L’emprunteur recherche la nullité de la stipulation d’intérêt en raison d’une erreur de TEG doublée d’un calcul lombard d’intérêt. Le TGI de Créteil [1] le déboute au motif que l’erreur de TEG est inférieure au dixième de point : l’action a donc été reçue en première instance.
L’emprunteur fait appel, estimant son action fondée en ce que tous les griefs contre l’exactitude du TEG n’ont pas été pris en compte et que les intérêts contractuels ont été calculés sur une année de 360 jours.
En cause d’appel la banque plaide la confirmation du premier juge et l’irrecevabilité de l’action en nullité de la stipulation d’intérêt et de la stipulation de TEG, conformément à la jurisprudence de la Cour d’appel de Paris qui ne tient pour recevable que l’action en déchéance des intérêts prévue par le code de la consommation.
La banque plaide encore subsidiairement que le principe de proportionnalité commande une déchéance très limitée des intérêts outre 4€ de dommages et intérêts. Nous supposons que cette dernière somme correspond au surcoût lombard du calcul des intérêts intercalaires.
La banque organise ainsi sa défense quant au calcul lombard sur le terrain de la responsabilité pour faute, conformément à la jurisprudence de la Cour d’appel de Paris qui le considère comme une faute dans l’exécution de la clause d’intérêt.
I - L’irrecevabilité interdit l’examen au fond.
Sans surprise la Cour d’appel de Paris juge l’action irrecevable [2], conformément à sa jurisprudence des dix-huit derniers mois, avec cette motivation récurrente :
Les dispositions spéciales du code de la consommation sont d’ordre public et l’emportent nécessairement sur les dispositions plus générales du Code civil ;
La possibilité d’une nullité priverait le juge de prononcer une sanction proportionnée à la gravité de l’erreur en contradiction avec les textes européens qui prescrivent une sanction effective, proportionnée et dissuasive ;
La possibilité d’une nullité ne répond pas à l’objectif législatif de donner au TEG une fonction comparative ;
L’emprunteur ne peut donc pas disposer d’une option entre nullité et déchéance, seule cette dernière est recevable sans qu’il y ait lieu de distinguer selon qu’il s’agisse du TEG de l’offre ou du contrat.
La Cour de cassation y lit une critique au fond de l’action en nullité de la clause d’intérêt fondée sur un TEG erroné, et juge une violation des règles de procédure au motif que l’irrecevabilité interdit tout examen au fond.
Effectivement le juge ne peut examiner le fond que s’il a préalablement reçu l’action et pour appliquer pareille motivation la Cour d’appel eut dû recevoir l’action et la juger infondée. C’était la première branche du pourvoi.
La seconde branche du pourvoi retiendra davantage notre attention en ce qu’elle revendique le bénéfice d’une jurisprudence constante depuis les arrêts fondateurs du 24 juin1981 [3] dont les termes sont éclairants :
"...Mais attendu que, si l’omission, dans un contrat de prêt d’argent, de l’indication du taux effectif global de l’intérêt conventionnel n’entraîne pas la nullité du contrat, il résulte de la combinaison des articles 1907, 2ème alinéa, du Code civil et de l’article 4 de la loi n°66-1010 du 28 décembre 1966, qu’en matière de prêt d’argent l’exigence d’un écrit mentionnant le taux effectif global est une conditions de validité de la stipulation d’intérêt et que, dès lors, il ne peut être fait application du taux stipulé dans le contrat, sans que les juges aient à rechercher si l’ommission d’une telle mention est de nature à induire l’emprunteur en erreur sur les conditions du prêt ;
...Attendu qu’en matière de prêt d’argent consenti à titre onéreux, et à défaut de validité de la stipulation d’intérêt, il convient de faire application du taux d’intérêt légal à compter de la date du prêt ;"
La seconde branche fait ainsi grief à l’arrêt d’appel d’avoir jugé qu’il ne peut exister d’option entre l’action en nullité et l’action en déchéance, cette dernière étant la seule invocable, alors que la sanction est la nullité.
