Les cinéphiles auront l’image en tête. Celle du film « Un éléphant ça trompe énormément », des quatre copains dans cette maison de campagne si paisible, acquise lors de la grève des transports aériens et qui, une fois installés, réalisent qu’ils sont en plein dans la ligne de passage des avions dans un vacarme assourdissant. L’image prête évidemment à sourire tant elle est grotesque. Le vice caché semble ici si évident que certains se laisseront même à hasarder sur ce fameux « dossier gagné d’avance ».
La méfiance devrait pourtant être de rigueur. La réalité n’est jamais objective en matière judiciaire et si elle peut se tordre dans tous les sens, la notion de vice caché en épousera les vicissitudes. Vous l’aurez compris, l’appréhension du vice caché est empirique et ne peut être objectivée. Qu’il s’agisse de fissures, d’infiltrations, de nuisances olfactives ou acoustiques, d’instabilité du terrain, ou même de termites, aucun désordre ne peut constituer une catégorie indiscutable de vices cachés permettant de contester une vente.
Cette abstraction doit être manipulée avec parcimonie et nécessite une connaissance parfaite de ses conditions d’engagement.
D’autant plus quand elle se trouve mêlée à d’autres problématiques, telles que celles relatives au droit de la copropriété.
Justement, un arrêt récent de la Cour de cassation a permis de mettre en exergue une situation forte intéressante combinant l’action en garantie du vice caché et le droit de la copropriété. Si l’interprétation de la cour a pu sembler inédite, le cas pratique reflète quant à lui une situation assez classique et fréquente. En voici la restitution.
Le 9 mars 2016, Monsieur [R] a acquis un appartement auprès de la société [G] au sein d’un immeuble soumis au droit de la copropriété. Peu de temps après l’entrée dans les lieux, l’immeuble a fait l’objet d’une procédure de péril ordinaire à la suite de la découverte d’insectes xylophages sur les solives, parties communes. Les désordres impactant la pérennité même de la structure du logement, l’acquéreur a assigné le vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés pour obtenir la réduction du prix et des dommages-intérêts. De son côté, le vendeur a appelé en garantie le syndicat des copropriétaires estimant sa responsabilité du fait de la provenance des désordres.
Alors même que les Juges de première instance avaient accordé l’entièreté de ses demandes à l’acquéreur victime, la cour d’appel a infirmé le jugement estimant que
« l’acquéreur ayant accepté que le syndicat des copropriétaires procède aux travaux de remise en état du bien affecté du vice caché sur le fondement duquel il a exercé contre la société [G] l’action estimatoire, ne peut plus exercer cette action dès lors que le vice a disparu, peu important que la remise en état ait été effectuée par le syndicat et non par la société [G] ».
En réalité, les conseillers de la cour d’appel n’ont pris en considération que la finalité de l’acte, soit la disparition du vice, sans tenir compte de la qualité de tiers au contrat du syndicat des copropriétaires. La Cour de cassation a donc censuré ce raisonnement à juste titre.
Au visa des articles 1641 (prévoyant l’action en garantie des vices cachés) et 1644 (relatif à l’option entre l’action estimatoire et l’action rédhibitoire), la Cour de cassation, dans son arrêt du 8 février 2023, a estimé que
« seule la réparation de la chose par le vendeur, non par un tiers, acceptée par l’acquéreur et qui fait disparaître le vice caché empêche l’acheteur d’exercer l’action rédhibitoire ou estimatoire ; qu’en déboutant Monsieur [R] de son action estimatoire au motif qu’il avait accepté que le bien soit remis en état par le syndicat des copropriétaires, que le vice avait disparu et qu’il importait peu que la réparation n’ait pas été effectuée par la venderesse, la société [G], mais par la copropriété, la cour d’appel a violé les articles 1641 et 1644 du Code civil » [1].
Alors, entre le vendeur et le syndicat des copropriétaires, qui est responsable de quoi ?
I. La responsabilité principale du vendeur.
a) Les conditions d’engagement de la garantie des vices cachés.
En matière de vente immobilière, le cédant (vendeur) est tenu de deux garanties principales : la garantie d’éviction, qui consiste à délivrer le bien en pleine jouissance de propriété, et celle des vices cachés. C’est l’article 1641 du Code civil qui dispose de cette dernière, comme suit :
« Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ».
La lecture de la loi doit dès lors permettre de considérer les conditions d’engagement de la garantie des vices cachés.
