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La pénibilité au travail : une affaire d’hommes ? Par Nadine Regnier Rouet, Avocat
Parution : lundi 11 octobre 2010
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Inégalités entre les hommes et les femmes, encore ! En voici un cas particulièrement choquant qui est passé inaperçu depuis plusieurs dizaines d’années.

C’est à l’automne 2010, au moment du débat sur la réforme des retraites et lorsque se pose la question de la prise en compte de la « pénibilité » de certains travaux ou postes de travail, que cette inégalité apparaît au grand jour… dans le Rapport 2010 « la santé des femmes en France » du Conseil Economique Social et Environnemental, remis ce 27 septembre 2010.

Le Rapport nous le confirme. La définition de la pénibilité d’un geste professionnel s’établit en fonction de critères masculins.
Les conséquences des conditions de travail sur la santé des femmes restent donc peu visibles, ce qui entraîne à la fois (1) leur méconnaissance ou leur sous-estimation et (2) une plus faible prise en charge que pour les hommes.

Exemple : vous pensez pénibilité, accidents du travail et maladies professionnelles ? Vous pensez donc à des secteurs encore fortement masculins : industrie, bâtiment… Les études y abondent effectivement alors qu’elles sont rares pour les emplois occupés majoritairement par des femmes.

Surtout, ces études ne comportent pas, sauf exceptions notables comme l’enquête « Sumer » de 2003, de prise en compte du genre (homme ou femme).

Or, l’enquête « Sumer » a eu le mérite de démontrer que les troubles musculo-squelettiques, les fameux « TMS », atteignent en majorité les travailleuses (58 %, soit 22 % de plus que les travailleurs) et que les femmes sont plus stressées au travail (28 %) que leurs collègues masculins (20 %), quelle que soit leur catégorie professionnelle.

Les préconisations du Rapport sont donc simples : puisque les tâches à effectuer et l’organisation du travail sont le plus souvent différentes pour les hommes et pour les femmes, il faut :

-  faire une analyse différenciée du travail selon le genre,

-  choisir les secteurs concentrant le plus de femmes (commerce, entretien et nettoyage, services à la personne),

- cibler les facteurs de risques auxquels les femmes sont le plus exposées : travail de précision répétitif nécessitant des efforts de dextérité et de concentration, largement minimisés, postures contraignantes, manque d’autonomie et de latitude décisionnelle, manipulation de produits chimiques nocifs comme dans les secteurs du nettoyage, de la coiffure ou du pressing, horaires atypiques, temps partiel subi, emplois précaires

-  et surtout, il faut publier des résultats systématiquement sexués.

Mais il y a plus grave encore dans la situation actuelle.

Le Rapport nous apprend que les normes ergonomiques et les modes opératoires sont le plus souvent établis par référence à « l’homme moyen ». Y compris si c’est une femme qui occupe le poste de travail !
Il propose donc de changer de méthodologie, ce qui a d’ailleurs été déjà préconisé par l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail).

Le Rapport « la santé des femmes en France » suggère également que le document unique d’évaluation des risques (article L. 4121-3 du Code du travail) qui doit être établi et tenu à jour annuellement par l’employeur dans chaque unité de travail de son entreprise de quelque taille qu’elle soit, précise le genre afin de pouvoir prendre en compte les risques spécifiques.

Voici le rappel de cette obligation de l’employeur :

Article L4121-3

L’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail.

A la suite de cette évaluation, l’employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement.

Article R4121-1

L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L. 4121-3.

Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques.

Mon conseil aux employeurs :

Il s’agit pour l’employeur de cartographier les risques de tous ordres qu’encourt son personnel dans le cadre des postes de travail et d’apporter les solutions appropriées pour éviter que ces risques ne se transforment en « sinistres » (accidents du travail, maladies professionnelles).

L’employeur assume une responsabilité civile et pénale de résultat quant à la préservation de la santé physique et mentale de ses salariés c’est-à-dire que sa responsabilité est automatiquement engagée dès lors qu’un « sinistre » se produit, quels qu’aient été ses efforts de prévention. C’est sur cette base juridique que se développe aujourd’hui la jurisprudence abondante relative, notamment, au harcèlement moral et au stress en entreprise

Quelles sanctions pénales sont prévues pour l’employeur qui néglige le Document Unique ?

L’absence d’établissement conforme ou la non-mise à jour du Document Unique constitue une contravention de 5e classe (coût : 3.000 euros pour un employeur personne physique, 15.000 euros pour une personne morale).

La non-mise à disposition des représentants du personnel (Délégués du Personnel, dès que l’effectif atteint 11 salariés, Comité d’Entreprise et CHSCT, dès 50 salariés) du Document Unique constitue un « délit d’entrave » puni par un emprisonnement d’un an au plus et / ou une amende de 3.750 euros au plus ; pour l’employeur personne morale, la mise en cause de la responsabilité de la personne morale peut être encourue.

Le Rapport « la santé des femmes en France » propose que le Rapport de situation comparée entre les hommes et les femmes qui doit être établi chaque année dans les entreprises de 300 salariés et plus comporte dorénavant des indicateurs sexués quand il s’agira d’examiner les conditions de travail, l’exposition aux risques et à la pénibilité, les accidents du travail ou de trajet, l’absentéisme.

Hommes et femmes : inégaux jusque dans la prise en compte de la pénibilité des gestes quotidiens au travail ? Voilà de quoi inciter chacun et chacune à réfléchir un peu au moment de l’accomplissement de tous ces gestes qui font mal (et non pas forcément « mâle » !).

Nadine REGNIER ROUET

Avocat à la Cour

Spécialisation en droit social du Barreau de Paris

Site : http://www.n2r-avocats.com