I- Le dress code
1- L’espace privé
a) Le vêtement et la tenue vestimentaire sont une traduction de la vie d’une époque.
Ces règles obéissent à des codes sociaux correspondant au groupe sociétal - la classe sociale - auquel chacun appartient.
b) Les relations professionnelles obéissent à des règles vestimentaires : Ordres professionnels : avocats, pharmaciens (blouse blanche), médecins.
En droit du travail, l’employeur a le droit d’imposer au personnel une tenue vestimentaire dans l’intérêt de l’entreprise et de la clientèle : est ainsi justifié le licenciement d’une assistante responsable de réservation d’un hôtel de porter un uniforme (Cass. Soc. 13 février 2008 n° 06-43784). La cour d’appel, qui a constaté que « la contrainte vestimentaire imposée à la salariée était justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé. » L’image de l’entreprise justifie ces règles, qui se trouvent dans le règlement intérieur, dans le contrat de travail ou des notes internes.
2- L’espace public
L’espace public est le domaine de la réglementation de par sa fonction d’organisation de la vie publique et administrative : corps d’armée, de police. Dans l’administration, le port du jean est pratiqué mais avec un haut plus strict. Le visage doit être découvert : loi de 2004 pour les écoles et du 11 octobre 2010 pour tous les lieux publics y compris les établissements privés recevant du public : restaurants, cafés, cinémas…
La mention « tenue correcte exigée » est la règle écrite ou non écrite dans la majorité des restaurants qui peuvent exiger le port d’une cravate. Ainsi que l’interdiction de se promener pieds nus et en maillot de bain dans les rues de certaines stations estivales.
Ces restrictions vestimentaires sont acceptées ou sinon la personne a le choix de partir. La tenue vestimentaire n’est ainsi pas une liberté individuelle absolue et elle peut être réglementée.
II- - L’islam, les restrictions vestimentaires et le principe de laïcité
a) En France, en 2004, une loi interdisait le port de foulards dans les écoles et établissements administratifs - pas les universités - le 11 octobre 2010 une loi interdisait d’avoir le visage caché.
b) Les décisions de la Cour européenne des Droits de l’homme
La jurisprudence sur les restrictions vestimentaires est très nourrie. Dans sa dernière fiche sur les signes et vêtements religieux de mai 2016, la Cour rappelle les dernières décisions.
Dogru c. France et Kervanci c. France : 4 décembre 2008
L’interdiction de porter un voile pour pratiquer un sport pour des raisons de sécurité et d’hygiène et a été jugée non contraire à la Convention.
SAS c.France 1er juillet 2014 :
Sur le port du voile intégral et du niqab en ville : la Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et à la non-violation de l’article 9 (droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion) de la Convention Elle a souligné en particulier que la préservation des conditions du « vivre ensemble » était un objectif légitime à la restriction contestée et que, notamment au regard de l’ample marge d’appréciation dont l’État disposait sur cette question de politique générale suscitant de profondes divergences, l’interdiction posée par la loi du 11 octobre 2010 n’était pas contraire à la Convention (extrait de la fiche de la Cour).
Barik Edidi c. Espagne, 26 avril 2016 (décision sur la recevabilité)
Rejet d’une requête d’une avocate portant le hijab dans un tribunal à qui le président du tribunal demanda de regagner la partie réservée au public au motif que les avocats comparaissant à la barre ne pouvaient se couvrir la tête autrement que par la toque (birette) officielle.
Kurtulmuş c. Turquie, 24 janvier 2006 (décision sur la recevabilité)
La Cour a rejeté la plainte d’une professeure d’université sur l’interdiction qui lui avait été faite de porter le foulard islamique dans l’exercice de ses fonctions. La requérante soutenait que le fait d’avoir été déclarée démissionnaire à l’issue d’une procédure disciplinaire en raison de son foulard islamique avait constitué une atteinte à ses droits garantis par les articles 8 (droit au respect de la vie privée), 9 et 10 (liberté d’expression) de la Convention.
La Cour a déclaré la requête irrecevable (manifestement mal fondée). Elle a estimé que, en ce qui concerne particulièrement les rapports entre l’État et les religions, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national. Dans une société démocratique, l’État est en droit de limiter le port du foulard islamique si cela nuit à l’objectif visé de protection des droits et libertés d’autrui.
