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La fixation du montant de l’indemnité d’expropriation. Par Christophe Degache.
Parution : mardi 1er mars 2011
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Quand les juges colorent de vert la notion de situation privilégiée...

Dans un arrêt du 19 octobre 2010, la Cour de Cassation semble intégrer de manière tacite un nouveau critère, celui de l’utilité sociale.

Les faits de l’espèce étaient les suivants :

Il s’agissait de fixer la valeur d’une parcelle de terrain non constructible de 11 130 m² située en milieu urbain ; l’expropriant proposait un prix de 10 € le m² ; l’exproprié en voulait 30 € le m² ; le juge du fond non censuré alloua 19,88 € le m², soit pratiquement 20 € le m².

Pour arriver au juste milieu, la Cour de Cassation s’appuie sur la notion de situation privilégiée en lui donnant une nouvelle coloration rompant ainsi avec les principes d’indemnisation.

I. Les principes d’indemnisation

Les modalités d’indemnisation en matière d’expropriation sont posées par les articles L 13-13 à L 13-20 du Code de l’Expropriation.

L’article L 13-13 du Code de l’Expropriation oblige l’Administration à réparer l’intégralité du préjudice causé par l’expropriation.

L’expropriation est une vente forcée qui implique la réparation d’un préjudice résultant d’une atteinte au droit de propriété, droit de valeur constitutionnelle.

La réparation de ce préjudice est balisée par une donnée chronologique, la date de référence et par des caractères spécifiques.

Tout d’abord, l’article L 13-15 du Code de l’Expropriation dispose que le bien doit être évalué en considération de son usage effectif un an avant l’ouverture de l’enquête publique, qui est une phase préalable à l’obtention de l’ordonnance d’expropriation et donc à l’estimation que le juge fera du bien.

En l’espèce, la Cour d’Appel de MONTPELLIER s’est prononcée le 13 juillet 2009 à propos d’un bien dont l’usage effectif a été figé au 8 mars 2006.

Il est bon de constater d’ailleurs que dans le cas d’espèce l’usage du terrain, zone non constructible, était identique avant, pendant et après la procédure d’expropriation.

Le préjudice réparable doit être direct, matériel et certain.

Le caractère direct nécessite un lien étroit avec la mesure d’expropriation, étant rappelé que le préjudice moral n’est pas indemnisable.

Le préjudice ne doit pas nécessairement être actuel, un préjudice futur pouvant être indemnisable dans la mesure où il est certain.

En l’espèce, les propriétaires de la parcelle expropriée justifiaient d’un préjudice direct, matériel et certain et leur parcelle était classée en zone non constructible.

La proposition de l’expropriant présentant une offre à 10 € le m², supérieure à la valeur du terrain agricole situé aux alentours de 5 €, pouvait donc apparaître comme juste.

Cependant, les juges ne l’ont pas suivi en se référant pour ce faire à la notion de « situation privilégiée » qu’ils colorent de vert.

II. La situation privilégiée du terrain

La Jurisprudence (Cass. 3ème civ. du 1er décembre 1993 Cts VIGOUREUX / SNCF ; Cass. 3ème civ. du 14 février 1996 Dpt de Seine et Marne / M. BOUILLE ; Cass. 3ème civ. du 11 février 1998 Cne d’OTHIS / Epoux TAILLADE ; Cass. 3ème civ. du 12 mars 2003 M. PRIOT / Sté Marseille Aménagement) considère que lorsque la qualification de terrain à bâtir ne peut pas être retenue, certains éléments factuels tels que la proximité d’une zone habitée, la présence d’équipements scolaires, l’existence de réseaux de viabilité ou de voies de circulation, sont de nature à conférer une plus-value au terrain dont le coût doit être supérieur à du simple terrain agricole.

En l’espèce, l’expropriant, le Commune de MONTPELLIER, était dans cet état d’esprit la zone étant située à proximité de réseaux, voies de circulations et équipements, elle proposa un prix supérieur à celui du terrain agricole, incluant cette notion de plus-value qui n’était contestée par aucune partie ni par le Commissaire du Gouvernement.

Les juges du fond auraient pu retenir la proposition de l’expropriant, l’effort financier du simple au double au regard de la valeur du terrain agricole étant visible.

Cependant ils vont plus loin et ajoutent, c’est l’apport de l’arrêt par rapport à la liste d’éléments créant la situation de terrain privilégié, un nouveau facteur de plus-value, la valeur environnementale.

La Cour de Cassation qualifie le terrain dont s’agit de « poumon de l’agglomération » ce qui lui confère le caractère de situation privilégiée.

Ainsi la Cour de Cassation installe une dimension d’utilité sociale, la protection de la qualité de vie, qui dans un sens se rapproche de la notion d’intérêt général au nom de laquelle l’expropriation est faite, pour augmenter le montant de l’indemnisation du préjudice de particuliers.

Il y a peut-être là un paradoxe.

Christophe Degache Avocat au Barreau de la Haute-Loire DEA Droit public [->christophe.degache@bbox.fr]