Le même jour, le Ministère du travail précisait, dans un communiqué de presse [1], que le travail était « la règle impérative pour tous les postes qui le permettent ».
Mais cette forme d’organisation du travail, finalement encore très peu répandue au sein des entreprises françaises [2], suscite de nombreuses questions auxquelles le présent article tentera d’apporter des réponses claires et concrètes.
1) Qu’est-ce que le télétravail ?
Le télétravail est défini par l’article L. 1222-9 du Code du travail comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».
Il peut être régulier ou occasionnel, prendre plusieurs formes et s’exercer sur des lieux différents.
Il recouvre ainsi une multitude de situations différentes, allant du salarié qui bénéficie d’une journée de travail à la maison à celui qui utilise ponctuellement les technologies de l’information et de la communication (envoi d’email, conférences téléphoniques etc.) pendant ses déplacements.
2) Dans quels cas le télétravail est-il obligatoire ?
En principe, le télétravail doit faire l’objet d’un accord entre le salarié et son employeur [3]
Toutefois, « en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés. » [4]
Or, dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, le télétravail est devenu la règle et s’impose à l’employeur comme au salarié dès lors que le poste concerné le permet.
En effet, si les décrets des 16 et 23 mars 2020 précités autorisent les déplacements entre le domicile et le travail et les déplacements professionnels qui ne peuvent être différés sans plus de précision, le communiqué de presse du Ministère du travail est bien plus contraignant puisqu’il précise qu’il est « impératif que tous les salariés qui peuvent télétravailler recourent au télétravail jusqu’à nouvel ordre ».
L’autorisation de déplacement dérogatoire mise en ligne sur le site du gouvernement vise d’ailleurs les déplacements entre le domicile et le lieu d’exercice professionnelle lorsqu’ils sont indispensables à l’exercice d’activités ne pouvant être organisées sous forme de télétravail et les déplacements professionnels ne pouvant être différés [5]
Le télétravail n’est donc exclu que dans les hypothèses où l’emploi exercé par le salarié ne peut pas être organisée sous cette forme.
A défaut, il est strictement obligatoire d’y recourir.
A cet égard, d’après le Ministère du travail, près de 8 millions d’emplois (soit plus de 4 emplois sur 10 dans le secteur privé) seraient aujourd’hui compatibles avec le télétravail de sorte que celui-ci devrait trouver à s’appliquer pour un très grand nombre de salariés.
3) Comment doit s’organiser mon temps de travail ?
En matière de télétravail, il faut distinguer d’une part les heures de travail et, d’autre part, les plages horaires de disponibilité du salarié.
3.1) L’employeur doit faire respecter les durées maximales de travail et de repos.
S’agissant des heures de travail, bien que les règles de décompte du temps de travail soient plus délicates à mettre en œuvre lorsque le salarié se trouve à son domicile, l’employeur reste tenu de contrôler le temps de travail de ses salariés [6]
En effet, le télétravail ne dispense pas l’employeur de s’assurer du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos.
Il lui appartient donc de mettre en place un système fiable de décompte des heures de travail (système d’autodéclaration, système de surveillance des temps de connexion sur l’ordinateur etc.) ; quand bien même le salarié gère librement ses horaires de travail.
De même, si le salarié réalise des heures supplémentaires, elles devront lui être rémunérées.
La charge de travail confiée au travailleur devra d’ailleurs être comparable à celle applicable lorsque le travail est effectué dans les locaux de l’entreprise [7].
Pour les salariés en forfait jours, l’employeur doit toujours s’assurer du respect du repos quotidien minimum de 11 heures et du repos hebdomadaire de 35 heures minimum ainsi que des durées maximales.
3.2) Plages horaires de disponibilité durant lesquelles le salarié doit être joignable.
Contrairement au travail réalisé au sein des locaux de l’entreprise, le télétravail suppose la fixation de créneaux horaires sur lesquels le salarié doit être joignable.
De ce fait, le salarié, qui gère librement son temps de travail, ne se voit pas contraint d’être disponible en permanence au cas où son employeur voudrait le joindre.
En dehors de ces plages horaires, il ne peut pas être sanctionné pour ne pas avoir répondu à son employeur [8].
4) Mon employeur doit-il me fournir du matériel et/ou prendre en charge mes frais d’équipement ?
C’est en principe à l’employeur, tenu de prendre à sa charge les frais professionnels engagés par ses salariés, qu’il revient de supporter les frais induits par le télétravail.
Ainsi, la règle veut que l’employeur prenne notamment en charge une part des frais de chauffage, d’électricité, d’internet, de téléphone etc. ainsi que l’acquisition du matériel nécessaire à l’accomplissement de la prestation de travail si celui-ci n’est pas fourni par l’entreprise.
Cette prise en charge peut se faire via le versement d’une allocation forfaitaire couvrant l’intégralité des frais de télétravail ou via le remboursement sur facture.
Reste néanmoins à savoir si cette règle sera maintenue dans le cadre du télétravail imposé pour la lutte contre la propagation du virus Covid-19 ou si elle sera aménagée pour tenir compte de la particularité de cette situation.
5) Ai-je le droit à une indemnité pour l’occupation de mon domicile ?