La Cour européenne des Droits de l’Homme érige ainsi en principe premier le devoir de l’État de régler les relations avec les religions : compte tenu de la marge d’appréciation dont jouissent les États en la matière, la Cour a en outre dit que l’ingérence pouvait passer pour « nécessaire dans une société démocratique » au regard de l’article 9 § 2 de la Convention. En particulier, elle a considéré qu’on ne pouvait faire abstraction de l’impact que pouvait avoir le port de ce symbole, souvent présenté ou perçu comme une obligation religieuse contraignante, sur ceux qui ne le portaient pas (Arrêt Leyla Şahin c. Turquie : 10 novembre 2005 (Grande Chambre)).
III- L’ordonnance « burkini » du Conseil d’État du 26 août 2016
a) La procédure
Une vingtaine de mairies ont interdit le port du burkini, dont la mairie de Villeneuve-Loubet, qui a exigé le port d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et du principe de laïcité. Arrêté limité à la période du 15 juin au 15 septembre 2016.
Rejeté par le tribunal administratif de Nice par ordonnance du 22 août 2016, le référé-liberté introduit par la Ligue des Droits de l’Homme et l’Association de défense des Droits de l’Homme Collectif de l’Islamophobie en France a eu gain de cause par la décision du Conseil d’État rendue en formation collégiale le 26 août 2016 en présence du ministre de l’Intérieur.
L’article 4-3 de l’arrêté du maire a été suspendu.
b) Critiques des motifs de l’ordonnance du Conseil d’État
1) Visas et motifs
L’ordonnance a été rendue au visa de :
la Constitution, et notamment son Préambule et l’article 1er ;
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
le Code général des collectivités territoriales ;
la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État ;
le Code de justice administrative ;
L’ordonnance ne statue pas au regard du principe de laïcité, pourtant visé par deux fois, mais au regard du pouvoir du maire de l’article L. 2212-2 du Code des collectivités territoriales « qui a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». L’article L. 2213-23 dispose en outre que « le maire exerce la police des baignades et des activités nautiques… »
Le Conseil déclare que « l ’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage. Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public ».
Sans mentionner le burkini qualifiée de « tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes », le Conseil déclare la restriction non justifiée par un risque de trouble à l’ordre public et que la restriction porte atteinte aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle. Les conséquences de l’application de telles dispositions sont en l’espèce constitutives d’une situation d’urgence qui justifie que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative.
2) Critiques
- Le principe de laïcité
En évitant la qualification de burkini , le Conseil d’État ne se prononce pas sur le caractère islamique du costume de bain.
Le maire a le droit de veiller au principe de laïcité comme tout citoyen, droit supérieur au Code des collectivités territoriales et applicable à son territoire.
- Le risque d’atteinte à l’ordre public
Le Conseil d’État déclare qu’il n’y a pas de risque de trouble à l’ordre public. Et que l’attentat du 14 juillet à Nice n’a pas de lien avec le burkini.
En statuant ainsi, le Conseil d’État élude les rixes de la commune de Sisco, ainsi que la panique collective à Juan-les-Pins du 14 août 2016.
C’est éluder l’état d’urgence.
- L’hygiène
Le Conseil d’État ne se prononce pas sur l’hygiène. C’est encore une omission.
A la piscine, les shorts sont interdits par mesure d’hygiène dans un espace pourtant assaini. Les vêtements constituent des pièges à microbes outre le fait de défaut de respiration de la peau. Les plages municipales ne sont pas dotées de moyens suffisants.
- L’incompatibilité avec la pratique de la natation
Les tenues adaptées en vue de la baignade par certaines personnes sont incompatibles avec la pratique de la natation.
Ces tenues ne sont pas adaptées à la pratique de la natation et sont interdites aux Jeux Olympiques.
- L’obligation de sécurité du maire
Le maire est responsable de la sécurité des personnes sur sa commune. Le risque pour la sécurité des personnes est avéré à tous points de vue. Le maire était dans son droit d’interdire le port d’un vêtement dangereux pour la femme comme pour l’ordre public.
