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L’invention de salarié : étude comparative avec le droit allemand. Par Pierre Collier
Parution : jeudi 17 mars 2011
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Le nombre de brevets déposés dans un pays est significatif de l’énergie et des investissements opérés par les entreprises et par la même retranscrit les résultats d’une politique d’innovation. Aujourd’hui, 90% des inventions brevetées, que ce soit en France où en Allemagne, sont réalisées par des inventeurs salariés et pourtant, force est de constater que le nombre de brevets déposés en 2009 est de 8029 en France et de 25107 en Allemagne. Cet écart traduit l’intérêt de la comparaison de la situation particulière du salarié au sein des deux régimes juridiques.

Lors de la conclusion du contrat de travail, le salarié s’engage à fournir une prestation, et l’employeur à lui payer un salaire. On entendra par salarié un « travailleur rémunéré qui, en vertu d’un contrat de travail, fournit une prestation de travail à un employeur qui le paie et lui donne des ordres » (Vocabulaire Juridique, Gérard Cornu, 8è éd. 2007, puf). La loi allemande sur les inventions de salariés, « Arbeitnehmererfindungsgesetz » (ArbnEG), s’applique selon son article premier aux salariés du secteur privé et du secteur public. Dans le cadre de l’article, nous nous concentrerons uniquement sur les inventions brevetables des salariés du secteur privé en droit allemand et français.

Le contrat de travail constitue un cadre juridique instituant une relation de travail. Lorsque l’employé évolue à l’intérieur de ce cadre et exécute sa mission, il est lié à l’employeur. Ce lien entre employé et employeur doit cependant être subordonné au respect des droits et obligations du salarié c’est pourquoi il est nécessaire d’encadrer particulièrement le régime des inventions de salarié. Ces inventions sont juridiquement protégées par le brevet d’invention : un titre délivré par les pouvoirs publics conférant un monopole temporaire d’exploitation sur une invention à celui qui la révèle, revendique ce monopole et en donne une description suffisante et complète.

Le droit au brevet peut être exercé par l’employeur ou par le salarié : tout dépendra de la qualification de l’invention. La capacité inventive du salarié peut alors être ou non absorbée par le contrat de travail. Le régime détermine la titularité du droit au brevet lié à l’invention ainsi que le mode, ou l’existence même, de la rémunération du salarié inventeur.

En France, la loi n°78-742 du 13 Juillet 1978 modifiée par la loi n° 90-1052 du 26 Novembre 1990 a précisé à l’article L.611-6 du Code de la Propriété Intellectuelle(CPI) que le droit au brevet appartient à l’inventeur ou à son ayant cause. Le fait que l’inventeur soit subordonné à un employeur par un contrat de travail a une incidence sur la titularité du droit au brevet. L’article L.611-7 CPI règle le sort des inventions de salariés en distinguant trois catégories d’inventions qui vont subir trois régimes différents.

En revanche le législateur allemand a opté pour une catégorisation duale des inventions de salariés par l’article 4 de la loi sur les inventions de salariés, l’ « Arbeitnehmererfindungsgesetz »

Peu importe la qualification de l’invention, le salarié à l’obligation de la déclarer à son employeur. Dans les deux systèmes donc, cette obligation pèse sur le salarié inventeur et permet à l’employeur de revendiquer ses droits.

Nous sommes ainsi amenés à rechercher, dans l’optique d’une étude comparative, les caractéristiques des différents régimes des inventions de salariés, les droits et les obligations pesant sur le salarié inventeur et sur son employeur et également à nous demander si le transfert de la titularité du droit au brevet est identique selon la nature de l’invention réalisée et si cela emporte des effets sur l’innovation.

La comparaison de deux systèmes juridiques distincts nous incite alors à traiter les mécanismes de transfert du droit au brevet dans le cadre d’une mission inventive (I) ainsi que dans le cadre d’une invention hors (II).

I Les mécanismes de transfert du droit au brevet dans le cadre d’une mission inventive

Appelées inventions de « mission » en France et inventions de « service » en Allemagne, les inventions réalisées dans le cadre d’une mission inventive et leur droit au brevet sont transférées à l’employeur par des mécanismes propres à chaque législation. Les législations française et allemande confèrent dans cette situation une rémunération particulière au salarié dont le mode de calcul emporte des enjeux importants.

En France les inventions de « mission » ou de « service » sont des inventions réalisées par le salarié dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive, soit dans le cadre d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées. L’objet même du contrat de travail étant spécifiquement l’invention, le droit au brevet revient contractuellement et de plein droit à l’employeur.

