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Le permis de construire de Michel Drucker : nul et non avenu ? Par Christophe Buffet et Marie Lou Roy, Avocats
Parution : mercredi 29 décembre 2010
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Le jugement rendu par le tribunal administratif de Marseille, le 22 décembre dernier, qui a déclaré « nul et non avenu » le permis de construire de Michel Drucker est particulièrement intéressant, indépendamment de la notoriété du bénéficiaire de ce permis.

Ce jugement peut être lu intégralement et téléchargé ICI.

Rappelons que cette décision a été rendue à la demande de la Ligue de Défense des Alpilles, qui, notamment et principalement a demandé au tribunal administratif de Marseille, dans le dernier état de ses écritures « de déclarer inexistant et d’annuler l’arrêté par lequel le maire de la commune d’Eygalières a accordé le 18 janvier 2008 un permis de construire à Monsieur et Madame Drucker afin d’édifier une maison d’habitation et une piscine » sur le territoire de cette commune.

Le tribunal administratif a considéré que cette demande devait être accueillie, parce qu’il « ressort des pièces du dossier que l’accord de l’architecte des bâtiments de France, préalable nécessaire à l’obtention du permis de construire accorder par arrêté en date du 18 janvier 2008 a été simulé ; que par suite l’association requérante est fondé à demander que cet arrêté pris dans ces circonstances par le maire d’Eygalières soit regardé comme un acte nul et non avenu ».

Nous renvoyons pour l’exposé plus approfondi des circonstances qui ont permis au tribunal administratif de considérer que l’accord de l’architecte des bâtiments de France « a été simulé » à la lecture du jugement qui en substance relève d’une part que l’architecte des bâtiments de France a déclaré ne pas avoir reçu une demande d’avis et que d’autre part la lettre d’envoi de cette demande d’avis qui a été produite par le service de l’équipement comportait une incohérence de dates laissant entrevoir qu’elle aurait été fabriquée pour les besoins de la cause.

Ce qui apparaît intéressant dans cet arrêt est précisément cette notion de « simulation » qui conduit le tribunal à évoquer un acte « nul et non avenu ».

Si les civilistes connaissent la notion de simulation, que Messieurs Malaurie et Aynès définissent comme « un mensonge concerté : les parties créent volontairement une convention apparente, différente de la convention réelle, qui reste cachée. Il y a donc dédoublement de contrat. D’une part, un acte ostensible, destiné à être connu des tiers ; on l’appelle aussi l’acte apparent, ou encore l’acte simulé. D’autre part, un acte secret, rétablissant la vérité entre les parties ; on l’appelle aussi, c’est le langage du Code civil (article 1321), la contre-lettre », cette notion n’est pas reçue de façon habituelle dans le droit public.

C’est pourquoi l’emploi de ce mot dans le cadre du contentieux de l’urbanisme et dans ce jugement intrigue.

On sait que la notion de simulation est souvent rattachée à celle de fraude : « le plus souvent, la simulation est un moyen de fraude » (Malaurie et Aynes) mais la motivation du jugement rendu ne semble pas faire allusion à la fraude, le mot étant même soigneusement évité.

La fraude en matière de droit de l’urbanisme n’est pas une notion inconnue et elle a pour effet, en ce qui concerne les autorisations d’urbanisme, de ne pas créer de droits au profit du bénéficiaire de l’autorisation, ce qui autorise l’administration à retirer à tout moment le permis qui a été accordé (Conseil d’Etat, 17 mars 1976 99289, qui a jugé que « le requérant s’est ainsi livré à des manoeuvres de nature à induire l’administration en erreur ; que l’autorisation de construire dont il a bénéficié n’a pu acquérir de caractère définitif et créer des droits à son profit »).

Cependant la fraude n’a pas pour effet de proroger le délai de recours des tiers (Conseil d’État 17 mai 1999 172918, qui a jugé que « si les requérants soutiennent que le permis de construire le 15 juin 1990 aurait été obtenu par fraude, cette circonstance, à la supposer établie, aurait seulement permis au maire de rapporter la décision litigieuse après l’expiration du délai de recours mais n’aurait pas eu pour effet de proroger le délai de recours au bénéfice des tiers »).

