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Challenge dans les sociétés anonymes (I) ! Par Nadine Regnier Rouet, Avocat
Parution : jeudi 17 mars 2011
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Cela pourrait s’appeler avec humour « chercher la femme ! » Sauf qu’il ne s’agit pas d’humour mais bien d’une obligation légale impérative qui s’impose à plus de cent mille sociétés anonymes (et aussi aux sociétés en commandite par actions) françaises… depuis le vote de la loi n° 2011 - 103 du 27 janvier 2011 « relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle » (ci-après « la Loi »).

I - Tsunami dans les conseils d’administration : qui est concerné ?

L’article 1er de la Loi crée un article L225-18-1 du code de commerce qui comprend les dispositions suivantes :

« La proportion des administrateurs de chaque sexe ne peut être inférieure à 40 % dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé et, à l’issue de la plus prochaine assemblée générale ayant à statuer sur des nominations, dans les sociétés qui, pour le troisième exercice consécutif, emploient un nombre moyen d’au moins cinq cents salariés permanents et présentent un montant net de chiffre d’affaires ou un total de bilan d’au moins 50 millions d’euros. Dans ces mêmes sociétés, lorsque le conseil d’administration est composé au plus de huit membres, l’écart entre le nombre des administrateurs de chaque sexe ne peut être supérieur à deux. »

Par conséquent, sont concernées les sociétés cotées mais également les sociétés anonymes non cotées qui remplissent deux critères cumulatifs sur trois exercices sociaux consécutifs :

1) employer au moins cinq cents salariés permanents et

2) avoir un chiffre d’affaires net (ou un total de bilan) de cinquante millions d’euros au moins.

De nombreuses PME familiales sont donc concernées. Il apparaît que plus de cent mille sociétés anonymes devront appliquer la Loi et que 6.000 [1] « administrateurs(trices) » ou plus feront leur entrée dans les Conseils d’Administration via ces dispositions.

II - Future répartition de votre Conseil d’Administration par sexes

La Loi est très précise quant à la répartition du nombre d’administrateurs entre les deux sexes en fonction du nombre total d’administrateurs. Détail de la fin de l’alinéa 1 de l’article L225-18-1 :

« Dans ces mêmes sociétés, lorsque le conseil d’administration est composé au plus de huit membres, l’écart entre le nombre des administrateurs de chaque sexe ne peut être supérieur à deux. »

Selon la Loi, par conséquent,

- Le Conseil d’Administration de 3 ou 4 membres devra avoir au moins un membre de sexe différent des (respectivement) deux ou trois autres.

- Le Conseil d’Administration de 5 ou 6 membres devra avoir au moins deux membres de sexe différent des (respectivement) trois ou quatre autres.

- Un Conseil d’Administration de 7 ou 8 membres devra avoir au moins trois membres de sexe différent des (respectivement) quatre ou cinq autres.

Des précisions supplémentaires sont données pour faire des calculs justes dans la répartition par sexes. L’article 1er modifie l’article L225-20 concernant la personne physique désignée comme représentant permanent d’une personne morale administrateur, hypothèse fréquente dans les groupes de sociétés :

« Le représentant permanent est pris en compte pour apprécier la conformité de la composition du conseil d’administration au premier alinéa de l’article L. 225-18-1. »

En revanche, l’article L225-27 indique que ne sont pas inclus dans le calcul de la répartition équilibrée entre les sexes les administrateurs élus par les salariés.

Enfin, d’autres précisions concernent la procédure à suivre pour assurer le maintien dans le temps de la répartition équilibrée entre les sexes au sein du Conseil d’Administration malgré les vacances (décès, démissions) (article L225-24) :

« Lorsque le nombre des administrateurs est devenu inférieur au minimum statutaire, sans toutefois être inférieur au minimum légal, le conseil d’administration doit procéder à des nominations à titre provisoire en vue de compléter son effectif dans le délai de trois mois à compter du jour où se produit la vacance.
Lorsque sa composition n’est plus conforme au premier alinéa de l’article L. 225-18-1, le conseil d’administration doit procéder à des nominations à titre provisoire afin d’y remédier dans le délai de six mois à compter du jour où se produit la vacance. »

La Loi oblige donc le Conseil à régulariser sa composition pour se mettre en conformité avec la Loi. On notera toutefois qu’il y a plus d’urgence à se mettre en conformité avec les statuts qu’avec la Loi puisque, dans le premier cas, la régularisation doit intervenir sous trois mois alors que, dans le second cas, elle doit intervenir sous six mois.

III - Quelles sanctions ?

La question se pose des sanctions applicables lorsque la société néglige le respect d’une répartition équilibrée de son conseil d’administration entre les deux sexes et la Loi y apporte une double réponse : nullité de la nomination de l’administrateur irrégulièrement nommé et suspension du versement des jetons de présence visant tous les administrateurs.


1°) Par l’article L225-18-1 et l’article L225-20 :
la nullité de la nomination de l’administrateur (ou de la désignation du représentant permanent) faite en violation du principe de répartition équilibrée.


« Toute nomination intervenue en violation du premier alinéa et n’ayant pas pour effet de remédier à l’irrégularité de la composition du conseil est nulle. Cette nullité n’entraîne pas celle des délibérations auxquelles a pris part l’administrateur irrégulièrement nommé. »

La Loi prend soin de spécifier que la nullité n’atteint pas les délibérations auxquelles cet administrateur (représentant permanent) a pris part.

Néanmoins, prenons la situation, fréquente, d’un Conseil d’Administration composé de trois administrateurs, soit le minimum légal : si la nomination du troisième administrateur du même sexe est annulée, il ne subsiste que deux administrateurs qui se trouvent alors dans l’incapacité de coopter un troisième administrateur et qui n’ont plus d’autre pouvoir que de convoquer une Assemblée Générale d’actionnaires en vue de former un nouveau Conseil d’Administration, conformément à l’article L225-24 :

« Lorsque le nombre des administrateurs est devenu inférieur au minimum légal, les administrateurs restants doivent convoquer immédiatement l’assemblée générale ordinaire en vue de compléter l’effectif du conseil. »

2°) Par l’article L225-45 qui est complété par la Loi pour prévoir la suspension du versement des jetons de présence, rémunération allouée aux administrateurs présents en réunion de Conseil d’Administration :

« Lorsque le conseil d’administration n’est pas composé conformément au premier alinéa de l’article L. 225-18-1, le versement de la rémunération prévue au premier alinéa du présent article est suspendu. Le versement est rétabli lorsque la composition du conseil d’administration devient régulière, incluant l’arriéré depuis la suspension. »

Dans une deuxième partie de mon étude, j’aborderai la question cruciale de la date d’entrée en application des mesures exposées ci-dessus. Guettez « Challenge pour les sociétés anonymes ! (II) »

Nadine Regnier Rouet Avocat au Barreau de Paris spécialisé en droit social site : www.n2r-avocats.com contact@n2r-avocats.com

[1chiffrage communiqué par M. Philippe REIGNE, agrégé des facultés de droit et professeur au CNAM, lors du colloque organisé le 7 mars 2011 à Paris par l’Ecole de Formation du Barreau et l’Association pour la Promotion des Femmes Avocats sur l’analyse de la Loi.