- Un défaut caché : c’est la condition la plus évidente. Concrètement, cela signifie que l’acheteur, surtout s’il est profane, ne pouvait relever le vice lors de l’examen du bien. La jurisprudence de la Cour de cassation rappelle que le cessionnaire n’a pas à recourir à un « homme de l’art » pour procéder à une investigation complète et qu’un simple vice non-apparent lors de la visite des lieux suffit à constituer un vice caché [2]. A contrario, le vice doit être considéré comme apparent dès lors qu’il est mentionné dans les diagnostics techniques de vente ou dans l’acte notarié. Il en est de même si le défaut est constatable à l’œil nu, au premier regard (exemple : une moisissure sur un mur). En tout état de cause, le vendeur ne sera pas tenu des vices dont l’acheteur aurait pu se convaincre lui-même [3].
- Un défaut antérieur ou concomitant à la vente : ce critère est parfois bien difficile à déterminer étant donné le caractère caché du vice. A cette fin, le recours à une expertise judiciaire préalable est particulièrement opportun en matière de vices cachés. Seul un professionnel, désigné par le Juge des référés, sera en mesure de dater l’antériorité du désordre et permettre l’application de la garantie.
- Un défaut rendant impropre le bien ou diminuant fortement son usage : a nouveau, l’expertise judiciaire est particulièrement à propos dans ce type de contentieux. On évoque souvent un défaut grave, persistant et inhérent à la chose. Les juges procéderont à une appréciation souveraine et il n’existe pas un vice objectif. Toutefois, certains sont de manière récurrente considérés comme des vices cachés, tels que :
- Un défaut de raccordement au service collectif d’assainissement ;
- Des fondations instables ;
- Des infiltrations en toitures non décelables…
En conséquence, l’actionnement de la garantie des vices cachés nécessite une analyse préalable du désordre dont on entend soulever le défaut. Cette réflexion doit, avec certitude, être corroborée par un expert désigné préalablement et judiciairement. Rappelons que l’engagement d’une procédure doit être faite dans les deux ans à compter de la découverte du vice (et non de la vente). L’engagement d’une procédure en désignation d’un expert judiciaire suspend le délai de prescription jusqu’à six mois après le dépôt du rapport.
b) Les exclusions de la garantie des vices cachés.
Outre l’absence de preuve du caractère caché ou de l’antériorité du vice, les magistrats ont libre pouvoir pour considérer que le défaut excipé n’est pas de nature à rendre impropre l’usage du bien ou à en réduire la valeur. Plusieurs motifs d’exclusion de garantie ont pu perdurer.
- Le vice est apparent : cela peut notamment se déduire de la réparation du vice par l’acheteur ou sa connaissance de par sa qualité de professionnel de l’immobilier, rendant par nature impropre l’action ultérieure.
- La réparation du vice par le vendeur : c’est ce qu’a rappelé à plusieurs reprises la Cour de cassation : « l’acheteur d’une chose comportant un vice caché qui accepte que le vendeur procède à la remise en état de ce bien ne peut plus invoquer l’action en garantie dès lors que le vice originaire a disparu » [4]. Tel semblait être le cas également dans l’arrêt du 8 février 2023, toutefois la Cour de cassation a précisé que la réparation effectué par un tiers au contrat, soit le syndicat des copropriétaires, n’ayant aucune incidence sur les rapports contractuels entre le vendeur et l’acheteur, ne pouvait supprimer l’action de l’acheteur en garantie des vices.
- La force majeure : soit un événement irrésistible, imprévisible et extérieur, ce qui constitue un élément d’exclusion de la garantie des vices cachés.
- L’ignorance du vice : le motif le plus utilisé par les vendeurs pour dégager leur responsabilité, par la démonstration de sa bonne foi et l’absence de connaissance préalable du vice. Toutefois, cet argument de défense nécessite deux conditions :
- Le vendeur est non professionnel. Sur ce point, la jurisprudence est très sévère et a même pu considérer qu’une Société civile immobilière (SCI) agissait en tant que professionnel de l’immobilier ;
- Une clause d’exonération des vices cachés doit être stipulée contractuellement dans l’acte de vente [5].
En définitive, le vendeur dispose d’argument de défense qui devront être examinés afin de jaugé de l’utilité d’une action en garantie des vices cachés.
c) Le résultat de l’actionnement de la garantie des vices cachés.
En application de l’article 1644 du Code civil, la reconnaissance d’un vice caché octroie à l’acheteur deux possibilités :
- La résolution de la vente (action rédhibitoire) ce qui correspond à la restitution du prix et du bien ; ou
- La diminution du prix (action estimatoire), équivalent à la valeur de la perte d’usage estimée généralement par l’expert judiciaire désigné préalablement.
Ces finalités sont par nature alternatives.
Néanmoins, l’article 1645 du même Code prévoit qu’en cas de mauvaise foi du vendeur, qui aurait connu les vices antérieurement à la vente, des dommages-intérêts peuvent s’appliquer. Comme en matière civile délictuelle, il conviendra de prouver la faute, le préjudice et un lien de causalité. Le rapport de l’expert judiciaire peut à nouveau constituer un élément déterminant.