Dans le cas du permis de construire de Michel Drucker, le tribunal administratif ne fait pas allusion expressément à la fraude, car il semble bien que si la simple fraude avait été retenue, le recours de l’association n’aurait pas été recevable (le permis de construire date du 18 janvier 2008 et le recours contre ce permis date du 30 septembre 2009 soit, semble-t-il, bien après l’expiration du délai de recours des tiers).

Le tribunal va semble-t-il au-delà de la qualification de fraude, pour évoquer les effets beaucoup plus radicaux qui atteignent un acte « nul et non avenu ».

Cette notion d’acte nul et non avenu n’est pas totalement inconnue en droit administratif et a été en particulier expressément visée dans l’arrêt du 31 mai 1957 Rosan Girard, qui fait partie des Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative.

L’intérêt de cette notion est que ces actes comme les actes obtenus par fraude ne peuvent devenir définitifs et ne peuvent non plus créer de droits au profit de leur bénéficiaire.

Cependant la différence entre ces deux sortes d’actes est que les actes inexistants peuvent être déférés au juge sans condition de délai (Conseil d’État, 15 mai 1981, 33041, qui juge que « le juge de l’excès de pouvoir, saisi d’un recours contre un acte nul et non avenu, est tenu d’en constater la nullité à toute époque »).

Classiquement, l’acte inexistant est considéré comme nul et non avenu alors que l’acte illégal et simplement annulé par la juridiction administrative.

En ce sens, la simple fraude est donc dans l’échelle de gravité de l’irrégularité affectant un acte inférieure à la théorie de l’inexistence de l’acte dont les effets sont plus radicaux.

On a ainsi pu écrire que « l’acte inexistant est toujours un acte entaché d’une illégalité particulièrement grave et flagrante » (Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, 12e édition page 550).

Dans le cas particulier du permis de construire de Michel Drucker, le tribunal aurait pu se contenter d’observer que, tout simplement, il n’était pas établi que l’avis de l’architecte des bâtiments de France avait été sollicité, et en déduire classiquement qu’il y avait là un vice de forme ou de procédure rendant l’acte illégal. Le défaut de consultation d’un organisme dont l’avis doit être requis avant de prendre une décision administrative étant sanctionné généralement sous cette qualification de vice de forme ou de procédure par la juridiction administrative.

Le tribunal administratif de Marseille est allé au-delà de cette qualification pour considérer qu’en l’espèce, ce défaut de consultation et la tentative maladroite de démontrer qu’elle avait cependant eu lieu (la lettre aux dates incohérentes du service de l’équipement) relevaient non d’une illégalité ou même d’une fraude, mais pire encore d’une « simulation » de l’accord de l’architecte des bâtiments de France « préalable nécessaire à l’obtention du permis de construire », de sorte que cette simulation avait pour effet de rendre l’acte inexistant, nul et non avenu.

Sans doute aurait-il été préférable, pour la commune, que le service de l’équipement ne produise pas la lettre dont les dates étaient incohérentes, et qu’il soit simplement retenu que l’architecte des bâtiments de France n’avait pas été consulté ... L’absence de consultation étant préférable à la « simulation » d’une consultation.

Mais précisément, ne pouvait-on pas juger qu’il y avait lieu d’écarter purement et simplement la lettre produite par le service de l’équipement en considérant qu’elle ne démontrait pas que l’architecte des bâtiments de France avait été consulté ? Dans ce cas l’annulation ne pouvait être envisagée puisqu’il semble bien que le délai de recours était expiré.

Nous terminerons en citant les auteurs des Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, qui dans leur note figurant sous l’arrêt Rosan Girard écrivent : « il apparaît ainsi que la théorie de l’inexistence est une construction essentiellement empirique et que le juge en a une conception non pas doctrinale, mais utilitaire : elle est pour lui un moyen pratique de renforcer, dans des cas tout à fait exceptionnels qui déterminent lui-même, le contrôle juridictionnel qu’il exerce sur l’administration ».
C’est bien l’impression que donne la lecture du jugement du tribunal administratif de Marseille dont il a été annoncé par l’avocat de Michel Drucker qu’il en ferait appel.


Christophe Buffet et Marie Lou Roy

Avocats

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