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Les clauses limitatives ou éxonératoires de responsabilité. Par Cécile Godfrin, Juriste
Parution : lundi 10 janvier 2011
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Principe de validité : Rappelons que ces clauses sont considérées comme valables dans les rapports entre professionnels.

En l’état du droit positif, deux situations font échec à l’application des clauses limitatives ou élusives de responsabilité dans les contrats entre professionnels :

-  la contradiction (contrariété entre la clause et la portée de l’engagement contractuel) (I) ;

-  la commission d’une faute lourde (II) par le cocontractant.

I – LA CONTRADICTION

Peut être privée d’effet la clause limitative de responsabilité qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur. C’est la clause qui vide le contrat de sa substance, qui désactive l’engagement pris par le partenaire au contrat. Elle est écartée parce qu’elle prive de sanction l’inexécution d’une obligation fondamentale.

Sont évidemment concernées les stipulations qui excluent toute responsabilité en cas de manquement (clauses exonératoires).

Il en va de même de celles qui fixent un plafond dérisoire de réparation parce qu’elles libèrent finalement le débiteur, faute de sanction consistante, de l’exécution de son obligation essentielle.

Le critère retenu par les juges est donc l’effet que produit la clause sur la portée de l’engagement contractuel du débiteur.

La solution a été récemment posée par nos hauts magistrats dans l’arrêt Faurecia du 29 juin 2010 (ch. com, Cour de cass.) dont la portée dépasse le seul domaine des contrats informatiques.

Dans cette affaire, l’équipementier automobile Faurecia décide en 1997 de refondre son système d’information et commande à la société Oracle une solution informatique de gestion et de production, attendue en 1999. Au tournant de l’année 2000 le logiciel n’est toujours pas livré et un programme provisoire est mis en œuvre. Celui-ci rencontrant de graves difficultés, la société d’équipements automobiles cesse de régler les redevances et assigne Oracle aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties (contrat de licence, contrat de maintenance, contrat de formation, contrat de mise en œuvre du progiciel).

Dans un premier arrêt (13 fév 2007), la Cour de cassation, déjugeant la Cour d’appel de Versailles (31 mars 2005), - qui, elle, avait validé la clause - , avait estimé que la non-livraison du logiciel constituait un manquement à une obligation essentielle « de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation ». La seconde cour d’appel (Paris, 26 nov. 2008) allait faire preuve de résistance et retenir que si le prestataire avait effectivement manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant d’indemnisation n’était pas dérisoire, et que la clause ne privait pas l’équipementier de toute contrepartie. Le plafond de réparation respectait l’équilibre général du contrat.

Cette position a été reprise par la Cour de cassation dans l’arrêt du 29 juin 2010. La Cour choisit de valider le raisonnement des juges du fond qui tenait compte des circonstances de la négociation intervenue entre les deux entreprises. Pour conclure à son tour à la validité de la clause limitative, elle reprend les constatations de la cour d’appel, selon laquelle :

• la clause avait été librement négociée et acceptée par les parties, rompues aux négociations et averties en matière de clauses de réparation ;

• la clause limitative de responsabilité ne privait pas de toute contrepartie le cocontractant dans la mesure où il bénéficiait d’un tarif préférentiel (Oracle avait consenti un taux de remise de 49 %) ;

• la limitation de responsabilité qui en résultait n’était pas dérisoire ;

• la clause de limitation était valable, et ce, quand bien même l’obligation essentielle avait été violée.

La Haute Cour en a déduit que la clause litigieuse ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle de la société Oracle, et qu’elle n’était alors pas contraire à l’objet du contrat. Elle a décidé, sans ambiguîté, qu’un manquement à l’obligation essentielle ne suffit pas à écarter la clause restrictive d’indemnité et que, innovation utile de l’arrêt, « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur ». Autrement dit qui équivaut à vider le contrat de sa substance !

Avant d’entériner le contenu de leur accord, les partenaires à un contrat devront donc tenir compte de l’analyse in concreto désormais portée par les juges.
Le présent arrêt milite pour une appréciation de la validité des clauses de réparation par rapport à l’équilibre général du contrat, à sa cohérence, à sa finalité globale. Comme le soulignent certains auteurs - (G. Mailhac-Redon et F. Marmoz, LPA 29 déc.2000 n°260, Cause et économie du contrat, un tandem au service de l’interdépendance des contrats) – « c’est la contradiction de la clause avec l’économie générale du contrat qui justifie sa mise à l’écart ».

En l’espèce, il était établi que la limitation de responsabilité avait été voulue par les deux parties et qu’elle reflétait la cohérence des intérêts de chacune. « En somme, il semble que, sous couvert de non-contradiction, la Cour de cassation glisse vers la théorie de la lésion » (X. Delpech, note sous l’arrêt, Recueil Dalloz 2010, p.1832, sur dalloz.fr).

Par ailleurs, l’autre apport de cet arrêt a été de rappeler, de manière incidente, qu’un manquement à une obligation essentielle ne constitue pas ipso facto une faute lourde.


II - LA FAUTE LOURDE

L’équipementier automobile faisait également valoir que le non-respect du calendrier de livraison par la société Oracle constituait une faute lourde de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de responsabilité. Ce à quoi la Cour a répondu, s’appuyant sur la conception subjective de la faute lourde, que celle-ci « ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».
La formulation utilisée dans les arrêts de la célèbre saga « Chronopost » est ici reprise mot pour mot (cf. l’arrêt « Chronopost » du 13 juin 2006, cass., ch. com.). La notion de faute lourde est caractérisée par « une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle » et « doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».

Sur ce point, la Cour de cassation confirme l’analyse de la cour d’appel qui avait constaté que Faurecia ne rapportait pas la preuve d’une faute de l’éditeur d’une gravité telle qu’elle devait tenir en échec la stipulation limitative d’indemnité.

Cécile GODFRIN

Juriste chez AREVA

cecilegodfrin chez yahoo.fr