- L’atteinte aux libertés fondamentales
L’arrêté ne porte atteinte ni à la liberté d’aller et venir, ni à la liberté de conscience et ni à la liberté personnelle. Les nageuses portent un maillot de bain sous ce vêtement, ou peuvent quitter la plage.
En conclusion
Comme l’a rappelé la Cour européenne des Droits de l’Homme, l’État est en droit de limiter le port du foulard islamique si cela nuit à l’objectif visé de protection des droits et libertés d’autrui.
La protection des droits et libertés doit être équilibrée. Cet équilibre en France est le principe de laïcité. Le « vivre ensemble » ne peut s’entendre que par ce respect de la loi de la République sauf à créer des volontés séparatistes et communautaristes.
Discussions en cours :
Je me permets de ne pas totalement partager votre analyse.
Le CE n’avait pas à se prononcer sur le caractère islamique ou non du « burkini ». Et le principe de laïcité ne commande pas d’interdire toute expression, vestimentaire ou autre, d’une religion, encore moins de l’une d’entre elles en particulier. Il consiste au contraire à respecter toutes les croyances (article 1er de la Constitution) tandis que la Déclaration de 1789 (article 10) s’oppose à ce qu’on inquiète quiconque pour ses opinions religieuses « pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». La seule question, dans cette affaire, est donc bien celle de l’ordre public légalement établi, ce à quoi a justement répondu le CE dans le cadre de sa saisine.
Et l’on peut raisonnablement se demander si, en l’occurrence, l’ordre public a été troublé par quelques femmes porteuses de « burkini » faisant trempette avec leurs enfants, ou par les manifestations d’hostilité, de fait encouragées par des interventions policières voyantes et disproportionnées, dont elles ont fait l’objet.
Quelques questions ou observations sur vos autres critiques :
L’hygiène : peut-on vraiment comparer la grande bleue à une piscine ? Le « burkini » est-il moins hygiénique – ou plus polluant - qu’un corps dénudé mais pas lavé et/ou tartiné de crème solaire riche en perturbateurs endocriniens ? Que les enfants et adultes qui font pipi dans l’eau ? Que le chienchien qui va rechercher la baballe dans les vagues ? Que les engins à moteur sillonnant les flots à quelque distance de la plage ? …
La pratique de la natation et la sécurité : une tenue olympique est-elle vraiment nécessaire pour barboter au bord de l’eau ou pour faire quelques brasses ? Il y a des gens qui nagent d’ailleurs très bien avec une combinaison couvrante comme on en voit sur les surfeurs ou véliplanchistes, lesquels prennent pourtant plus de risques (pour eux et pour les autres) que ces trop pudiques baigneuses.
Mais, ouf, l’été s’achève ...
Merci de votre analyse, que je partage totalement. La première partie de cet article est intéressante et a le mérite de faire une veille jurisprudentielle. Mais j’ai été profondément déçue par la critique de la décision du CE : ce ne sont pas des arguments d’analyse, mais qui laissent au contraire bien deviner l’orientation politique de l’auteur. Et à mon sens, ça n’est pas ce que l’on doit trouver dans ce type de document.
Cela commence à devenir lassant, cette utilisation dévoyée du principe de laïcité...
Le chapitre 2 et 3 se rapporte aux tenues vestimentaires exagérément attribuées à l’Islam et dont le débat analyse finement tous les détails.
Cependant, rien ne filtre sur les limites juridiquement autorisées dans l’espace public des décolletés et mini-jupes. Est-ce qu’il existe une jurisprudence à ce sujet ? Bien cordialement
J’acquiesce totalement. Le sujet est bien exploité, sans polémique, en fonction de la législation.
Je reproche trop souvent aux praticiens, que j’ai été du reste, de vouloir se substituer à la Doctrine dite " officielle". Par le vecteur du numérique et de l’uberisation, tout le monfe veut tout faire, et mal souvent.
Mais ce commentaire d’arrêt, qui n’a pas vocation à refléter l’opinion de son auteur, est d’une qualité technique - formelle et de fond - remarquable, dont beaucoup d’étudiants pourraient s’inspirer. Encore une foi, peu importe le contenu de la critique, positive ou négative, dès lors que celle-ci est admirablement argumentée.
MB