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Le droit local en Alsace Moselle - la faillite civile. Par Cathy Neubauer, Avocat
Parution : vendredi 31 décembre 2010
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Historique

Trois départements de l’Est de la France, à savoir le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle disposent d’un régime juridique différent, du moins dans certains domaines, de celui du reste de la France.

Ce régime juridique distinct porte le nom de « Droit Local »

Il est du au fait que la France, lors de la guerre de 1870 menée par le Second Empire contre le Royaume de Prusse et ses coalisés allemands, a perdu ce qui est aujourd’hui l’Alsace et la Moselle, composés des trois départements précités, ces territoires étant devenus province allemande suite aux traités de Versailles ( 26 février 1871)et de Francfort (10 mai 1871)

Ce régime juridique comporte en majorité des lois allemandes prises entre 1871 et avant 1918 mais aussi des dispositions propres à l’Alsace-Moselle, qu’elles aient été prises par les organes locaux ou par la République Française en vue de leur application uniquement en Alsace Moselle, et ceci après le retour de ces trois départements à la France.

Après la victoire de 1918, et en raison de la réticence des habitants de ces trois départements à retourner sous l’égide de lois dont certaines étaient moins évoluées que les lois françaises, il a fallu choisir les lois qui resteraient en vigueur en Alsace-Moselle.

Il avait été, du moins au début, prévu que ces dispositions seraient transitoires, mais du fait de l’attachement de la population concernée à ces textes, deux lois du 1er juin 1924 ont rendu ce dispositif permanent.

Lors de l’annexion des trois départements par l’Allemagne nazie au début de la seconde guerre, ce droit a été supprimé pour être immédiatement rétabli dès la libération par l’ordonnance du 15 septembre 1945 portant rétablissement de la légalité républicaine.

Ce Droit Local qui souvent inquiète les juristes de l’Ancienne France lors de leurs incursions juridiques dans les trois départements de l’Est est en effet très complexe, à tel point q’une association a été créée en 1985, chargée d’étudier et de diffuser le Droit Local.

Cette association a créé l’Institut de Droit Local, ( IDL) sis à Strasbourg et dont la mission a été reconnue d’utilité publique par le préfet en 1995.
L’IDL est systématiquement consulté lorsqu’il s’agit de questions relatives au Droit Local et sa bibliothèque, ouverte au public, recensent tous ce qui à trait au droit local.

Le droit local touche à beaucoup de domaines et comporte entre autre, le code local des professions, le livre foncier qui n’existe qu’en Alsace Moselle, un régime de sécurité sociale bien plus avantageux que celui de la France intérieure, une procédure civile locale, un code local de la chasse etc..

Le droit local comporte des différences notables en matière immobilière, en matière de droit commercial ; les tribunaux de commerce tels qu’ils existent dans l’ancienne France n’étant pas connue en Alsace-Moselle où la justice commerciale est rendue par la chambre commerciale du Tribunal de Grande Instance composée d’un juge professionnel et de deux juges consulaires.
Le droit local prévoit aussi une possibilité de faillite civile.

I- La faillite civile : pour qui ?

Dans sa rédaction originelle, l’article 22 de la loi du 1er juin 1924 disposait que les lois françaises concernant la faillite et la liquidation judiciaire des commerçants s’appliquent au débiteurs non commerçants et à leurs successions dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

La loi du 1er Août 2003 a rajouté à ces dispositions une exigence de bonne foi du débiteur et la loi du 26 juillet 2005 a exclu du champ de la loi les personnes physiques exerçant une activité indépendante, y compris celles ayant un titre protégé, donc les exploitants d’auto-école, les avocats, les notaires ou les voyantes…

Il est à noter de suite qu’aucune condition de nationalité n’est mise en avant par la loi.

En effet, selon l’article 3-1 du règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité « les juridictions de l’Etat membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité »

La Cour d’Appel de Colmar a, à plusieurs reprises, été amenée à rappeler cette règle.

L’un des arrêts les plus significatifs rendu par cette même Cour est l’arrêt du 15 mars 2005, (non publié, disponible à l’IDL) sur contredit, à l’encontre d’une décision d’incompétence rendue par le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg le 22 février 2004, rappelle notamment la teneur de l’article 3 du règlement CE 1346/2000 du 29 mai 2000 et relève que dès lors que madame X a produit une demande de paiement de la redevance audiovisuelle pour l’année 2003, des factures d’électricité pour 2003 et 2004, la copie du bail d’un logement de type F3 à Strasbourg, puis produit à hauteur de Cour une attestation de son inscription sur la liste électorale complémentaire de Strasbourg, la preuve qu’elle a réglé sa taxe d’habitation pour 2004 à Strasbourg et qu’elle cohabite avec monsieur Y à Strasbourg et qu’elle l’a épousé il convient d’en tirer les conséquences.

