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Le droit local d’Alsace-Moselle - la faillite civile : la procédure de liquidation vu sous l’angle du débiteur. Par Cathy Neubauer, Avocat
Parution : vendredi 31 décembre 2010
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Trois départements de l’Est de la France, à savoir le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle disposent d’un régime juridique différent, du moins dans certains domaines, de celui du reste de la France.
Il s’agit notamment de reliquat de lois allemandes et le Droit local prévoit la possibilité d’une faillite civile pour les particuliers, personnes physiques n’exerçant pas une activité indépendante.

Bref rappel des conditions d’éligibilité à la faillite civile

Dans sa rédaction originelle, l’article 22 de la loi du 1er juin 1924 disposait que les lois françaises concernant la faillite et la liquidation judiciaire des commerçants s’appliquent au débiteurs non commerçants et à leurs successions dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. La loi de 2003 y a rajouté, entre autre, une obligation de bonne foie.

Il est à noter de suite qu’aucune condition de nationalité n’est mise en avant par la loi.

En effet, selon l’article 3-1 du règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité « les juridictions de l’Etat membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité »

Il en résulte que tout débiteur qui rempli ces conditions et qui se trouve en état d’insolvabilité notoire peut déposer un dossier de faillite civile.

En général, le tribunal prononce directement la liquidation judiciaire et cette dernière va avoir un certain nombre de conséquences sur la vie du débiteur.

I- Le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire et ses conséquences pour le débiteur

Le jugement prononçant la liquidation a un certain nombre de conséquences immédiates ; il faut savoir que la liquidation se passe de la même façon que s’il s’agissait d’une entreprise commerciale et ce sont les procédures prévues par le code de commerce qui s’appliquent, sous réserve bien sur des textes spécifiques à la faillite civile d’Alsace-Moselle.

1- L’immédiateté du jugement

Il convient de rappeler que la très grande majorité des requêtes en vue d’une faillite civile se soldent par un jugement de liquidation judiciaire.

En effet, une fois que le juge constate l’état d’insolvabilité notoire et l’impossibilité pour le débiteur de faire face à ses dettes, il va prononcer la liquidation judiciaire du débiteur et nommer les organes de la procédure,, à savoir le liquidateur, le juge commissaire, un juge commissaire suppléant et l’huissier éventuellement appelé à faire l’inventaire des biens.
Ce même jugement va fixer le délai au terme duquel la clôture devra être examinée. Il convient de noter que le délai est sauf exception, très respecté.

Le débiteur va ainsi se retrouver face à une décision immédiatement exécutoire, dès lors que Le jugement est exécutoire par provision.

L’appel est bien entendu possible mais est très rare dans les faits. En effet, dans le cadre de la liquidation judiciaire du particulier, c’est en général toujours le particulier qui fait une demande en ce sens. Il ne va dès lors pas faire un recours contre la décision qui lui accorde ce qu’il demande.

Par contre, il est arrivé qu’un créancier forme avec succès, une tierce opposition

Dans la pratique, dès lors que le tribunal rend sa décision dans la journée, le débiteur peut au plus tard dans les 24 heures avoir les coordonnées du liquidateur chargé des opérations de liquidation et de l’huissier éventuellement chargé de l’inventaire.

Dans beaucoup de cas, le magistrat se prononce sur le siège et indique de suite quels sont les organes nommés pour procéder à la liquidation
Dans ce cas, en pratique, le débiteur sort d’audience et prend de suite contact avec l’étude du liquidateur pour fixer le premier rendez-vous dès lors qu’il a intérêt à ce que les opérations se passent le plus vite possible.

Il faut savoir que comme dans les affaires commerciales, le tribunal peut fixer la date d’insolvabilité notoire à une date antérieure allant jusqu’à 18 mois. Lorsque le tribunal ne fixe pas la date d’insolvabilité à une date antérieure au jugement d’ouverture de la liquidation, le mandataire de justice ou/et le ministère public peuvent demander le report de cette date à une date antérieure.
Il faut noter que tant le ministère public que la mandataire peuvent demander ce report plusieurs fois, la seule limite étant l’antériorité de 18 mois par rapport au jugement d’ouverture de la liquidation.

2- L’arrêt des poursuites

Le jugement de liquidation marque l’arrêt des poursuites et signifie dans les faits le retour à un peu de tranquillité pour le débiteur.

En effet, le jugement de liquidation est immédiatement opposable à tous, bien entendu les créanciers peuvent tenter des recours, qui dans la pratique sont rarissimes du fait de leur peu d’efficacité.

Dès le prononcé du jugement, toutes les poursuites individuelles et toutes les procédures civiles sont interrompues en vertu des articles L722-21, L631-14-1 et L641-3 du code de commerce.

En effet, les poursuites ne peuvent plus être dirigées que contre l’administrateur en vertu de l’effet de dessaisissement du débiteur, dessaisissement qui est l’une des conséquences du prononcé du jugement de liquidation.

