Les salariés en télétravail ont-ils droit aux titres-restaurant ?
La Cour de cassation a mis fin à un débat récurrent : les salariés travaillant à distance bénéficient des mêmes droits que ceux présents dans l’entreprise, y compris pour les titres-restaurant. L’arrêt du 8 octobre 2025, publié au Bulletin, précise les conditions et les conséquences pratiques de ce principe :
- Principe posé : le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié sur site [1].
- Condition d’éligibilité : le salarié a droit à un titre-restaurant dès lors qu’un repas est compris dans son horaire journalier [2].
- Critère indifférent : le lieu d’exécution du travail (domicile, bureau, coworking) ne peut justifier une différence de traitement.
- Conséquence pour les employeurs : les chartes de télétravail et systèmes de paie doivent être adaptés pour garantir l’égalité de traitement.
- Portée pratique : l’arrêt publié au Bulletin a valeur de principe et s’applique à toutes les entreprises, publiques ou privées.
Une décision de principe qui clôt un débat social et juridique.
Le 8 octobre 2025, la Cour de cassation a tranché une question qui divisait praticiens et employeurs depuis la généralisation du télétravail : les salariés travaillant à distance ont-ils droit aux titres-restaurant dans les mêmes conditions que leurs collègues présents sur site ?
Par un arrêt de principe publié au Bulletin [3], la Haute juridiction a répondu sans équivoque : oui. En combinant les dispositions relatives au télétravail et celles encadrant l’attribution des titres-restaurant, elle juge qu’un employeur ne peut priver un salarié en télétravail de cet avantage dès lors que son repas est compris dans son horaire journalier.
Cette décision consacre une égalité de traitement intégrale entre télétravailleurs et salariés sur site, et impose aux entreprises une mise en conformité immédiate de leurs pratiques et chartes internes.
Le contexte du litige : un salarié privé de titres-restaurant pendant le télétravail.
Un différend né pendant la période de télétravail généralisé.
Le salarié, cadre au sein de la société Yamaha Music Europe depuis 1988, exerçait ses fonctions en télétravail entre mars 2020 et mars 2022. Durant cette période, il n’a perçu aucun titre-restaurant, l’entreprise réservant cet avantage aux salariés physiquement présents dans ses locaux.
S’estimant victime d’une rupture d’égalité, il a saisi le conseil de prud’hommes de Meaux afin d’obtenir le versement de la contribution patronale correspondante.
La condamnation de l’employeur par les juges prud’homaux.
Par jugement du 25 janvier 2024, le conseil de prud’hommes a condamné l’employeur au paiement de la somme de 1 700,88 € au titre du rappel de titres-restaurant. L’entreprise a alors formé un pourvoi, soutenant que les télétravailleurs ne seraient pas placés dans une situation identique, leurs conditions de restauration étant différentes.
Le rejet du pourvoi par la Cour de cassation.
La Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme la condamnation, tout en rectifiant une simple erreur matérielle sur le montant, en application de l’article 462 du Code de procédure civile [4].
L’essentiel est ailleurs : le principe de stricte égalité de traitement entre salariés en télétravail et salariés sur site est désormais consacré.
Le cadre légal : combinaison du droit du télétravail et du régime des titres-restaurant.
L’égalité de droits du télétravailleur
L’article L1222-9, III, alinéa 1er du Code du travail dispose que « le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise ». Cette disposition, souvent citée mais rarement mobilisée en jurisprudence, constitue le fondement de l’égalité de traitement applicable à toutes les composantes de la relation de travail, avantages compris.
Le régime juridique des titres-restaurant.
Le titre-restaurant, défini à l’article L3262-1 du Code du travail, est un titre spécial de paiement destiné à couvrir le prix du repas consommé pendant la journée de travail.
Selon l’article R3262-7, un même salarié « ne peut recevoir qu’un titre-restaurant par repas compris dans son horaire de travail journalier ».
La seule condition d’attribution est donc l’existence d’un repas compris dans l’horaire journalier, indépendamment du lieu d’exécution du travail.
L’interprétation combinée des textes.
En combinant ces dispositions, la Cour de cassation affirme clairement : l’employeur ne peut refuser l’octroi de titres-restaurant au seul motif que le salarié travaille à distance [5].
Le critère géographique est indifférent ; seule compte la réalité du repas inclus dans l’horaire de travail.
Une solution attendue : fin des divergences jurisprudentielles.
Des positions contradictoires depuis 2020.
Depuis la crise sanitaire, plusieurs conseils de prud’hommes avaient rendu des décisions opposées.
Certains estimaient que le salarié en télétravail pouvait se restaurer à domicile et n’avait donc pas besoin d’un titre-restaurant. D’autres, au contraire, considéraient que le lieu du repas n’avait aucune incidence sur le droit à cet avantage.