Et la Cour de juger que

« la domiciliation de madame X à Strasbourg est donc manifestée, sinon par des intérêts économiques, par une installation physique et par des liens administratifs , fiscaux et matrimoniaux. Il s’ensuit que même si madame X comme elle l’admet, s’est récemment installée en France, et qu’elle n’y exerce aucune activité rémunératrice, qu’elle s’exprime difficilement en Français, qu’elle conserve en Allemagne des attaches et des biens et que tous ses créanciers sont allemands, il ne peut lui être contesté qu’elle a transféré le centre de ses principaux intérêts dans le ressort du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg… par ces motifs Infirme le jugement prononcé par le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg, Déclare ce tribunal territorialement compétent pour connaître de la requête déposée par madame X »

Cette jurisprudence, qui est parfaitement conforme au Règlement Européen sur l’insolvabilité définit clairement ce qu’il faut entendre par « le centre des principaux intérêts »

En effet, la migration en France aurait pu être perçue comme une fraude aux créanciers allemands. Il faut en effet savoir que la faillite civile en Allemagne est une procédure très lourde de conséquences pour le débiteur dès lors que celui–ci se trouve englué dans une procédure qui dure 6 années et que durant ces 6 années l’intégralité de la part saisissable de son revenu est reversée à l’administrateur judiciaire allemand et affecté au paiement des créanciers. Seul le solde des dettes subsistant après ces 6 années étant effacé.

Dès lors la tentation de traverser la frontière pour s’installer dans la proche Alsace ou Moselle dont de surcroît la plupart des habitants parlent allemand devient très grande.

La Cour d’Appel de Colmar est d’ailleurs très vigilante dans le cas des ressortissants allemands qui peuvent avoir tendance à considérer les trois départements de l’Est comme l’eldorado de la faillite civile, comme par exemple dans l’affaire qu’à eu à connaître la première chambre civile de la Cour d’Appel de Colmar le 11 avril 2006 et qui relève de la caricature.

Il s’agissait d’un dentiste allemand qui avait formé une demande en liquidation judiciaire auprès du TGI de Strasbourg qui l’avait rejeté en estimant que l’intéressé ne prouvait pas qu’il avait le centre de ses principaux intérêts en France.

Ce dentiste a fait appel et la Cour a confirmé le jugement de première instance. En effet, le requérant justifiait d’une simple chambre dans le Bas-Rhin, son épouse divorcée par une procédure de consentement mutuel récente, vivait certes elle aussi dans le Bas-Rhin, mais le requérant avait son cabinet dentaire en Allemagne, à près de 50 km de sa chambre, il était occupant à titre gratuit de ladite chambre qui faisait partie d’un immeuble qui lui appartenait jusqu’à son divorce en 2004. Le requérant ne payait aucun impôt en France, ni ne déclarait de revenus en France depuis 2002. Il prétendait apprendre le français mais n’en connaissait le moindre mot et sur interpellation du tribunal avait expliqué sa présence en France par le fait qu’il souhaitait « pouvoir continuer de voir le chat et les deux chiens qu’il avait avec son épouse » (cette réponse est reproduite in extenso dans l’arrêt d’appel)

La Cour a bien entendu considéré que cela ne suffisait pas pour juger que le centre des intérêts principaux du requérant se trouvait bien en France.

La jurisprudence ayant été très clairement fixée, ce type de jurisprudence, certes distrayante, a cependant disparu du paysage juridique des trois départements de l’Est.

Les tribunaux restent néanmoins prudents, ainsi dans une affaire pendante devant le Tribunal de Grande Instance de Sarreguemines, le juge a réouvert les débats pour demander des informations complémentaires sur le centre des principaux intérêts du requérant et, satisfait des éléments nouveaux apportés, a prononcé la liquidation du requérant.

En définitive pour pouvoir bénéficier de cette procédure, il faut vivre en Alsace-Moselle ou y avoir le centre de ses principaux intérêts, être une personne physique n’exerçant pas une activité indépendante et être en état d’insolvabilité notoire.

II- La faillite civile pour quoi ?

La faillite civile est un instrument qui permet à la personne physique telle que définie ci-dessus de demander au tribunal l’effacement de ses dettes.

Pour pouvoir faire une telle demande il faut être en état d’insolvabilité notoire et depuis 2003, de bonne foi.

L’état d’insolvabilité notaire est très facile à démontrer, il faut et il suffit de démontrer l’existence de dettes importantes et de vaines poursuites de la part de ses créanciers.
En pratique, il convient de lister les dettes, en prenant soin de n’en omettre aucune et d’y rajouter les preuves des tentatives d’exécutions des créanciers restées infructueuses.