Lorsque le débiteur est le demandeur à l’action, le jugement de liquidation interrompt de plein droit les instances en cours. Elles ne peuvent être reprises que par le liquidateur.

Toutes les procédures d’ordre sont stoppées par le jugement de liquidation ainsi que l’inscription des hypothèques.

3- Le courrier

Le juge commissaire peut ordonner que le courrier du débiteur soit remis au liquidateur.
Le débiteur sera alors informé de la date d’ouverture des courriers et pourra être présent. S’il est présent, il peut réclamer la restitution immédiate de tout courrier à caractère privé. La même règle vaut pour les notifications de décisions et les convocations devant une juridiction Le juge commissaire peut aussi autoriser le liquidateur à accéder aux courriels.
Dans la pratique cette disposition est très rarement usitée.

4- Le dessaisissement du débiteur

De part l’article 641-9 du code de commerce, le jugement de liquidation emporte de plein droit dessaisissement du débiteur et ce, tant qu’un jugement de clôture n’est pas intervenu.

A ce titre il faut rappeler que les textes en matière de dessaisissement sont très précis, le débiteur est dessaisi dès 0 heure, le jour où la liquidation est prononcée.

Il en résulte que le débiteur ne peut faire un retrait bancaire le jour où son jugement est prononcé. En effet, dès lors qu’il est dessaisi à partir de 0 heure le jour du jugement, donc déjà quelques heures avant le jugement et qu’il n’a pas encore de nouveau compte bancaire ouvert avec l’autorisation de l’administrateur il va être ennuyé.
Il convient donc à son conseil d’attirer l’attention du débiteur sur le fait qu’il risque de se retrouver sans argent liquide pendant quelques jours ; et de lui conseiller de prendre les précautions nécessaires.

Si des retraits ont néanmoins eu lieu, l’établissement bancaire, même de bonne foi, est ainsi contraint de reverser la somme retirée par le débiteur (Cass Com 18 janvier 2000 Gaz. Pal. 2000 N°1872.
La sanction de ces actes est simplement l’inopposabilité à la procédure collective.

5- La réalisation de l’actif

Le débiteur est ensuite confronté à la réalisation de son actif.
Le liquidateur va procéder à la vente de tous les actifs du débiteur, sauf bien entendu les actifs insaisissables et ceux de faible valeur.
Se pose alors souvent le problème du véhicule.

Il est par exemple totalement impossible dans certaines circonstances de ne pas posséder de véhicule ; c’est le cas par exemple d’un débiteur qui vit à quelques kilomètres de son lieu de travail et qui de ce fait a besoin du véhicule pour se rendre à son travail.

Or, le véhicule ne fait pas partie des biens insaisissables, ce qui va contraindre le liquidateur à faire vendre ledit véhicule s’il a une valeur vénale.

En général, lorsqu’il s’agit de vieux véhicules qui ne sont plus cotés à l’argus et qui ont une valeur résiduelle très faible, le liquidateur ne les met pas en vente.

Par contre, si dans la préparation du dossier de liquidation se trouve un véhicule qui risque, du fait de sa valeur vénale, d’être vendu, il convient là aussi d’attirer l’attention du débiteur sur ce point.

Il faut à ce moment là lui conseiller de trouver un membre de la famille ou un ami, susceptible de racheter le véhicule au liquidateur et de le laisser à la disposition du débiteur.

Cette solution est souvent adoptée et fonctionne très bien dès lors d’une part, que le liquidateur a réalisé l’actif que représente le véhicule et a affecté les fonds à la liquidation.

D’autre part, nul texte n’interdit à l’acheteur de laisser le véhicule à la disposition du débiteur.

En général, en présence d’actif de valeur, le liquidateur voit généralement d’un bon œil les offres de rachats raisonnables, dès lors que cela lui permet de réaliser plus rapidement les actifs.

En effet, la vente de gré à gré est tout à fait légale dans le cadre d’une liquidation, il suffit qu’elle soit autorisée par le juge commissaire.

Dans la pratique, ce dernier ne refuse une telle demande que lorsqu’il a des doutes sur la valeur du bien.

Une fois rendue, l’ordonnance est notifiée aux parties qui disposent d’un délai de 8 jours pour faire un recours.

Le créancier qui s’estime lésé peut faire tierce opposition.

La tierce opposition se rencontre en général lors de la vente d’un immeuble, lorsque le créancier estime que le prix de vente est trop bas.
Ce type d’action a de réelles chances d’aboutir, si bien entendu la partie qui a fait opposition peut démontrer ses prétentions.

En général, lorsque le recours abouti, une expertise aux fins d’évaluer la valeur de l’immeuble est réalisée.

La vente se fera ensuite, ou non, l’acheteur pouvant alors bien entendu renoncer à son acquisition au vu du nouveau prix.