II. La garantie du syndicat des copropriétaires.
Si l’action en garantie des vices cachés est avant tout un contentieux liant le vendeur à son acquéreur, elle ne doit pas occulter la responsabilité des tiers. Pour cause, les vices cachés ne concernent pas uniquement les charpentes de maisons rurales en plein milieu d’un champ. En réalité, bon nombres d’actions en la matière sont relatives à des appartements situés dans des immeubles soumis, pour la grande majorité, au statut de la copropriété en vertu des dispositions de la Loi du 10 juillet 1965 et du décret du 17 mars 1967.
Ainsi, lorsque le vice trouve son origine dans une partie commune, comme par exemple sur la charpente de l’immeuble mais également sur des colonnes EP/EU… dans ce cas, l’enjeu de la responsabilité du syndicat des copropriétaires est prégnant.
Effectivement, l’article 14 de la Loi du 10 juillet 1965 prévoit une responsabilité de plein droit du syndicat, c’est-à-dire sans la démonstration d’une faute, pour les
« dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers ayant leur origine dans les parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires » [6].
De ce fait, le vendeur qui se trouve mis en cause sur ce fondement a parfaitement la possibilité d’assigner le syndicat des copropriétaires à le garantir des condamnations qui pourraient être mises à sa charge. Les Juges distinguerons dès lors les dommages-intérêts propre à l’attitude du vendeur (mauvaise foi par exemple), directement pour son compte, et les indemnités liées à la nature du vice, qui devront êtres supportées par le syndicat des copropriétaires.
A noter également que si l’acquéreur ne peut pas agir directement contre le syndicat des copropriétaires sur le fondement du vice caché, ce denier étant tiers au contrat de vente, il peut agir sur le fondement de l’article 14 précité et les articles 1240 et suivants du Code civil qui imputent une responsabilité civile délictuelle du syndicat des copropriétaires du fait de choses qu’il a sous sa garde, en l’espèce, les parties communes. En cas de cumul d’action, l’acquéreur ne pourra pas percevoir les mêmes indemnisations par le syndicat des copropriétaires et le vendeur et le Juge ventilera.
III. Les responsabilités annexes des constructeurs, des mandataires et du syndic.
Comme nous avons pu le voir, si la garantie des vices cachés est souvent érigée en recours principal pour le vendeur, son actionnement est soumis à un véritable aléa de probation par un expert judiciaire, souvent couteux, et d’appréciation casuistique par les juges du fond. De ce fait, la mise en cause du syndicat des copropriétaires sur le fondement de l’article 14 est parfois plus opportune. De même, d’autres responsabilités peuvent être recherchées.
- La responsabilité du constructeur : si l’ouvrage litigieux à moins de dix ans, il est possible de rechercher la responsabilité décennale de l’entreprise qui l’a réalisé. Sans entrer dans les détails, l’article 1792 du Code civil prévoit que « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination ». Il conviendra alors de mettre en cause l’entrepreneur qui a exécuté les travaux. A noter que pour les éléments structurels, le vendeur aura dû souscrire une assurance dommage-ouvrage préalablement à l’engagement des travaux, en qualité de maître d’ouvrage, laquelle doit être transmise à l’acquéreur. Cette assurance permet une indemnisation de plein droit. Le défaut de souscription constitue en revanche une faute imputable au vendeur. Cette obligation est également valable pour les vendeurs qui construisent eux-mêmes et deviennent dès lors constructeurs.
- La responsabilité des mandataires : il s’agit essentiellement des agents immobiliers qui sont en charge de la transaction mais également des courtiers, des notaires et même des diagnostiqueurs qui, en qualité de professionnels de l’immobilier, ont un devoir de conseil et d’information. Il faut toutefois tempérer les actions en responsabilité de ce type car la preuve de cette carence est souvent ardue et n’aboutira que trop souvent à des dommages-intérêts superficiels au regard des préjudices réels.
- La responsabilité du syndic : a nouveau délicate, cette mise en cause nécessite de démontrer une faute du syndic dans sa mission d’administrateur de l’immeuble [7]. Dans l’arrêt du 8 février 2023, par exemple, il aurait fallu démontrer que le syndic n’avait pas pris les mesures de précaution pour éviter la présence des insectes xylophages. Tel n’a pas été le cas en l’espèce et la mise en cause du syndic reste une option subsidiaire.
En conclusion, il existe un nombre varié de possibilités et chaque cas nécessitera une analyse pour déterminer l’opportunité de tel ou tel recours. Le recours à un conseil juridique est, en ce sens, indispensable en cas de contestation de sa vente, quels qu’en soient les motifs.