En fonction du montant des dettes et du montant des revenus, le tribunal va soit estimer qu’il n’y a pas insolvabilité notoire et rejeter le dossier (ce cas est rarissime) soit estimer qu’il y a lieu à redressement et va nommer les organes nécessaires pour mettre le plan de redressement en place (la procédure est moins rare) ou alors constater que le débiteur est en état d’insolvabilité notoire, que sa situation est irrémédiablement compromise et prononcer la liquidation judiciaire du débiteur.
En général c’est la solution la plus courante dès lors que les dettes atteignent souvent des montants importants

D’autre part, il faut que le débiteur soit de bonne foi.

Cette notion de bonne foi a été rajoutée par la loi de 2003 en raison de nombreux abus.

Il est évident que le débiteur qui a fait crédit sur crédit en s’enfonçant dans les dettes et qui va ensuite présenter un dossier de faillite civile sera très certainement exclu du bénéfice de la procédure au nom du principe de bonne foi.

Le Tribunal de Grande Instance de Saverne a ainsi décidé dans une affaire B… ( non publiée) que la requérante n’était pas de bonne foi dès lors que même si son passif était évalué à près de 30 000 euros, « la débitrice a dilapidé un capital décès de 14 000 euros perçu suite au décès de son conjoint..et que malgré un endettement naissant elle a continué les dépenses de loisirs »

Par ailleurs, en l’absence de justificatifs précis, les tribunaux ont tendance à rejeter les requêtes soit en invoquant l’absence de bonne foi soit en invoquant l’impossibilité de vérifier que les conditions de recevabilité.

Il convient également de préciser que la loi sur la faillite civile n’interfère en aucun cas avec la loi Borloo sur le surendettement et le rétablissement personnel.

En Alsace Moselle, il est parfaitement possible de choisir entre la faillite civile et le rétablissement personnel ; le justiciable n’a pas à s’expliquer sur les raisons de son choix.

C’est ce qu’expliquait en substance la Cour d’Appel de Colmar dans une série d’arrêts non publiés mais disponibles à l’Institut de Droit Local de Strasbourg (C.A. Colmar 1ère Ch. Civ. 2/11/1999 RG 1A 99-02547 non publiés) en disant qu’il était nul besoin de saisir la commission de surendettement avant de déposer une demande de faillite civile.

Dans la pratique, le choix est fait en fonction des avantages et inconvénients de chacune des deux procédures voire en fonction de la jurisprudence du tribunal dans des cas précis.

III- La faillite civile : comment ?

La faillite civile se déclenche part la saisine de la chambre commerciale du tribunal de Grande Instance dans le ressort duquel le débiteur est domicilié ou dans lequel il dispose du centre de ses principaux intérêts.
Trois modes de déclenchement sont possibles : cela peut se faire sur requête du débiteur lui-même, ce qui est le cas général.

La saisine du tribunal est également possible sur demande d’un créancier, ce qui est moins fréquent dans le cadre de la faillite civile concernant les particuliers dès lors que le créancier risque de voir sa créance purement et simplement effacée. Par contre, cette procédure est utilisée par le créancier lorsque le débiteur dispose d’un patrimoine immobilier non grevé d’hypothèques par exemple.
La procédure présente néanmoins un risque pour le créancier dès lors qu’il n’est pas en mesure de connaître l’étendue des autres dettes de son débiteur. Certes, il pourra se procurer un extrait du livre foncier pour vérifier les éventuelles hypothèques mais cela ne donne que les éléments concernant les hypothèques.
Enfin, la saisine peut être faite par le Procureur de la République. Cette procédure est extrêmement rare dans le cas des particuliers.

Il faut signaler que la présence d’un avocat n’est pas obligatoire, mais qu’elle est fortement conseillée de plus, les bureaux d’aide juridictionnels accordent généralement l’aide juridictionnelle aux candidats à la faillite civile.

Si la requête est recevable, le tribunal prononce, soit un placement sous sauvegarde de la justice (c’est exceptionnel) soit un redressement judiciaire, ce qui est moins rare, soit et il s’agit du cas le plus fréquent, le tribunal prononce la liquidation judiciaire du débiteur et nomme un liquidateur chargé de réaliser les opérations de liquidation.
Une fois la liquidation prononcée, elle sera généralement clôturée pour insuffisance d’actif et les dettes seront effacées.

Enfin, il faut préciser que la faillite civile, à l’origine était inscrite au casier judiciaire du requérant, ce qui est une curiosité dès lors que le casier judiciaire retrace l’histoire pénale d’une personne et que le jugement de faillite civile n’a aucun caractère pénal.

Depuis la loi du 1er Août 2003, il n’y a plus d’inscription au casier judiciaire mais un fichage au FICP ( fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers) d’une durée de 8 ans.

Si la faillite civile peut sembler la panacée pour le débiteur, Il faut néanmoins apporter un bémol à l’intérêt de cette procédure, dès lors qu’elle a les même conséquences qu’une liquidation judiciaire et qu’elle exige la réalisation des actifs du débiteur et qu’elle n’efface ni les cautions, ni les dettes du type pension alimentaire.

Cathy Neubauer

Avocat

cathy.neubauer chez wanadoo.fr