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Abolissons les privilèges !
février 2004
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Les articles de la "Lettre du Recouvrement" Numéro 3 :

Par Pierre Gonzva (HEC.84), directeur général du Cabinet d’Ormane, recouvrement de créances.

Petite histoire presque vraie tirée de la vie bien réelle des entreprises.

Soit une société de maintenance d’installations industrielles, ayant pour clientèle des PME agro-alimentaires. C’est une entreprise provinciale, au capital familial, toujours dirigée par son fondateur.

Notre chef d’entreprise a des soucis classiques : les échéances fiscales et sociales à régler, le découvert bancaire durement négocié, les clients qui tardent à payer. Et justement l’encours d’un de ses principaux clients, fabricant de biscuits, augmente trop. Jusqu’au jour où le tribunal de commerce prononce le redressement judiciaire, suite à une procédure diligentée, croyez-le ou non, par l’Urssaf locale. La suite est classique : période d’observation, puis proposition d’un plan de continuation, lequel prévoit e règlement des fournisseurs à 70 % en sept annuités, dont la première sera payée un an après l’homologation du plan, soit deux ans après le redressement. A peine de quoi couvrir les frais financiers, sous réserve que le plan soit respecté et qu’une liquidation ne soit pas prononcée entre temps. Les créanciers privilégiés, dont l’Urssaf, sont payés immédiatement. C’est justement l’intérêt de leur privilège.

Purger es privilèges.

Comme il s’agissait d’un gros client, notre patron a continué ses prestations après le redressement, rassuré par l’objectif de poursuite d’activité. Il émet alors des factures dites de l’article 40, postérieures à la date du redressement, qui doivent être payées normalement sous le contrôle de l’administrateur judiciaire. Perdre un client important ou voir l’encours s’accumuler une deuxième fois, quel choix difficile.
Et voilà une nouvelle tuile : plutôt que d’homologuer le plan de continuation, le tribunal de commerce a préféré la reprise de ’activité par un concurrent, qui apporte des garanties financières et le maintien de l’emploi. C’est une tuile car, si le plan de cession prévoit bien le règlement des créances de l’article 40 par le repreneur, cela ne se fait pas dans l’instant. Il faut purger les privilèges : le produit de la cession est affecté d’abord aux salaires, puis aux dettes sociales et fiscales, enfin aux autres créanciers. Combien de temps faut-il pour purger ces privilèges ? ’expérience montre que six mois est un délai minimum, et un an une bonne moyenne. Notre chef d’entreprise a vraiment la poisse : non seulement le plan de cession n’a pas prévu le règlement de ses créances antérieures au redressement, mais il devra encore attendre un an pour que ses factures article 40 soient honorées !

Eviter a réaction en chaîne.

Lorsqu’on sait qu’une part significative des dépôts de bilan a pour origine le redressement ou la liquidation d’un client de l’entreprise défaillante, on mesure bien le risque de réaction en chaîne.

Alors que e législateur étudie la réforme des procédures collectives, l’abolition des privilèges du Trésor et des organismes sociaux serait une décision de nature à faciliter la continuation de l’activité des entreprises en difficulté, et donc à éviter les dépôts de bilan en cascade.

L’abolition des privilèges, symbolisant l’égalité entre la puissance publique et les entreprises, signifie le retrait de l’Etat, qui deviendrait un partenaire comme un autre. De plus, ce serait un puissant aiguillon pour réformer l’administration, en l’incitant à évaluer et gérer les risques de façon analogue aux acteurs privés. On ne verrait plus des Urssaf assigner en redressement des entreprises viables mais à la trésorerie serrée, dans le but de faire jouer les privilèges.

Les administrations auraient alors intérêt, dans eur gestion quotidienne, à œuvrer pour la prévention des difficultés et la mise en place de solutions en amont du dépôt de bilan. Diminuer les défaillances d’entreprises, cela veut dire réduire les défaillances en cascade, donc sauvegarder l’activité économique, les emplois, les recettes de TVA et les cotisations sociales. es pertes fiscales et sociales dues à la disparition des privilèges seraient à coup sûr argement compensées par l’élargissement et la pérennisation de la base taxable. L’abolition des privilèges serait une bonne manière de faire converger l’intérêt des entreprises avec celui de l’administration.