L’arrêt du 8 octobre 2025 vient unifier la jurisprudence et mettre un terme à cette insécurité juridique.
Une clarification du principe d’égalité de traitement.
La Haute juridiction fonde sa décision non sur la notion de discrimination, mais sur une lecture textuelle des articles du Code du travail.
Ainsi, dès lors que le télétravailleur exécute sa prestation dans le cadre d’un horaire journalier intégrant une pause déjeuner, il est objectivement placé dans une situation identique à celle d’un salarié sur site.
Aucune différence de traitement ne peut donc être justifiée, sauf à démontrer une raison objective, pertinente et étrangère au mode d’exécution du travail - ce qui n’était pas le cas ici [6].
L’impact concret pour les employeurs : mise en conformité obligatoire.
Suppression des clauses restrictives dans les chartes de télétravail.
Les entreprises doivent désormais abroger toute clause limitant l’attribution des titres-restaurant aux salariés présents sur site.
Les chartes, accords collectifs ou politiques internes doivent préciser que l’avantage s’applique de manière identique aux télétravailleurs dès lors qu’ils disposent d’un repas compris dans leur horaire de travail.
Révision des systèmes de paie et d’attribution.
Les logiciels de paie et plateformes d’émission doivent être configurés selon la logique horaire, non géographique.
Le critère unique d’éligibilité reste la présence d’un repas dans l’horaire journalier — que le salarié travaille de son domicile, d’un espace de coworking ou du siège de l’entreprise.
Risque de rappels et de contentieux.
L’arrêt étant publié au Bulletin, sa portée est générale.
Les salariés ayant été exclus de l’avantage pendant leurs périodes de télétravail peuvent légitimement réclamer des rappels de titres-restaurant sur trois ans, sur le fondement de l’article L3245-1 du Code du travail (prescription triennale des salaires).
Les employeurs ont donc tout intérêt à auditer leurs pratiques passées et, le cas échéant, à procéder à des régularisations volontaires.
Respect du cadre fiscal et social.
L’égalité d’attribution n’exonère pas du respect du régime social applicable.
La contribution patronale reste exonérée dans la limite du plafond annuel et à condition de respecter la participation minimale du salarié (entre 50% et 60% de la valeur faciale du titre) [7].
Les entreprises devront veiller à ce que l’extension de l’avantage aux télétravailleurs reste conforme à ces paramètres.
La condition d’éligibilité unique : le repas compris dans l’horaire de travail.
Un critère objectif, uniforme et contrôlable.
Le texte de l’article R3262-7 du Code du travail fixe la condition d’attribution : un titre-restaurant par repas compris dans l’horaire journalier.
Ce critère, purement factuel, évite toute appréciation subjective liée aux conditions de travail ou au lieu d’exercice.
Ainsi :
- un salarié à temps partiel dont l’horaire couvre la pause déjeuner est éligible ;
- un salarié travaillant en continu sur une demi-journée ne l’est pas ;
- un télétravailleur fractionnant sa journée sur plusieurs plages reste éligible dès lors que son horaire intègre une pause repas.
L’impossibilité de moduler selon le lieu de travail.
L’arrêt du 8 octobre 2025 interdit toute différenciation selon le lieu d’exécution de la prestation.
Introduire une distinction entre « présentiel » et « télétravail » reviendrait à créer une condition supplémentaire non prévue par la loi, et donc à violer le principe d’égalité de traitement [8].
Le dialogue social comme levier de mise en conformité.
Information et consultation du CSE.
Toute modification des conditions d’attribution d’un avantage collectif, même à droit constant, impose d’informer le comité social et économique.
Cette consultation sera l’occasion d’expliciter la portée de l’arrêt et d’actualiser la charte télétravail, les accords d’entreprise ou les règlements intérieurs.
Adaptation des accords collectifs existants.
Les conventions collectives ou accords de branche peuvent prévoir des dispositions plus favorables.
La décision de la Cour ne crée pas un maximum, mais un socle minimal d’égalité ; les employeurs peuvent aller au-delà, à condition de rester conformes au cadre social et fiscal applicable.
Les points de vigilance pour les directions juridiques et RH.
Suivi du temps de travail et preuve de l’horaire.
L’éligibilité reposant sur l’horaire, il est impératif de pouvoir établir la réalité du repas inclus dans la journée de travail.
Les outils de suivi du temps (logiciels, feuilles d’émargement, déclaration d’activité) doivent être adaptés pour les télétravailleurs, faute de quoi la preuve sera plus difficile à rapporter en cas de litige.
Cumul avec d’autres dispositifs.
Les titres-restaurant n’excluent pas le remboursement de frais professionnels distincts (repas d’affaires, déplacements).
Toutefois, un même repas ne peut donner lieu à un double avantage (titre-restaurant + remboursement de note de frais).
Cohérence des valeurs faciales et contribution patronale.