Elle est accueillie et l’arrêt cassé :
"Qu’en statuant ainsi, alors que l’inexactitude du TEG dans un acte de prêt est sanctionnée par la nullité de la stipulation d’intérêts, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;"
Le TEG n’est pas un instrument législatif de comparaison des crédits mais la mesure légale de l’usure, il constitue une condition de validité de la clause contractuelle d’intérêt depuis une jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis bientôt 40 ans dont la netteté du présent arrêt en suggère la pérennité.
II - la déchéance d’un droit présuppose nécessairement son existence.
La déchéance des intérêts est une mesure introduite par les lois des 10 janvier 1978 et 13 juillet 1979 dites lois Scrivener.
Elle ne vise pas spécialement l’erreur de TEG mais concerne un certain nombre de manquements de l’établissement fournisseur de crédit en matière d’information pré-contractuelle, de devoir de conseil et de prudence, de formalisme de l’offre et de son contenu.
La déchéance est une sanction civile personnelle qui ne fait pas disparaître le droit en cause, mais qui interdit simplement à son titulaire d’en user. Elle est dès lors sans lien avec le préjudice subi par l’emprunteur et se doit, comme toute peine, d’être proportionnée au manquement qu’elle sanctionne.
Mais pour qu’une personne, la banque, soit déchue de son droit aux intérêts du prêt, encore faut-il que ce droit se soit préalablement et valablement constitué pour qu’elle en soit titulaire, c’est ce que sanctionne la nullité des intérêts contractuels.
La refonte en 2016 du droit des obligations le rappelle : lorsque une condition de validité du contrat ou de l’une de ses clauses fait défaut, il s’ensuit naturellement la nullité et non la mise en responsabilité du pollicitant qui n’est du reste pas exclue.
Si l’article 1907 du Code civil distingue les intérêts conventionnels des intérêts légaux, la déchéance du code de la consommation ne les distingue pas.
Loin d’être en rivalité l’une contre l’autre, nullité et déchéance se complètent de sorte que le défaut de validité de la clause contractuelle d’intérêt ne fait pas obstacle, selon l’inconduite de la banque lors de la commercialisation de son offre, à une déchéance proportionnée des intérêts légaux.
Par nature une sanction civile ne déroge pas au fond du droit.
Discussions en cours :
Mon Cher Confrère,
Merci beaucoup pour cette analyse, et en particulier vos précisions sur la déchéance des intérêts au taux légal ! Epatant !
VBD, Marie-Pierre MATHIEU
Mon Cher Maître,
quel est le délai pour intenter une action relative à un prêt immobilier et un acte hypothécaire qui ne mentionne à aucun moment le TEG totalement oublié dans le contrat ?
bien à vous,
TRESSEL
la prescription est de 5 ans.
le point de départ de la prescription dépend du caractère apparent ou caché du grief.
Par exemple :
une pure erreur de calcul de TEG est cachée et la prescription partira de la découverte de cette erreur par une analyse financière ;
l’omission de la mention du TEG dans un acte est apparente et la prescription partira du jour de la signature de cet acte.
Cher Maitre
Vous avez du noter un arrêt très récent de la Cour de Cassation qui applique de façon rétroactive l’ordonnance de 2019 avec pour donc pour sanction d’un TEG erroné la déchéance - et non la nullité.
De fait cette nouvelle jurisprudence n’est plus dissuasive pour les banques et réduit surtout à la portion congrue l’indemnisation des emprunteurs lésés.
Comment réagissez-vous ? Existe-t-il des voies de recours (CJUE ou autres) pour infléchir cette position selon vous ?
A vous lire pour votre éclairage avisé - merci
Bien à vous
B. Auge
Bonjour M. Auge,
peut-être vous référez-vous à un arrêt du 10 juin 2020, en cours de publication, qui abandonne la nullité au profit de la déchéance selon le préjudice subi par l’emprunteur lorsque le TEG du contrat, et non plus seulement de l’offre, est erroné, et ce quand bien même le contentieux serait antérieur à l’ordonnance de 2019. L’arrêt est particulièrement criticable.
la saisie de la justice de l’UE par une personne de droit privée (un particulier ou une entreprise) se conçoit lorsqu’un acte d’une institution européenne lui fait personnellement grief, ce qui ne semble pas le cas s’agissant d’un arrêt de la cour de Cassation qui n’est pas une institution européenne.
