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Les pédophiles agissant sur des forums de discussion sur internet seront-ils vraiment à l’abri de la police suisse ? Par Sylvain Métille, Avocat
Parution : vendredi 17 décembre 2010
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Selon un communiqué de l’Agence télégraphique suisse repris notamment par la Neue Zürcher Zeitung et la Radio Suisse Romande, le service national de coordination de la lutte contre la criminalité sur Internet (SCOCI, rattaché à la Police judiciaire fédérale) aurait fait une demande au canton de Schwyz pour y déplacer ses activités. La motivation à ce déménagement juridique est que le nouveau Code de procédure pénale unifié ne permettrait plus de mener comme actuellement des enquêtes préventives dans les forums de discussion sur Internet, visant notamment à lutter contre la pédophilie. Or le canton de Schwyz disposerait d’une base légale nécessaire à la poursuite de ces activités.

Plus de surveillance active sans soupçon

Tout d’abord, il faut rappeler que contrairement à ce que d’aucuns prétendent, Internet ne sera pas complétement inaccessible aux autorités policières et judiciaires suisses en 2011. Certains moyens d’« observation » actuellement permis par les droits cantonaux seront soumis à des conditions différentes. Le nouveau code de procédure pénale (CPP) qui entrera en vigueur le 1er janvier 2011 ne permet simplement plus de mener une enquête préventive et secrète sans le moindre soupçon préalable, alors que les dispositions qui entreront en vigueur dans le canton de Schwyz autoriseraient une telle procédure (art. 9a de l’Ordonnance sur la police du canton de Schwyz).

Avant l’entrée en vigueur de la procédure unifiée, le Tribunal fédéral suisse avait admis que soit prononcée une mesure de surveillance dans le cadre de l’instruction préliminaire. Elle devait toutefois reposer sur une base légale, et la nature et la gravité des infractions reprochées devaient être suffisantes pour justifier une telle mesure.

Cette question ne se posera plus dès janvier 2011, étant donné que le parlement a supprimé consciemment la possibilité des investigations préalables que connaissaient certains cantons et que le Gouvernement avait pourtant fait figurer sans son projet de loi. Dès lors que la procédure pénale exclut la possibilité d’effectuer une surveillance sans ouvrir une procédure préliminaire au sens des art. 299ss CPP, je ne pense pas qu’un canton ait la possibilité d’adopter des dispositions contraires. Une surveillance généralisée et sans soupçon des participants à une discussion sur Internet ne serait au demeurant pas conforme aux normes de droit supérieur, car non proportionnée.

Les cantons ont certes des compétences législatives en matière de sécurité intérieure, mais l’art. 9d de l’Ordonnance schwytzoise vise un cas de procédure pénale. En vertu de la primauté du droit fédéral (art. 49 Cst), l’entrée en vigueur du CPP fédéral empêche les cantons d’adopter ou d’appliquer des règles contraires à la législation fédérale qui leur est supérieure. Il n’est donc guère imaginable que le canton de Schwyz puisse permettre ce que la procédure pénale unifiée ne permet précisément pas. Ces dispositions légales cantonales ne résisteraient donc vraisemblablement pas à l’examen par un tribunal. Et si la Police fédérale, auquel est rattachée le service national de coordination de la lutte contre la criminalité sur Internet (SCOCI) mène des activités au titre de la protection de l’Etat et de la sécurité intérieure, il devra alors agir conformément à la Loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI), et non en se basant sur une loi cantonale. (voir à ce sujet les précédentes contributions sur mon blog consacrées à la LMSI et aux pouvoirs d’investigations des services suisses de renseignement)

Suivre une discussion sur Internet : trois degrés

C’est également l’occasion de rappeler que pour le Tribunal fédéral, suivre une conversation de manière générale sans se concentrer sur certains participants en particulier et sans y participer, n’est pas assimilable à une activité particulière, mais compare cela à des policiers patrouillant en civil. Il considère en revanche que le fait de suivre une discussion sur un forum de discussion en ligne ou un chat en se concentrant de manière ciblée sur certains participants relève de l’observation au sens des art. 282ss CPP. Finalement, si le policier prend part à la conversation, ce sera alors un cas d’investigation secrète (que le CPP prévoit également aux art. 286ss, mais à des conditions plus restrictives). La cour suprême suisse distingue ainsi trois degrés en fonction de l’atteinte à la sphère privée : premièrement suivre une conversation sans participer et sans se concentrer sur un participant ; deuxièmement suivre principalement l’activité d’un participant, mais toujours sans participer ; et troisièmement prendre une part active à la conversation.

Pour conclure, on peut retenir que la police aura toujours les moyens d’agir en Suisse en 2011, y compris sur Internet, mais que la surveillance ne sera en revanche possible que dans le cadre d’une enquête pénale.

Dr. Sylvain Métille, Avocat

http://ntdroit.wordpress.com

Sylvain Métille https://www.smetille.ch