L’article L. 611-7- 1° CPI de la loi du 13 Juillet 1978 modifiée par la loi du 26 Novembre 1990 dispose précisément que « Les inventions faites par le salarié dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à l’employeur. Les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d’une telle invention, bénéficie d’une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d’entreprise et les contrats individuels de travail. »

On distingue deux types d’inventions parmi les inventions de mission : les inventions de mission permanente et de mission occasionnelle. Pour que les inventions de mission permanente appartiennent à l’employeur, il doit y avoir correspondance entre la mission inventive et les fonctions effectives réellement exercées par le salarié. Le transfert des droits attachés à une invention de mission occasionnelle est, pour sa part, conditionné à un rapport entre la mission donnée et l’invention considérée. Si le rapport est étroit les droits seront attribués l’employeur.

Si ces conditions sont remplies, le salarié ne dispose alors sur cette invention d’aucun droit. Il est toutefois prévu par la loi que ce dernier peut bénéficier d’une rémunération supplémentaire qui intervient au titre d’un complément de salaire. Les modalités de cette rémunération sont définies par des conventions collectives, par un accord d’entreprise ou par un contrat individuel.

La loi allemande de 1957 sur les inventions de salariés distingue quant-à-elle les « inventions de service » et les « inventions libres ».

Les inventions de « service » comprennent, en droit allemand, les inventions de mission française que nous évoquions précédemment. L’article 4 al.2 de la loi allemande sur les inventions de salariés précise que les inventions de service sont des inventions réalisées dans le cadre d’une mission donnée par l’employeur ou des inventions s’appuyant sur l’activité ou l’expérience de l’entreprise. Dans de telles circonstances le droit au brevet portant sur l’invention revient à l’employeur.

Afin d’informer son employeur, l’employé a l’obligation de lui faire une déclaration. Même si l’attribution à l’employeur des droits attachés à l’invention est directe dans le cadre d’une invention de « service », encore faut-il qu’il exerce ce droit : l’employeur doit alors déposer une demande de brevet.

L’inventeur salarié d’une invention qualifiée de « service » bénéficie alors d’un système de rémunération qui s’appuie d’avantage sur la rentabilité de l’invention que ce qui est actuellement retenu en droit français.

En effet, l’inventeur, dans le cadre d’une invention de service, pourra selon l’article 9 al.1 ArbnEG demander une compensation, qui sera, selon l’al.2, évaluée par rapport aux « possibilités d’exploitation économique de l’invention, des tâches et de la situation du salarié dans l’entreprise et de sa part dans la réalisation de l’invention ». Le calcul consiste en la multiplication de la valeur de l’invention, calculée entre autres selon ses applications possibles à venir, par un facteur dit de participation, c’est-à-dire un coefficient qui chiffre la contribution personnelle de l’inventeur et tient compte du fait que l’invention est rarement le fait d’un seul individu.

Les critères de détermination du montant de la rémunération du salarié pour les inventions réalisées dans le cadre d’une mission inventive sont donc différents entre " les deux pays et produisent d’importants effets". En 2008 l’Observatoire français de la Propriété Intellectuelle (OPI, département études économiques de l’INPI), réalisant une étude sur le droit français, souligne que « les dispositions prévues dans les conventions collectives sont, quand elles existent, floues et incomplètes, voire irrégulières ». Cela peut amener l’employeur à verser une rémunération bien inférieure à ce qu’elle devrait-être. Ce phénomène peut conduire le salarié à prétendre que l’invention n’est pas de mission afin d’en retirer un plus grand profit et engendre un contentieux important.

Le mode de calcul retenu par le législateur allemand est quant-à-lui plus favorable au salarié en ce qu’il est plus rémunérateur. La loi française offre une compensation à l’inventeur salarié, une « rémunération supplémentaire » qui est faible et floue car elle n’est pas légalement définie, tandis que la loi allemande le récompense : la rémunération offerte, la « Angemessene Vergütung », y est plus conséquente en raison des critères utilisés. Le mode de calcul a de réels impacts sur l’innovation même si beaucoup d’autres facteurs rentrent en jeu.

En France, une proposition de loi avait été déposée le 4 Juin 2010 par le sénateur Richard Yung afin de réformer le régime des inventions de salariés concernant notamment la rémunération. Attendu par les inventeurs et crainte par les entreprises (eu égard au risque d’augmentation de leurs coûts), cette réforme largement inspirée du droit allemand reprenait la terminologie de ce dernier et regroupait les inventions de mission et les inventions hors mission attribuable en une seule et même catégorie : les inventions de service. Cette proposition de loi a toutefois été supprimée de l’ordre du jour du Sénat et n’a toujours pas été réinscrite.