Les valeurs faciales doivent rester uniformes entre salariés, sauf justification objective et contrôlable (ex : modulation en fonction des sites géographiques si différence réelle de coût de vie).
Toute modulation fondée sur le télétravail constituerait une rupture d’égalité.
Une décision d’équilibre : concilier droit, équité et modernité du travail.
L’arrêt du 8 octobre 2025 illustre la volonté de la Cour de cassation d’adapter la lecture du Code du travail à l’évolution des modes d’organisation.
En replaçant le débat sur son terrain strictement légal, elle sécurise les pratiques et reconnaît que le télétravail n’altère ni le lien de subordination, ni les droits accessoires du salarié.
Ce faisant, la Haute juridiction confirme une logique déjà amorcée par d’autres décisions en matière d’avantages collectifs et d’égalité de traitement [9].
Conclusion : un tournant pour la gestion sociale du télétravail.
L’arrêt du 8 octobre 2025 constitue un jalon majeur du droit du télétravail.
Il unifie la jurisprudence, réaffirme l’égalité de traitement et impose une refonte immédiate des politiques internes d’entreprises.
En pratique, tout salarié dont l’horaire journalier comprend un repas doit bénéficier d’un titre-restaurant, qu’il travaille au siège, à domicile ou ailleurs.
Les employeurs ont donc la responsabilité d’anticiper les ajustements nécessaires pour garantir la conformité juridique et préserver la cohésion sociale.
En rétablissant la cohérence entre les textes, la Cour de cassation rappelle une évidence : le télétravail ne crée pas un salarié de seconde zone, mais prolonge le droit commun du travail dans un nouvel espace professionnel.



Discussions en cours :
bonjour
Si une entreprise accorde des TR dans le cadre d’un télétravail faisant l’objet d’un avenant au contrat de travail, doit-elle accorder des TR si un salarié se déclare de temps en temps en télétravail occasionnel donc sans convention contractuelle ?
merci
Bonjour,
Oui, le principe d’égalité de traitement s’applique également au télétravail occasionnel, même en l’absence d’avenant formalisé au contrat de travail.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 8 octobre 2025 (n° 24-12.373, FS-B), a posé un principe général : dès lors qu’un repas est compris dans l’horaire journalier du salarié, celui-ci doit bénéficier d’un titre-restaurant, quel que soit le lieu où il exerce son activité.
Le critère déterminant est donc l’existence d’un repas inclus dans la journée de travail, et non la formalisation du télétravail par un avenant ou une charte.
Autrement dit :
Si le salarié travaille exceptionnellement à domicile, avec un horaire incluant une pause déjeuner, il reste éligible aux titres-restaurant, au même titre qu’un télétravailleur régulier.
Seule l’absence d’un repas dans l’horaire (par exemple une demi-journée de travail) justifie de ne pas attribuer de titre-restaurant.
En pratique, l’employeur doit donc fonder son attribution sur le temps de travail effectif et la pause repas prévue, non sur le caractère contractuel ou ponctuel du télétravail.
Bien à vous,
Bonjour,
Qu’en est-il des entreprises qui mettent à disposition de leurs salariés un restaurant d’entreprise ? Ils ne délivrent donc pas de titres restaurant. Devront ils dorénavant délivrer des titres restaurants les jours de télétravail de ces mêmes salariés ? Ou une alternative "indemnité repas" pour les jours de télétravail ?
Merci pour vos réponses et votre article.
Bonjour,
La Cour de cassation ne traite pas ici du temps de travail mais uniquement de l’égalité de traitement en matière d’avantages.
Le fait qu’un salarié sur site puisse faire du “crédit d’heures” relève d’une organisation interne, pas d’une inégalité de droit.
L’arrêt rappelle simplement que le lieu d’exécution du travail ne peut, à lui seul, justifier la suppression d’un avantage prévu pour les salariés de l’entreprise.
Bonjour,
L’arrêt ne remet pas en cause le principe selon lequel les salariés qui disposent d’un restaurant d’entreprise n’ont pas droit aux titres-restaurant.
En revanche, si une partie du personnel bénéficie de titres-restaurant et que d’autres en sont exclus au seul motif du télétravail, l’entreprise doit revoir sa politique.
Aucune obligation d’indemnité repas n’existe à ce jour, mais une cohérence de traitement devra être assurée.
Bonjour
et quid du temps de travail ?
Un salarié sur site peut faire du crédit alors que le salarié en télétravail non !
Bonjour,
La Cour de cassation ne traite pas ici du temps de travail mais uniquement de l’égalité de traitement en matière d’avantages.
Le fait qu’un salarié sur site puisse faire du “crédit d’heures” relève d’une organisation interne, pas d’une inégalité de droit.
L’arrêt rappelle simplement que le lieu d’exécution du travail ne peut, à lui seul, justifier la suppression d’un avantage prévu pour les salariés de l’entreprise.