Tandis que les titulaires de droit d’auteur (éditeur, producteur, auteur et artiste-interprète) revendiquent l’existence d’un « droit de synchronisation » monnayable, les exploitants audiovisuels (producteurs et/ou diffuseurs), le contestent.
I. La reconnaissance de la synchronisation par les titulaires de droit
A. Une exploitation autonome.
Les droits sur les œuvres musicales sont souvent scindés entre plusieurs acteurs : l’éditeur et le producteur (titulaires de droits patrimoniaux par cession) et l’auteur et l’artiste-interprète (qui conservent leurs droits moraux inaliénables).
Tous s’accordent à considérer la synchronisation comme une forme d’exploitation spécifique, nécessitant des autorisations particulières de ces acteurs au titre des droits patrimoniaux et moraux, et donc une rémunération distincte de celle versée à la SACEM/SDRM qui gère les droits de reproduction mécanique et de diffusion des droits d’auteur.
Les éditeurs soutiennent, pour leurs droits patrimoniaux, que la synchronisation excède le cadre du droit de reproduction mécanique géré par la SACEM/SDRM. La synchronisation relèverait davantage du droit d’adaptation en vertu de l’article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle, droit non cédé à la SACEM, et justifiant à ce titre une licence spécifique. Quant aux producteurs, leur situation est plus claire, ils se fondent sur leur qualité de propriétaires et ayants droit de la bande master, leur autorisation étant requise – en général - en vertu de l’article L.213-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Les auteurs, compositeurs et artistes-interprètes soutiennent, pour leurs droits moraux, que la synchronisation serait susceptible de porter atteinte au droit au respect de l’œuvre. Ils estiment que :
la reproduction partielle, fragmentée, sous forme d’extraits de l’œuvre altère et dénature leur création ;
l’association de la musique à des images, dans des clips, des films, ou dans des contextes publicitaires et commerciaux détourne l’œuvre de sa destination première, portant atteinte à son intégrité ou son esprit. L’usage publicitaire interroge particulièrement, sa finalité marchande étant souvent étrangère à l’intention artistique initiale.
B. Une jurisprudence d’abord protectrice.
La jurisprudence française, bien que n’érigeant pas explicitement la synchronisation en droit autonome, en reconnaît les implications juridiques, tant sur le plan patrimonial que moral.
Un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris [1] a ainsi retenu que l’utilisation publicitaire d’un extrait musical « est une exploitation pour faire vendre, étrangère à la destination de cette œuvre, à savoir le divertissement d’un public », portant atteinte tant au droit moral des auteurs « qui n’avaient pas prévu ce détournement de leur œuvre, insérée dans une séquence avec d’autres à des fins mercantiles, sans indication de leur nom », ainsi qu’au droit patrimonial de l’éditeur s’agissant « d’une forme d’exploitation ouvrant des droits patrimoniaux substantiels dont l’éditeur ne saurait être privé ».
Récemment, infirmant un jugement du Tribunal judiciaire de Paris, la Cour d’appel a retenu que l’association de l’œuvre musicale romantique et sentimentale de l’auteur, en tant qu’élément à part entière et non de façon accessoire, à une scène de meurtre d’une extrême violence est en complète contradiction avec l’esprit de l’œuvre. En l’absence d’autorisation de l’auteur, celle-ci ne pouvant résulter de la tolérance de ce dernier à plusieurs usages antérieurs similaires de son œuvre, cette utilisation viole le droit moral de l’auteur au respect de son œuvre [2].
La Cour de cassation a confirmé que l’utilisation fragmentée sous la forme d’extraits d’une œuvre musicale dans une émission publicitaire portait atteinte au droit au respect de l’auteur, qui interdit toute altération ou modification de l’œuvre, quelle qu’en soit l’importance [3].
Toutefois, l’auteur qui a consenti contractuellement à l’exploitation fragmentée de son œuvre, ne peut relever une atteinte à son droit moral du fait de la synchronisation de son œuvre se faisant nécessairement sous forme d’extraits [4].
L’utilisation publicitaire d’un phonogramme, soit l’incorporation de celui-ci dans un autre support, nécessite également « selon les articles L. 213-1 et L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle, l’autorisation du producteur » [5] selon la Cour de cassation.
C. Une pratique contractuelle structurante.
En vertu de ces décisions en faveur des titulaires de droits, en pratique et par souci de simplicité, les exploitants sollicitent une autorisation unique de l’éditeur et du producteur pour l’ensemble des droits de propriété intellectuelle, qui se portent garants, en tant que cessionnaires et mandataires de l’auteur, d’obtenir de ce dernier son autorisation au titre du droit moral. Autorisation qui, en vertu du principe d’inaliénabilité du droit moral, ne pourra être abandonnée de façon préalable et générale au cessionnaire [6].
II. La contestation de la synchronisation par les exploitants audiovisuels.
C’est surtout dans le secteur télévisuel que le droit de synchronisation est vivement contesté. Les diffuseurs, souvent aussi coproducteurs, estiment que leur est imposée une double redevance pour un seul et même acte de reproduction :
- une première, versée aux éditeurs et producteurs, pour pouvoir incorporer la musique dans l’œuvre audiovisuelle au titre de la synchronisation ;
- une seconde, versée à la SACEM/SDRM au titre de la reproduction mécanique pour la partie, droits d’auteur.
A. Un droit patrimonial autonome contesté.
Ils réfutent donc l’existence autonome d’un « droit de synchronisation », qui ne serait qu’une construction pratique sans fondement juridique.