En principe, le salarié qui travaille à son domicile doit être indemnisé de cette sujétion particulière dès lors qu’aucun local professionnel n’est mis à sa disposition par l’entreprise [9].
Cette indemnité dite « d’occupation » s’ajoute au remboursement des frais engendrés par l’occupation à titre professionnel du domicile (électricité, chauffage, internet etc.).
A notre sens, elle n’est pas due aux salariés placés en télétravail dans le cadre des règles de lutte contre le Covid-19.
En effet, selon la jurisprudence, le droit à cette indemnité d’occupation dépend du fait de savoir si l’occupation du domicile privé du salarié dans le cadre du télétravail est imposée par l’absence de local de travail mis à disposition par l’employeur.
6) Que se passe-t-il si j’ai un accident à mon domicile alors que j’étais en télétravail ?
Lorsque le salarié est victime d’un accident alors qu’il est en télétravail, cet accident doit en principe être considéré comme un accident du travail dès lors qu’il est survenu à l’occasion ou par le fait du travail [10].
L’accident doit, à ce titre, faire l’objet d’une déclaration du salarié à son employeur par lettre recommandée avec accusé de réception dans le délai de 48 heures de sa survenance.
Néanmoins, la preuve du caractère professionnelle est bien plus difficile.
La présomption du caractère professionnel de l’accident s’applique selon les règles de droit commun au télétravailleur dès lors que celui-ci est survenu aux lieu et temps de [11].
Toute la difficulté réside donc dans la preuve de la survenance de l’accident pendant le temps de travail.
A défaut de pouvoir démontrer que l’accident est bien survenu au domicile du télétravailleur pendant son temps de travail, celui-ci sera privé du bénéfice de la présomption et devra prouver le lien de causalité entre l’accident et son travail [12].
7) Comment faire quand mon emploi n’est pas réalisable en télétravail ?
7.1) L’employeur doit faire respecter les gestes barrières et les règles de distanciation sociale.
Lorsque l’emploi n’est pas éligible au télétravail, l’employeur doit garantir pour ses salariés que les gestes barrières et les règles de distanciation sociale soient strictement respectés sur le lieu de travail.
A cet égard, le Ministère du travail invite les entreprises à adapter l’organisation du travail de façon à limiter au maximum les regroupements, notamment par la mise en œuvre d’horaires décalés.
Il convient à cet égard de rappeler que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat à l’égard de tous ses salariés et qu’il doit ainsi mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires à la protection de leur santé et de leur sécurité [13]
7.2) A défaut, le droit de retrait du salarié.
Si tel n’était pas le cas, le salarié serait en droit de faire valoir son droit de retrait [14])
7.3) Droit d’alerte du CSE en application de l’article L4131-2 et L4132-2.
En cas de non-respect des gestes barrières et des règles de distanciation sociale qui mettraient en danger les salariés, le CSE peut exercer son droit d’alerte.
L’article L4131-2 du Code du travail dispose en effet que : « Le représentant du personnel au comité social et économique, qui constate qu’il existe une cause de danger grave et imminent, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, en alerte immédiatement l’employeur selon la procédure prévue au premier alinéa de l’article L4132-2. »
Or, compte tenu de son caractère d’urgence, l’alerte n’a pas besoin de résulter d’une décision collective du CSE, elle peut être émise par un membre du CSE individuellement.
Pour ce faire, il doit non seulement aviser immédiatement l’employeur, mais également consigner cet avis sur une registre spécial, l’avis devant contenir obligatoirement les mentions suivantes :
L’indication du ou des postes de travail concernés ;
Le nom des salariés concernés ;
La nature du danger et sa cause [15].
Cela déclenche immédiatement pour l’employeur, l’obligation de procéder à une enquête avec le membre du CSE qui a reporté l’alerte, et de prendre les dispositions nécessaires pour faire cesser le danger [16].
7.4) Le cas particulier des parents d’enfants de moins de 16 ans qui n’ont pas de solution de garde.
S’agissant des parents d’enfants de moins de 16 ans dont l’emploi n’est pas réalisable en télétravail et qui n’ont pas de solution de garde, ceux-ci peuvent demander un arrêt de travail indemnisé par l’assurance maladie sans délai de carence [17].
L’employeur ne peut alors pas refuser cet arrêt de travail.
8) Que faire en cas de refus de mon employeur de passer en télétravail ?
Lorsque l’emploi est réalisable en télétravail, même partiellement, et que l’employeur le refuse, seule reste la solution de l’exercice de votre droit de retrait en application de l’article L. 4131-1 du code du travail [18].
Sources :
Attestation de déplacement dérogatoire (décret du 23 mars 2020) ;
Article L4131-1 du code du travail sur le droit de retrait du salarié ;
Décret 2020-260 du 16 mars 2020 ;
Décret 2020-293 du 23 mars 2020 ;
Arrêté du 30 mai 2006 portant extension de l’accord national interprofessionnel relatif au télétravail ;
Décret n° 2020-73 du 31 janvier 2020 portant adoption de conditions adaptées pour le bénéfice des prestations en espèces pour les personnes exposées au coronavirus.