Cette arme entre les mains du créancier peut s’avérer être à double tranchant. En effet, dans une période de prospérité économique, il a tout à gagner à faire une tierce opposition, ne serait ce que parce que, s’il arrive à suffisamment semer le doute pour obtenir une expertise, l’immeuble aura de toute façon pris de la valeur.

Par contre, cette action serait plutôt à déconseiller dans une période de marasme de l’immobilier, dès lors qu’en période de crise, il n’est pas certain du tout qu’un nouvel acheteur se présente rapidement si le premier renonce.

Il convient ainsi d’apprécier soigneusement les circonstances de ce type d’action.

Par ailleurs, dans le dernier cas, on pourrait se poser la question de la responsabilité du créancier qui de part son action téméraire en période de crise, a nuit, même non intentionnellement, à la bonne marche de la liquidation et donc aux intérêts du débiteur, dont la liquidation a traîner de ce fait.

A notre connaissance la question ne s’est pas encore posée ; mais en l’état actuel du marché immobilier, la question pourrait un jour être soulevée.

II- Le jugement de clôture de la liquidation judiciaire et ses conséquences sur le débiteur.

1- Le principe de la liberté retrouvée

La clôture de la liquidation, le plus souvent pour insuffisance d’actif, efface l’ensemble de dettes du débiteur. Par ailleurs, ses biens ayant été vendu, y compris ses biens immobiliers, il en résulte une purge des hypothèques, et l’impossibilité de la reprise des poursuites par les créanciers.

Il faut cependant préciser que l’effet extinctif du jugement de clôture de la liquidation est attaché à la personne du débiteur 5 Cour d’appel de Colmar, 3ème chambre civile GAUTRIN./. GUILLET RJE 200 N°1 p 19 et s

La dette elle, subsiste toujours mais le créancier n’a plus aucune possibilité de poursuivre le débiteur.

Par contre, nul n’empêche le débiteur, en cas de retour à meilleure fortune, de rembourser volontairement lesdites dettes. Un tel paiement a toujours été considéré comme valable.
Nul ne peut cependant l’y obliger.

2- Les exceptions

Il existe des cas dans lesquels les poursuites peuvent reprendre.

- La contribution au passif

La loi du 1er juillet 2003 prévoit que le tribunal peut imposer au débiteur une contribution au passif pour une durée maximale de deux ans. Cette contribution doit rester exceptionnelle ;

Elle doit uniquement être mise en œuvre lorsque le débiteur qui voit l‘ensemble de ses dettes s‘effacer dispose néanmoins de ressources suffisantes pour contribuer au désintéressement des créanciers.

Cette contribution est déterminée sur la base des ressources du débiteur auxquelles sont retranchées l’ensemble des charges incompressibles.

Le tribunal est chargé de désigner un commissaire chargé de veiller à cette exécution et le montant de la contribution peut être diminué si les ressources du débiteur diminuent ou si ses charges augmentent.

- L’acte délictueux

La créance qui résulte de la condamnation pénale du débiteur n’est pas effacée ; le créancier retrouve son droit de poursuites à la clôture de la liquidation

- Les créances directement attachées à la personne du débiteur

Il s’agit là des créances alimentaires, des dommages et intérêts dus à la victime que ce soit pour son dommage matériel ou moral

- Les créanciers victimes d’une fraude du débiteur

En cas de fraude avérée du débiteur envers un ou plusieurs créanciers, la notion de fraude étant appréciée au sens large du terme, les créanciers victimes desdites fraudes retrouvent leurs entiers droits de poursuite après la clôture de la liquidation

- La caution ou le co-obligé ayant payé en lieu et place du débiteur

Tant la caution que le co-obligé retrouvent leur droit de poursuite. Cette disposition s’explique par le fait que la créance n’est pas éteinte.
Il faut savoir que dans la pratique le Cautionnement Mutuel de L’Habitat reprend toujours les poursuites dès la liquidation clôturée.
Un cas de reprise extrême intéressant a eu lieu récemment ; deux époux avaient construit et se sont retrouvés en liquidation judiciaire. Seul le mari avait signé le document du CMH, l’épouse ne l’avait pas signé.
Le CMH a reprit les poursuites contre les deux époux et en vertu du fait que la caution n’a pas besoin de l’accord du cautionné pour le garantir, l’épouse a elle aussi été condamné à rembourser le CMH.

- Le fichage FICP

Lors d’une liquidation judiciaire, et contrairement à l’ancienne loi, la liquidation n’est plus mentionnée sur le casier judiciaire du débiteur mais en contrepartie, il est inscrit au FICP ( fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers) d’une durée de 8 ans.

C’est à ce prix là que le débiteur peut se défaire de ses dettes et recommencer une nouvelle vie.

Cathy Neubauer

Avocat

cathy.neubauer chez wanadoo.fr