaire, en signant une convention ayant pour effet :

- de ménager au banquier le droit de réunir unilatéralement les soldes des différents comptes ouverts par un même titulaire (convention de « fusion » ou de « compensation »),

- de réunir ab initio, en un compte bancaire unique, les différents comptes d’un même titulaire, lesquels comptes constituent dès lors de simples sous comptes individualisés (convention d’unité de compte).

Le vote d’une résolution de dispense d’ouverture d’un compte séparé :

L’article 18 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit que le syndic est tenu d’ouvrir un compte bancaire « séparé », mais que « l’assemblée générale peut en décider autrement (…) » :

« L’assemblée générale peut en décider autrement à la majorité de l’article 25 et, le cas échéant, de l’article 25-1 lorsque l’immeuble est administré par un syndic soumis aux dispositions de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce ou par un syndic dont l’activité est soumise à une réglementation professionnelle organisant le maniement des fonds du syndicat. »

Par application de cette disposition, une décision de dispense ne peut être accordée qu’à un syndic justifiant d’une garantie financière résultant d’un cautionnement spécialement affecté au remboursement des fonds, ou de l’engagement, soit d’un organisme de garantie collective, soit d’un établissement bancaire.

L’assemblée générale n’a donc pas le pouvoir d’accorder une telle dispense à un syndic bénévole ou à un syndic professionnel non bénéficiaire d’une telle garantie financière.

Une délibération accordant une telle dispense serait illégale.

L’article 18 de la loi du 10 juillet 1965 garantit ainsi une représentation des fonds du syndicat des copropriétaires, en cas de dispense d’ouverture d’un compte séparé.

La résolution de dispense de compte séparé doit être adoptée à la majorité de l’article 25 de la loi du 10 juillet 1965, soit, la majorité des voix de tous les copropriétaires.

(Attention, la majorité de l’article 25 vise l’ensemble des copropriétaires membres du syndicat, et non des seuls copropriétaires présents ou représentés à l’assemblée générale).

Toutefois, s’il apparait qu’un projet de résolution de dispense, sans obtenir la majorité des voix de l’ensemble des copropriétaires, a recueilli au moins le tiers de ces voix, l’article 25-1 de la loi du 10 juillet 1965 autorise l’assemblée générale à procéder immédiatement à un second vote.

La décision de dispense pourra alors être adoptée à la majorité relative prévue par l’article 24 de la loi du 10 juillet 1965, soit, la majorité des voix exprimées par les copropriétaires présents ou représentés à l’assemblée générale.

En tout état de cause, une résolution de cette nature doit être claire et non équivoque.

Une résolution ambigüe ne peut en aucune façon être interprétée comme une décision libérant le syndic de son obligation légale d’ouverture d’un compte séparé.

Maître Nicolas PILLON

Avocat au Barreau de PARIS

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pillon.avocat.paris chez gmail.com