Et pour cause, le droit d’auteur français ne reconnaît que deux droits : le droit de reproduction et le droit de représentation selon l’article L. 122-1 du Code de la propriété intellectuelle, et tous les actes d’exploitations se répartissent entre ces deux droits. Cette summa divisio n’admet pas en tant que tel un droit de synchronisation autonome, qui ne se distinguerait pas du droit de reproduction, comme l’a conclu la Cour d’appel de Versailles en 2008 [7] et la Cour d’appel de Paris en 2025 [8].
Par conséquent, ils estiment que la simple incorporation même partielle, par extraits, sans modification ni altération, d’une œuvre dans une production audiovisuelle serait couverte par le droit de reproduction, déjà géré collectivement via la SACEM, sans qu’aucune autorisation ni rémunération supplémentaire ne soit nécessaire. La situation est différente dans le cas où l’œuvre musicale, lorsqu’elle est incorporée dans une œuvre composite, subit une modification. Dans ce cas, il s’agit d’une adaptation (modification des paroles) ou d’un arrangement (modification de la musique) d’une œuvre musicale préexistante, dont les droits ne sont pas gérés par la SACEM [9].
B. Un droit moral modéré.
Concernant les droits moraux de l’auteur, une tendance jurisprudentielle récente tend à limiter les atteintes invoquées par les auteurs, favorisant la position des exploitants.
Ainsi, l’atteinte portée au droit moral de l’auteur, en particulier au droit au respect, du fait de l’incorporation d’une musique sur des images, ne saurait être systématique.
Il a pu être jugé que l’exploitation d’une œuvre au sein d’une compilation d’une musique de film, mode d’exercice du droit patrimonial cédé à l’éditeur, « n’est de nature à porter atteinte au droit moral de l’auteur requérant son accord préalable qu’autant qu’elle risque d’altérer l’œuvre ou déconsidérer l’auteur » [10].
Ou encore : « l’utilisation d’une œuvre musicale par synchronisation dans la bande sonore d’une œuvre audiovisuelle, […] ne saurait être regardée par principe comme réalisant une atteinte à l’intégrité de l’œuvre et au droit moral de l’auteur ou de l’artiste interprète, [à qui il incombe] d’en justifier » [11].
Plus récemment [12], ont été rejetées les demandes en contrefaçon pour atteinte aux droits moraux d’un auteur et artiste-interprète du fait de l’incorporation de plusieurs de ses musiques au sein d’un film documentaire bibliographique aux motifs que n’étaient pas rapportée la preuve que les visuels bibliographiques incriminés étaient étrangers aux œuvres en cause, que l’auteur se serait opposé à l’association de ses musiques à des images ou à leur diffusion sous forme d’extraits et que les œuvres étaient dénaturées, notamment par leur fragmentation ou leur reproduction partielle.
Dans l’ensemble de ces arrêts, toute atteinte aux droits moraux de l’auteur par la synchronisation, parfois même à des fins publicitaires [13], a été écartée, l’exploitant pouvant alors se passer d’une autorisation de l’auteur au titre de son droit moral.
Une atteinte ne serait donc caractérisée qu’à condition que celui qui l’invoque puisse en rapporter la preuve pour obtenir une indemnisation sur ce fondement, à la condition que l’œuvre ait été altérée ou l’auteur déconsidéré.
C. Des limites persistantes.
Ce mouvement jurisprudentiel peut sembler fondé par la critique faite à certains auteurs d’utiliser abusivement leur droit moral à des fins commerciales afin d’accroître leur rémunération, contraire au principe d’inaliénabilité du droit moral.
Toutefois, la portée de ces décisions mérite d’être limitée et leur fondement juridique discuté.
Dans un cas évoqué [14], l’éditeur-producteur avait autorisé la synchronisation de l’œuvre et perçu pour ce faire des droits patrimoniaux, dont une partie devait être reversée aux auteurs-artistes interprètes. Les auteurs ont contesté l’usage par extraits de leur musique. Les droits patrimoniaux sont décorrélés des droits moraux en France. Le fait que l’éditeur ait consenti à l’utilisation d’extraits ne devrait pas permettre d’écarter, par principe, l’hypothèse d’une atteinte au droit au respect du fait de la seule synchronisation d’extraits. Mais, a jugé la Cour de cassation, il incombe à celui qui invoque une telle atteinte à son droit moral, d’en justifier.
En revanche, un auteur ayant expressément approuvé la synchronisation au titre de ses droits patrimoniaux ne saurait ensuite véritablement la contester sur le fondement du droit moral [15], à défaut de pouvoir invoquer une sensibilité différente, au titre du droit patrimonial et du droit moral, pour des faits identiques (en l’occurrence, la synchronisation).
Pour autant, aucune décision ne pose le principe incontestable que l’atteinte au droit moral de l’auteur est systématiquement relevée en présence d’une synchronisation. Si un doute s’est installé ces dernières années quant à l’existence véritable de ce droit de synchronisation, ce droit n’est pas encore aboli et la situation juridique reste incertaine.
Particulièrement, la synchronisation à des fins publicitaires reste délicate, car susceptible de constituer un mode d’exploitation non initialement prévu au contrat et étranger à la destination initiale de l’œuvre. Une quadruple autorisation – de l’éditeur, de l’auteur d’un côté, du producteur et artiste interprète de l’autre – est nécessaire pour sécuriser juridiquement l’exploitation.
Enfin, malgré ces évolutions jurisprudentielles, la pratique contractuelle demeure largement inchangée, l’accord de l’éditeur et celui de l’auteur restant généralement sollicités pour toute synchronisation musicale.


