Depuis de nombreuses années, j’ai été amenée à traiter la question de la non-reconnaissance de paternité, un sujet à la croisée des enjeux humains et juridiques, marqué par sa complexité tant dans la gestion procédurale que par sa portée émotionnelle pour les parties concernées.
Cette problématique soulève des conséquences notables, tant sur le plan sociétal, par la possible marginalisation de l’enfant ou de l’adulte non reconnu, que sur le plan juridique, en affectant l’établissement du lien de filiation et les droits qui en découlent. Elle interroge également la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, principe fondamental du droit de la famille, appelant à une approche rigoureuse et équilibrée entre les exigences procédurales et les considérations personnelles.
Conformément à l’article 310-3 du Code civil, l’expertise biologique est un droit en matière de filiation, sauf en cas de motif légitime empêchant sa réalisation. L’absence de décision irrévocable sur la recevabilité d’une action en recherche de paternité ne constitue pas un motif légitime permettant de refuser cette expertise, même en invoquant le droit à un procès équitable. En effet, cette mesure, visant à clarifier les origines d’un enfant, revêt une importance essentielle et doit être mise en œuvre avec diligence et rapidité afin de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant.
I. Les fondements juridiques de la reconnaissance de paternité.
La reconnaissance de paternité est un acte juridique fondamental en droit français, visant à établir ou rétablir un lien de filiation entre un père et son enfant. Ce processus peut intervenir soit volontairement, soit de manière judiciaire, lorsque la reconnaissance spontanée n’a pas eu lieu.
En tant qu’avocate, j’ai accompagné plusieurs clients dans des procédures de reconnaissance de paternité, où la sensibilité du sujet pour l’enfant est omniprésente. L’enfant, dans sa quête de vérité et d’identité, cherche souvent à établir un lien non seulement biologique, mais aussi affectif et symbolique avec son père.
En France, la reconnaissance de paternité est régie principalement par les articles 311-1 et suivants du Code civil. Elle peut se faire de deux manières :
- Reconnaissance volontaire : déclaration effectuée devant l’officier d’état civil, sans nécessité de preuve.
- Reconnaissance judiciaire : engagée en cas de contestation ou d’absence de reconnaissance spontanée.
Cette seconde procédure est souvent plus complexe, nécessitant des preuves et pouvant être source de tensions familiales importantes.
II. Sur l’action en recherche de paternité, ou « paternité imposée ».
L’un des aspects les plus sensibles de la reconnaissance de paternité réside dans l’impact émotionnel sur l’enfant. Ce dernier, lorsqu’il cherche à établir sa filiation, est souvent en quête de son identité et d’une vérité essentielle pour son équilibre personnel.
Le droit français met donc l’accent sur l’intérêt supérieur de l’enfant, principe fondamental du droit de la famille. La Cour de cassation, dans plusieurs décisions récentes, a rappelé que la reconnaissance de paternité ne pouvait être écartée sans tenir compte de cet intérêt supérieur.
L’article 321 du Code civil : limitation d’âge et jurisprudence.
Attendu qu’au terme de l’article 321 du Code civil précise que la paternité peut être judiciairement déclarée. Toutefois, une condition temporelle est imposée : l’action en recherche de paternité doit être engagée avant le 28ᵉ anniversaire de l’enfant.
Cette limitation repose sur la nécessité d’assurer une certaine sécurité juridique, mais elle a fait l’objet de débats. La jurisprudence constante souligne néanmoins que cette restriction ne peut être levée que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque l’enfant a été empêché d’agir plus tôt en raison de faits graves tels que la dissimulation de preuves de filiation.
Dans un arrêt de la Cour de cassation du 21 novembre 2018 [1], la cour a rappelé que l’âge limite de 28 ans s’applique strictement, sauf preuve d’une impossibilité matérielle pour l’enfant d’agir dans les délais impartis.
L’article 310-3 du Code civil : la liberté de la preuve.
Le recours à la preuve biologique est particulièrement encadré. Bien que l’article 143 permette une liberté probatoire, le Code civil précise dans son article 310-3 que la preuve peut être apportée par l’acte de naissance, la possession d’état ou l’expertise biologique.
Toutefois, la Cour de cassation a souligné que le test ADN (test basé sur l’acide désoxyribonucléique) ne peut être imposé à une personne, sauf dans le cadre d’une décision judiciaire [2].
Dans l’arrêt précité, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel, rappelant que, selon l’article 339 du Code civil, l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf motif légitime de ne pas y procéder. Elle a jugé que la cour d’appel avait violé ce texte en refusant l’expertise sans motif légitime.
Cet arrêt illustre l’importance de l’expertise biologique dans les litiges relatifs à la filiation, réaffirmant qu’elle doit être ordonnée dès lors qu’aucun motif légitime ne s’y oppose.
L’article 143 du Code de procédure civile dispose :
« Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être rapportée par tout moyen ».
Cette disposition est cruciale dans le cadre des actions en reconnaissance de paternité. Elle permet à la partie demanderesse de présenter une large variété d’éléments probants, y compris :
- Résultats de tests ADN.
- Témoignages.
- Courriers ou correspondances privées.
- Photographies ou documents familiaux.
La reconnaissance de paternité imposée soulève des enjeux juridiques et humains majeurs, nécessitant une approche rigoureuse et nuancée. D’un point de vue strictement juridique, elle confronte le principe de vérité biologique à la nécessité de préserver la sécurité juridique et l’ordre public familial. La reconnaissance, bien que visant à établir un lien de filiation conforme à la réalité biologique, peut se heurter à des situations complexes où la stabilité familiale préexistante ou l’intérêt de l’enfant nécessitent des ajustements prudents, encadrés par la jurisprudence et les principes fondamentaux du droit de la famille.
Sur le plan humain, ces procédures touchent directement l’identité, la dignité et l’équilibre émotionnel des personnes concernées. L’enfant ou l’adulte non reconnu peut souffrir de sentiments de rejet ou d’abandon, tandis que le parent visé peut percevoir l’action comme une atteinte à sa vie privée. Il est donc essentiel que l’accompagnement juridique dans ces démarches soit non seulement techniquement irréprochable, mais également empreint de compréhension et de respect des situations individuelles.
Ainsi, la reconnaissance de paternité imposée implique un équilibre délicat entre la quête de vérité biologique et la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Mon expérience m’a démontré l’importance d’un accompagnement juridique personnalisé et empathique, permettant de sécuriser les droits des parties tout en évitant des conflits prolongés ou des souffrances inutiles.
Bibliographie.
1. Code civil français
Article 310-3 : droit à l’expertise biologique en matière de filiation, sauf motif légitime.
Article 311-1 et suivants : régime général de la filiation et reconnaissance de paternité
Article 321 : prescription de l’action en recherche de paternité à l’âge de 28 ans
2. Code de procédure civile français.
Article 143 : principe de liberté probatoire dans le cadre des actions en reconnaissance de paternité
3. Jurisprudence de la Cour de cassation.
Cass. Civ. 1re, 28 mars 2000, n° 98-11.867 : interdiction d’imposer un test ADN sans décision judiciaire
Cass. Civ. 1re, 21 novembre 2018, n° 17-21.095 : prescription de l’action en recherche de paternité à l’âge de 28 ans, sauf impossibilité matérielle d’agir
4. Principes fondamentaux du droit de la famille.
Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) - Article 3 : intérêt supérieur de l’enfant.
5. Sources doctrinales et analyses juridiques.
- Ministère de la Justice, Les actions en recherche de paternité et la filiation
- INED (Institut National d’Études Démographiques), Études sur l’impact de la filiation non établie.