C’est au juge national que revient la tâche de faire primer le droit communautaire en présence d’une disposition nationale contraire (jurisprudence Costa c. Enel).
en revanche tout justiciable peut saisir la Cour Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme contre un état qui violerai l’un des droits garantis par la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
c’est vers cette dernière institution qu’il apparaît opportun de se tourner.
TRES BONNE LECON POUR COMPRENDRE LA SANCTION APPLIQUEE PAR LA COUR DE CASSATION SUR LE RESPECT DE L/APPLICATION DU T E G
Cette solution, de bon sens, doit être replacée dans son contexte.
Tout d’abord, si l’erreur figure dans l’offre de crédit, le prêteur « peut être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge » (C. consom., art. L. 341-34). Cependant, à plusieurs reprises, la Cour de cassation a eu l’occasion de dire que si le taux erroné figurait dans l’acte authentique réitérant la convention de prêt immobilier, l’emprunteur dispose d’une autre action contre le prêteur : l’action en nullité de la clause prévoyant le taux conventionnel et sa substitution par le taux légal (Cass. civ. 1ère, 18 févr. 2009, n° 05-16.774. - Cass. civ. 1ère, 9 avr. 2015, n° 13-28.058).
Or, cette dualité de solutions, en matière de crédit immobilier, a suscité de vives critiques de la part de certaines juridictions du fond, et plus particulièrement de la Cour d’appel de Paris (V. par ex., CA Paris, 2 déc. 2016, n° 15/13823 ; n° 15/13850 ; n° 15/13910 ; 9 déc. 2016, n° 15/14315 : LEDB mars 2017, p. 4, obs. J. Lasserre Capdeville ; CA Paris, 13 janv. 2017, n° 15/15501. - CA Paris, 31 mars 2017, n° 15/17642. - CA Paris, 5 mai 2017, n° 15/21076. – CA Paris, 23 déc. 2018, n° 16/24864).
Face à l’évolution notable de cette dernière jurisprudence, il était attendu que la Cour de cassation se prononce en la matière. Tel est justement l’apport de la décision sélectionnée du 22 mai 2019.
La position de la Cour de cassation est donc à présent parfaitement claire : elle est favorable à une action fondée sur la nullité de la clause prévoyant le taux conventionnel et sa substitution par le taux légal lorsque le TEG erroné figure dans l’acte de prêt passé devant notaire. Dès lors, si la même erreur se retrouve également dans l’offre de prêt émise par la banque, une autre action, fondée cette fois-ci sur la déchéance du droit aux intérêts, sera logiquement envisageable.
Mais cette double admission est-elle vouée à perdurer ? Pas sûr. L’article 55 la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (JO, 11 août 2018, texte n° 1) est venu habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de 12 mois à compter de la publication de la loi précitée, toute mesure pour « modifier les dispositions du Code de la consommation et du code monétaire et financier relatives au taux effectif global et à prévoir les mesures de coordination découlant de ces modifications ».
Or, plusieurs associations de consommateurs ont révélé, il y a peu, que le gouvernement avait pour ambition de prévoir en cas d’erreur ou de défaut de TEG/TAEG une sanction unique : la déchéance du droit aux intérêts, dans la proportion fixée par le juge, jusqu’à un montant ne pouvant excéder 30 % des intérêts. Voilà qui est contestable.
Merci pour la pertinence de votre commentaire.
Les discussions autour du projet de loi PACTE ont également abordé ce sujet.
L’article 55 de la loi du 10 août 2018 confie au Gouvernement le soin de refondre le régime du TEG avec mission de clarifier et harmoniser le régime des sanctions civiles applicables en cas d’erreur ou de défaut de ce taux, en veillant en particulier au caractère proportionné de ces sanctions civiles au regard des préjudices effectivement subis par les emprunteurs.
Cette habilitation semble éloignée de l’objectif de cette loi portant sur la réforme de l’état. L’article 55 pourrait bien être un cavalier législatif dans la mesure où il porte sur un droit privé. Je laisse bien volontiers la parole sur ce point aux constitutionnalistes dont je ne fais pas partie.
L’objectif de l’habilitation est de plus ambigüe car le propre d’une sanction civile est d’être proportionnée à l’inconduite de l’auteur, non au préjudice découlant de l’inconduite.
