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Le détachement de salariés à l’intérieur de l’Union Européenne : les changements intervenus depuis le 1er mai 2010, par Lucien Peczynski, Avocat
Parution : mardi 14 septembre 2010
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Les Règlements 1408/71 et 574/72, adoptés afin de mettre en œuvre la libre circulation des personnes au sein de l’Union Européenne (UE), ont été remplacés par deux Règlements 883/2004 et 987/2009 entrés en vigueur le 1er mai 2010.

Rappelons que l’ensemble de ces dispositions a pour objectif de coordonner les systèmes de sécurité sociale à l’intérieur de l’UE. Elles s’adressent à tous les citoyens européens et s’appliquent aux prestations de sécurité sociale mentionnées à l’article 3 R (CE) 883/2004 (maladie, vieillesse, chômage, accident, etc.). Il convient de soumettre ces personnes, lorsqu’elles se déplacent dans l’UE, au régime de la sécurité sociale d’un seul Etat membre afin d’éviter un cumul de législations nationales applicables et les complications pouvant en résulter. La législation applicable sera celle de l’Etat membre dans lequel l’intéressé exerce une part importante de son activité (article 14.8 R (CE) 987/2009).

Le salarié détaché peut être une personne recrutée par une entreprise en vue de son détachement dans un autre Etat membre (article 14.1 R (CE) 987/2009). Toutefois cette personne doit avoir au préalable été soumise à la législation à laquelle elle est maintenue au cours de son détachement.

Les principaux changements intervenus en cette matière sont les suivants :

I. Les modifications essentielles

a. Le détachement ne peut excéder 24 mois

Le travailleur salarié qui exerce son activité dans un Etat membre peut être détaché par son employeur sur le territoire d’un autre Etat membre et rester soumis à la législation de sécurité sociale de l’Etat d’origine à condition que la durée prévisible du travail à effectuer ne dépasse pas 24 mois au lieu des 12 mois précédemment et qu’il ne soit pas détaché en remplacement d’une personne parvenue au terme de son détachement (article 12.1 R (CE) 883/2004).

b. Détachement imminent suite à une embauche

La Directive 96/71/CE du 16 décembre 1996, transposée par l’article L. 1261-3 du Code du travail, exigeait qu’un salarié détaché travaille de manière habituelle pour le compte de son employeur : « Est un salarié détaché […] tout salarié d’un employeur régulièrement établi et exerçant son activité hors de France et qui, travaillant habituellement pour le compte de celui-ci, exécute son travail à la demande de cet employeur […] ».

Désormais un salarié peut être embauché en vue de son détachement à condition que cette personne soit « juste avant le début de son activité salariée » soumise à la législation de l’Etat membre où est établi son employeur (article 14.1 R (CE) 987/2009).

Selon une décision A2 du 12 juin 2009 de la Commission Administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, l’exigence formulée par les termes « juste avant le début de son activité salariée » serait considérée comme remplie si la personne concernée était soumise à la législation de l’Etat d’établissement de l’employeur depuis au moins 1 mois.

Il nous parait pour le moins surprenant que l’expression « juste avant » ait été interprétée par la Commission comme devant être d’une durée supérieure à un mois ! Néanmoins, nous estimons qu’aux termes de l’article 71 R (CE) 883/2004, les pouvoirs dévolus à la Commission Administrative ne lui permettent pas de prendre de décisions contraignantes. Ainsi, la CJCE a jugé que les décisions de la Commission Administrative ne sont pas de nature à obliger les institutions de sécurité sociale à suivre certaines méthodes ou à adopter certaines interprétations lorsqu’elles procèdent à l’application des règles communautaires. Une décision de la Commission Administrative ne lie donc pas la juridiction nationale (14 mai 1981).

Précisons que la qualité d’étudiant, de retraité ou de chômeur ainsi que, bien évidemment, de salarié dans l’Etat d’origine permet de satisfaire à l’obligation d’assujettissement au système de sécurité sociale.

Notons également que, contrairement à une opinion émise (Semaine Sociale Lamy, n° 1444, 3 mai 2010, p. 4), nous estimons que le nouveau texte ne mettra pas fin aux embauches et détachements dans le secteur du travail temporaire, aucune durée minimale d’embauche préalable n’étant requise pour détacher des salariés.

c. L’exercice d’activités substantielles dans le l’Etat d’origine par l’employeur

Même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’une nouveauté, le législateur européen semble désormais vouloir clairement préciser son domaine.

Pour pouvoir bénéficier du maintien de la législation de l’Etat d’origine, le salarié devra être détaché par un employeur exerçant « normalement » ses activités dans l’Etat où il est établi. Il doit s’agir d’activités substantielles autres que celle de pure administration (article 14.2 R (CE) 987/2009). Les facteurs déterminant s’il y a ou non activité substantielle sont précisés, sous les réserves exprimées au point précédent, par la décision A2 de la Commission Administrative.

Selon cette dernière (art. 1, al. 5), l’exercice d’activités substantielles par un employeur se déduit de plusieurs facteurs tels que, notamment, le lieu du siège de l’entreprise et de son administration, l’effectif du personnel administratif travaillant respectivement dans l’État d’origine et dans l’Etat de détachement, le lieu où les travailleurs détachés sont recrutés et celui où sont conclus la plupart des contrats avec les clients, la législation applicable aux contrats conclus par l’entreprise avec ses travailleurs et avec ses clients, les chiffres d’affaires réalisés pendant une période suffisamment caractéristique dans chaque État membre concerné, ainsi que le nombre de contrats exécutés dans l’État d’origine. Cette liste ne saurait être exhaustive, le choix des facteurs devant être adapté à chaque cas spécifique et tenir compte de la nature réelle des activités exercées par l’entreprise dans l’État d’établissement.

Il est intéressant de relever que le critère jusqu’à présent avancé par les institutions de sécurité sociale nationales, mais jamais réellement officialisé, de 25% (s’agissant particulièrement du chiffres d’affaires et du nombre de salariés) se retrouve aujourd’hui, assez curieusement à l’article 14.8 du R (CE) 987/2009 mais porte désormais, et uniquement, sur les critères devant être remplis par un salarié (ou un travailleur non salarié) pour savoir s’il exerce ou non une partie substantielle de son activité dans l’Etat d’origine lui permettant de demeurer soumis à sa législation.

II. Le remplacement des formulaires « E » : le nouveau formulaire A1

Le formulaire A1 remplace les formulaires E101, E102 et E103. Il est utilisé pour attester de la législation applicable à un travailleur qui n’est pas affilié dans l’État de détachement.

Il est établi en cas d’application des articles 11 à 16 R (CE) 883/2004 et de l’article 19 R (CE) 987/2009.

Les organismes compétents pour délivrer le formulaire A1 seront, en fonction de la situation du salarié, en règle générale, la caisse primaire d’assurance maladie pour une entreprise en France, le ZUS pour une entreprise polonaise.

Lucien PECZYNSKI

Avocat

COPERNIC AVOCATS

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