La relation contractuelle qui lie l’employé à son employeur bouleverse ainsi la titularité du droit au brevet. Le régime des inventions réalisées hors de toute mission inventive se démarque du régime des inventions réalisées au cours d’une mission inventive de par la nature de la qualification de l’invention et de celle de la rémunération du salarié inventeur.

II La titularité du droit au brevet dans le cadre d’une invention hors mission

La titularité du droit au brevet dans le cadre d’une invention réalisée en dehors de toute mission inventive revient en principe au salarié. Les inventions « libres » (droit allemand) ou « hors mission » (droit français) peuvent cependant être attribuées sous certaines conditions à l’employeur. Cette exception porte un nom en droit français : l’invention « hors mission attribuable ». En droit allemand, il existe seulement une action en revendication de l’employeur, l’ "Inanspruchnahme », qui permet si elle aboutit de requalifier l’invention en invention de « service ».

En principe, dans le cadre d’une invention réalisé hors mission, l’employé est titulaire des droits sur son invention et seul celui-ci peut déposer une demande de brevet sur son invention. Le contrat de travail est dans ce cas totalement détaché du droit au brevet et la protection de l’invention du salarié doit revenir au salarié. Une fois l’invention réalisée, la déclaration à l’employeur est tout de même obligatoire afin que celui-ci puisse se retourner contre l’inventeur en cas de désaccord sur la qualification.

En droit français, si l’employeur revendique la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet dans un délai de quatre mois, l’invention doit présenter un lien avec l’entreprise ; soit l’invention rentre dans son domaine d’activité, soit l’invention a été réalisée durant les heures de travail ou encore grâce aux moyens ou connaissances de l’entreprise (art. L. 611-7CPI). Dans ces situations, l’employeur peut se voir attribuer une licence d’exploitation, c’est-à-dire un droit de jouissance, ou bien la propriété de l’invention si les liens de rattachement sont très nombreux. Le juge est souvent amené à trancher car cette situation est souvent objet de litige. Il dispose alors d’un pouvoir souverain d’appréciation.

En droit allemand l’employeur doit se manifester dans les trois mois suivant la déclaration du salarié s’il souhaite revendiquer ses droits (art.18al.2 ArbnEG). Une fois ce délai dépassé, l’invention ne peut plus être qualifiée de « service ». De plus pour que l’employeur puisse revendiquer un droit, il est nécessaire que l’invention rentre dans le domaine d’activité de l’entreprise (art.8 al.3 ArbnEG) et, - pour que l’employeur se fasse attribuer jusqu’à la propriété de l’invention, – celle-ci doit également avoir été réalisée durant les heures de travail du salarié (art.19al.1 ArbnEG).

Certes, si l’invention est « libre » ou « hors mission » l’inventeur bénéficie de son invention et ne reçoit aucune compensation financière. En revanche lorsque l’employeur s’est fait attribuer tout ou partie de l’invention, le salarié doit être rétribué, dans le droit français, à hauteur d’un « juste prix ». Celui-ci se distingue de la « rémunération supplémentaire » en ce qu’il est déterminé notamment par « l’utilité commerciale et industrielle de l’invention » ainsi que par les apports initiaux de l’une et de l’autre des parties (art. L.611-7-2 CPI). A la différence d’une invention réalisée dans le cadre d’une mission inventive, l’invention « hors mission attribuable » confère un avantage économique certain au salarié car le juste prix prend en compte l’intérêt commercial et industriel de l’invention.

Une décision du Tribunal de Grande Instance de Paris de 2008 (TGI Paris, 3 ch., 28 Mars 2008) témoigne de ce que le juge prend en compte le cadre général de recherche dans lequel l’invention a été mise au point, la contribution personnelle du salarié et l’intérêt de l’invention. Aucun calcul et aucune définition de l’ « intérêt de l’invention » n’ont été indiqué par le législateur ou par la jurisprudence.

En droit allemand, si l’invention n’est pas « libre », elle est nécessairement de « service » et le salarié sera rémunéré tel qu’il est décrit plus haut lors du transfert du droit au brevet dans le cadre d’une mission inventive.

Le droit allemand et le droit français cherchent tous deux à protéger le salarié inventeur qui est par nature dans la situation de la partie faible, en lui octroyant une rémunération lorsque l’attribution du brevet revient à l’employeur. Cette rémunération est plus ou moins élevée selon la législation française ou allemande qui ont des modes de calcul différent.

