En l’espèce une société ayant pour activité la commercialisation de soins capillaires avait confié la fabrication des produits à un laboratoire. Un litige survenant entre les deux partenaires sur le conditionnement des produits, la société, représentée par sa gérante, assignait le laboratoire aux fins de voir ce dernier condamné à réparer divers préjudices allégués.
La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 8 juin 2016, déclarait nulle l’assignation délivrée par la gérante agissant au nom de la société en constatant qu’un procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire de 2003 avait limité les pouvoirs de la gérante en précisant qu’elle ne pourrait « sans y être autorisée au préalable par une décision collective ordinaire des associés effectuer (…) toute action en justice de la société en tant que demandeur ».
Au visa de l’article 117 du Code de procédure civile, la Cour considérait ainsi la gérante comme dénuée du pouvoir de représenter la personne morale demanderesse.
La société formait alors un pourvoi en cassation, soutenant « qu’un tiers ne peut se prévaloir des limitations statutaires, à titre de règlement intérieur, des pouvoirs du gérant pour dénier au représentant légal la possibilité de représenter en justice la société ».
Le moyen visait l’article L.223-18 du Code de commerce qui régit notamment l’effet des clauses statutaires encadrant les pouvoirs du gérant en distinguant le cas des associés de celui des tiers.
Pour les premiers il est prévu que « dans les rapports entre associés, les pouvoirs des gérants sont déterminés par les statuts, et dans le silence de ceux-ci, par l’article L. 221-4 ».
Pour les seconds, que « dans les rapports avec les tiers, le gérant est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, sous réserve des pouvoirs que la loi attribue expressément aux associés » et que « les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants qui résultent du présent article sont inopposables aux tiers ».
De ces deux derniers alinéas, la société semblait déduire qu’à l’égard des tiers le gérant doit toujours - qu’il existe des clauses limitatives de pouvoirs ou non – être considéré comme ayant les pouvoirs les plus étendus pour représenter la société, de telles clauses étant « strictement internes » et prises à titre de « règlement intérieur ».
Une telle conception induit toutefois que l’alinéa prévoyant que « les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants qui résultent du présent article sont inopposables aux tiers » est totalement dénué d’utilité, l’alinéa précédent étant alors largement suffisant.
En outre, cette position oblige le tiers à se livrer à une analyse incertaine pour savoir si la clause constitue un « règlement intérieur » visant à protéger les seuls associés ou si elle n’a pas pour objet de préserver les tiers...
Le pourvoi est rejeté et la décision de la cour d’appel confirmée par la Cour de cassation qui juge « qu’un tiers peut se prévaloir des statuts d’une personne morale pour justifier du défaut de pouvoir d’une personne à figurer dans un litige comme le représentant de celle-ci ».
Bien que non publié, cet arrêt à le mérite d’éclairer sur l’articulation des deux alinéas de l’article L.223-18 du Code de commerce régissant l’étendue des pouvoirs du gérant à l’égard des tiers en invitant à opérer une distinction selon qu’il existe ou non des clauses limitant les pouvoirs du gérant.
En l’absence de telles clauses, « le gérant est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société » sous la seule réserve des cas où la loi réserve une prérogative aux associés.
Au contraire, en présence de telles clauses, « les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants qui résultent du présent article sont inopposables aux tiers » tandis que, c’est là l’apport de l’arrêt commenté, les tiers pourront – eux – opposer lesdites clauses à la société.
Cass. Com. 14 févr. 2018, n°16-21.077