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Code de la route : les premières décisions de constitutionnalité, par Rémy Josseaume et Jean Baptiste Le Dall
Parution : mercredi 29 septembre 2010
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Par deux décisions du 29 septembre 2010 (DC 2010-40 QPC et DC 2010-38 QPC), le Conseil constitutionnel s’est prononcé pour la première fois sur la constitutionnalité des deux dispositions relatives au droit de la circulation routière.

Dans sa première décision (DC 2010-40 QPC), les sages se sont prononcés sur les dispositions de l’article L.234-13 du Code de la route qui prévoit que toute nouvelle condamnation pour une infraction commise en état de récidive au sens de l’article 132-10 du Code pénal (dont la conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou en état d’ivresse, le refus de ce soumettre au contrôle), donne lieu de plein droit à l’annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant trois ans au plus.

Dans une récente décision en date du 11 juin 2010 (DC 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010) relative à la constitutionnalité d’une disposition du Code électoral, le Conseil constitutionnel avait jugé qu’une peine accessoire, à la fois automatique et non susceptible d’être individualisée, méconnaît le principe d’individualisation des peines.
Ramenée hâtivement aux sanctions du Code de la route, la mort annoncée de la peine d’annulation automatique du permis pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique en état de récidive légale, paraissait acquise.

En effet l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et qu’en application de ce texte l’article 132-24 du Code pénal dispose que « la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ».

Lorsque l’on étudie la jurisprudence du Conseil constitutionnel et notamment celle relative aux peines planchers automatiques, on demeure pour le moins réservé quant à l’inconstitutionnalité de la mesure.

En effet, dans sa décision n° 2007-554 DC du 9 août 2007, relative à la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs , le Conseil a validé ces peines automatiques considérant que le principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de la Déclaration de 1789, ne saurait faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions ; qu’il n’implique pas davantage que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction.

Le Conseil constitutionnel vient de reconnaître la constitutionnalité de la peine automatique d’annulation du permis de conduire en considérant d’une part qu’en instituant une peine obligatoire directement liée à un comportement délictuel commis à l’occasion de la conduite d’un véhicule, l’article en cause vise, aux fins de garantir la sécurité routière, à améliorer la prévention et renforcer la répression des atteintes à la sécurité des biens et des personnes provoquées par la conduite sous l’influence de l’alcool.

D’autre part, il estime que conformément aux dispositions de l’article L. 234-13 du Code de la route, le juge qui prononce une condamnation pour de telles infractions commises en état de récidive légale, tenu de prononcer l’annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis de conduire, peut, outre la mise en œuvre des dispositions du Code pénal relatives aux dispense et relevé des peines (en pratique rarement, sinon jamais accordée), fixer la durée de l’interdiction dans la limite du maximum de trois ans.

Dans ces conditions, le Conseil en tire la conclusion que le juge n’est pas privé du pouvoir d’individualiser la peine et qu’en conséquence, les dispositions de l’article L. 234-13 du Code de la route ne sont pas contraires à l’article 8 de la Déclaration de 1789.

Autrement dit, le juge pénal reste aussi libre que l’oiseau dans sa cage.

Dans sa deuxième décision du jour, le Conseil était saisi de la constitutionnalité de l’article L.529-10 du Code de procédure pénale, qui prévoit « lorsque l’avis d’amende forfaitaire concernant une des contraventions mentionnées à l’article L. 121-3 du Code de la route a été adressé au titulaire du certificat d’immatriculation ou aux personnes visées aux deuxième et troisième alinéas de l’article L. 121-2 de ce Code, la requête en exonération prévue par l’article 529-2 ou la réclamation prévue par l’article 530 n’est recevable que si elle est adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception et si elle est accompagnée :

« 1° Soit de l’un des documents suivants :

« a) Le récépissé du dépôt de plainte pour vol ou destruction du véhicule ou pour le délit d’usurpation de plaque d’immatriculation prévu par l’article L 317-4-1 du Code de la route, ou une copie de la déclaration de destruction de véhicule établie conformément aux dispositions du Code de la route ;

« b) Une lettre signée de l’auteur de la requête ou de la réclamation précisant l’identité, l’adresse, ainsi que la référence du permis de conduire de la personne qui était présumée conduire le véhicule lorsque la contravention a été constatée ;

« 2° Soit d’un document démontrant qu’il a été acquitté une consignation préalable d’un montant égal à celui de l’amende forfaitaire dans le cas prévu par le premier alinéa de l’article 529-2, ou à celui de l’amende forfaitaire majorée dans le cas prévu par le deuxième alinéa de l’article 530 ; cette consignation n’est pas assimilable au paiement de l’amende forfaitaire et ne donne pas lieu au retrait des points du permis de conduire prévu par le quatrième alinéa de l’article L. 223-1 du Code de la route.

« L’officier du ministère public vérifie si les conditions de recevabilité de la requête ou de la réclamation prévues par le présent article sont remplies » ;

Le requérant soutenait qu’il n’existe pas de voie de recours aménagée contre la décision par laquelle l’officier du ministère public rejette pour irrecevabilité une requête en exonération précédée de la consignation d’une somme égale au montant de l’amende forfaitaire et que, par suite, ces dispositions méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif.

Sur ce dernier point, rappelons-le, l’association 40 Millions d’Automobilistes a saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme en octobre 2008 et attend confiante l’issue de la procédure.

Pour reconnaître la constitutionnalité de la disposition, le Conseil rappelle que le droit à un recours juridictionnel effectif impose que la décision du ministère public (déclarant irrecevable la réclamation ou déclarant irrecevable une requête en exonération lorsque cette décision a pour effet de convertir la somme consignée en paiement de l’amende forfaitaire) puisse être contestée devant la juridiction de proximité.

Le pouvoir reconnu à l’officier du ministère public de déclarer irrecevable une requête en exonération ou une réclamation ne méconnaît pas, sous la réserve de ce droit au recours effectif, l’article 16 de la Déclaration de 1789.

Rappelons qu’en droit processuel, le contrevenant peut en effet encore saisir la juridiction compétente d’un incident contentieux tel que prévu par les dispositions de l’article 710 et 711 du Code de procédure pénale.

Rémy JOSSEAUME
Docteur en Droit pénal

Jean Baptiste LE DALL
Avocat à la Cour

Commission juridique 40 Millions d’Automobilistes et Coauteurs du LAMY Contentieux Circulation routière