On décèle à travers l’étude de la titularité du droit au brevet dans le cadre d’une invention hors mission inventive dans chacun des régimes un écart de protection. Les conditions nécessaires à l’établissement de la revendication d’une invention sont plus strictes en Allemagne, protégeant ainsi la propriété du salarié inventeur. Le législateur allemand donne au salarié une plus grande marge de manœuvre puisqu’il arrive souvent que l’inventeur n’ait pas les moyens d’exploiter le brevet ou n’ait pas d’intérêt à l’exploiter. Le droit au brevet peut alors facilement revenir à l’employeur si le salarié ne dépose pas de demande de brevet.

De plus, le mode de rémunération en droit allemand est lié à l’intérêt économique présent et à venir de l’invention tandis que le droit français opte pour des compensations différentes selon qu’il s’agisse d’une invention de mission ou d’une invention hors mission attribuable. En droit français, il existe alors dans la pratique un réel écart de rémunération entre le juste prix (attribution à l’employeur d’un droit sur une invention hors mission attribuable) et la rémunération supplémentaire (invention de mission appartenant à l’employeur). Le « juste prix » est plus avantageux pour le salarié. Il y a en France de nombreux litiges concernant la qualification de l’invention car la frontière entre les inventions de « mission » et les inventions « hors mission attribuable » est assez floue et la « rémunération supplémentaire » n’est pas légalement définie. Le fait qu’il n’y ait en Allemagne qu’une seule sorte de compensation financière amoindrit le nombre de litige.

Le régime allemand se pose ainsi comme un régime rigoureux, objectif, tandis que le régime français apparait plus subjectif. Le premier encourage le salarié inventeur en convenant d’une rémunération en contrepartie du droit d’attribution du brevet, le second offre à l’employeur une souplesse et une variété de combinaison plus étendue pour jouir de l’invention. Alors que les conditions d’attribution du droit au brevet sont cumulatives en droit allemand y compris dans le cadre d’une revendication de l’employeur sur une invention que son salarié aurait déclaré comme « libre » par le salarié, le droit français reste assez flou sur le sujet ; le pouvoir souverain du juge semble incontournable. D’après la jurisprudence, les critères légaux sont un faisceau d’indices permettant au juge d’attribuer la titularité du droit au brevet à l’employeur ou au salarié. Cela rend la prévisibilité des décisions compliquée en France.

Le régime français est finalement peu incitatif en raison de ces choix en matière de rémunération tant pour les inventions réalisées dans le cadre d’une mission inventive que pour celles réalisées hors mission. L’Allemagne a su réactualiser sa loi en 2009 dans l’objectif de renforcer un régime déjà efficace et probant. Le législateur français pourrait envisager une réactualisation de la loi du 26 Novembre 1990 en profitant de la proposition de loi récemment déposée.

Bibliographie :

- Textes et ouvrages :

Code de la propriété intellectuelle commenté, édition Dalloz, 10ème édition 2010

Droit de la propriété industrielle, édition Dalloz, 6ème édition

Droit des inventions de salariés, édition Litec, 3ème édition

Vocabulaire Juridique, Gérard Cornu, 8è éd. 2007, puf

Gesetz über Arbeitnehmererfindungen 31.07.2009

Kurt Bartenbach, Franz-Eugen Volz, Arbeitnehmererfinderrecht, 5. Auflage. 2010

Gesetz zur Vereinfachung und Modernisierung des Patentrechts, LNCA 2009

Bartenbach und Volz referieren über die Historie des Gesetz über Arbeitnehmererfindungen, LNCA 2008

- Sites internet
http://www.senat.fr/lc/lc199/lc199_mono.html : Étude de législation comparée n° 199 - juillet 2009 - La rémunération des inventeurs salariés

http://www.senat.fr/leg/ppl09-524.html : Proposition de loi tendant à réformer le droit des inventions des salariés,

http://www.netpme.fr/propriete-intellectuelle/179-droits-employeurs-sur-inventions-brevetables-leurs-salaries.html

http://www.inpi.fr/fr/l-inpi/observatoire-de-la-propriete-intellectuelle.html

http://www.inpi.fr/fr/brevets/deposer-un-brevet/qui-peut-deposer/l-inventeur-est-un-salarie.html

http://www.wipo.int/patentscope/fr/ : site officiel de l’OMPI

http://europeanpatentcaselaw.blogspot.com/2010/06/les-depots-loeb-ont-baisse-de-8-en-2009.html : Le blog du droit européen des brevets ; Actualités du droit des brevets en France et en Europe, jurisprudence de l’OEB

http://transpatent.com/gesetze/rlarberf.html : Vergütungsrichtlinien für Arbeitnehmererfindungen

Pierre Collier [->collierpierre@yahoo.fr]