Le Conseil Constitutionnel a déjà eu l’occasion d’aborder la question dans une décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 :
Il y relève « qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que l’exigence d’un écrit mentionnant le taux effectif global est une condition de la validité de la stipulation d’intérêts et qu’en l’absence de stipulation conventionnelle d’intérêts, il convient de faire application du taux légal à compter du prêt » ;
et censure le §2 de l’article 92 de la loi de finances pour 2014 qui avait pour objet de valider les clauses de stipulations d’intérêts de tous les prêts passés par des personnes morales qui les contestaient au moyen du défaut de mention du TEG ;
sur le visa de l’article 16 de la déclaration de 1789 : "Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution."
Oui, l’ambition gouvernementale est contestable.
Bonsoir Maître Manoukian,
Merci de votre article.
Quand la cour de cassation dit :
"Attendu qu’en matière de prêt d’argent consenti à titre onéreux, et à défaut de validité de la stipulation d’intérêt, il convient de faire application du taux d’intérêt légal à compter de la date du prêt"
y voyez-vous une position de ladite cour qui va contre la substitution du taux conventionnel par le taux légal dans sa variabilité ?
Cordialement,
Pascal
Bonjour Pascal,
pas du tout.
Cette phrase se comprend ainsi :
Lorsque la stipulation d’intérêt est nulle le capital produit intérêt au taux légal à compter de la date du prêt et non à compter de la date du prononcé de cette nullité. Il s’agit d’une nullité du droit des obligations.
Il est interdit au juge, lorsqu’il tranche un litige en droit, de se substituer aux parties et, par exemple, de remplacer la clause d’intérêt qu’il annule par une autre clause d’intérêt qui imposerait le taux légal en vigueur au jour de la souscription sur toute la durée du prêt. (pareille décision ne pourrait être valable qu’en cas d’amiable composition ou d’arbitrage où les parties demandent au juge non d’appliquer le droit, mais de construire une solution de sortie du blocage rencontré).
La variabilité du taux légal substitué n’est pas une décision du juge mais procède de sa nature même.
Cordialement
Bonjour Maître,
Est-ce que l’on peut relier cette décision de la cour de cassation à la question de l’année lombarde sachant qu’il y a pour cette dernière aussi un TEG qui est qui au bout du compte (même légèrement) erroné ? Si oui, présage-t-elle du meilleur à l’avenir pour les plaignants ?
Merci à vous.
Cordialement,
Louis
Bonjour Louis,
"Est-ce que l’on peut relier cette décision de la cour de cassation à la question de l’année lombarde sachant qu’il y a pour cette dernière aussi un TEG qui est qui au bout du compte (même légèrement) erroné ? Si oui, présage-t-elle du meilleur à l’avenir pour les plaignants ?"
Oui,
ce ne sont pas les dispositions du code de la consommation relatives au crédit qui imposent que l’intérêt soit calculé en année civile, ce n’est donc pas la sanction spéciale du code de la consommation (la déchéance) qui est légalement applicable au calcul d’intérêt en année lombarde.
L’exactitude du TEG (sous seuil d’un dixième de point) et le calcul d’intérêt en année civile sont deux conditions de validité de la clause d’intérêt du prêt consenti par un professionnel du crédit à un consommateur ou un non-professionnel.
Oui cet arrêt confirme aux emprunteurs qu’ils peuvent rechercher en justice la nullité de la stipulation d’intérêt. Il ne dispense toutefois pas d’une bonne construction de l’argumentation qui, lorsqu’elle fait défaut, produit des arrêts de cassation paraissant défavorables à la démarche.
Bonjour Cher Confrère,
N’y aurait il pas une erreur dans les références de l’arrêt du 22 mai que vous commentez fort pertinemment.
Légifrance ne connait pas cette décision !!
Sentiments dévoués
Me J.P.V.
Cher(s) Confrère(s),
la référence précise est : Pourvoi n° U 18-16.281 Arrêt n°492 F-D
tous les arrêts n’étant pas diffusés sur Légifrance, vous pouvez le trouver chez certains diffuseurs privés habituels.
je tiens l’arrêt à votre disposition sur simple demande par courriel.
VBD
Bonjour,
Vous est-il possible de m’envoyer par mail la copie de la décision sur nhav(at)sfr.fr ?
Bien cordialement.