Transparence et ayants droit économiques : analyse de la future LTPM suisse.

Par Remi Zeitoun, Juriste.

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Explorer : # transparence des entreprises # blanchiment d'argent # ayants droit # obligations de diligence

Ce que vous allez lire ici :

Le projet de loi LTPM vise à renforcer la transparence en Suisse concernant les ayants droit économiques. Il introduit un registre central, impose des obligations de déclaration et fixe des exemptions pour certaines entités. Des critiques portent sur le manque d'accès public et la présomption d'exactitude des données.
Description rédigée par l'IA du Village

La Suisse est actuellement en phase avancée de réforme législative visant à renforcer la transparence des personnes morales et à mieux identifier les ayants droit économiques (bénéficiaires effectifs), dans le contexte de la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, et des exigences internationales de transparence fiscale. Le projet de loi fédérale 24.046, intitulé Loi fédérale sur la transparence des personnes morales et l’identification des ayants droit économiques (LTPM), déposé par le Conseil fédéral le 22 mai 2024, en est l’instrument principal.

Cet article propose d’analyser les principales dispositions du projet, les modifications déjà intervenues dans la procédure parlementaire, les points de critique identifiés par la doctrine et les acteurs concernés, et de dégager les enjeux essentiels et perspectives d’évolution.

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1. Contenu du projet de loi : objectifs, structure et principales dispositions.

1.1 Objectifs.

Le projet LTPM poursuit plusieurs objectifs :

  • Rendre la Suisse conforme aux normes internationales en matière de transparence et de lutte contre le blanchiment d’argent (Groupe d’action financière, standards de transparence fiscale).
  • Améliorer la capacité des autorités à identifier rapidement les ayants droit économiques - ce qui suppose un registre central, des obligations d’identification, de vérification et d’annonce.
  • Moderniser le dispositif légal existant en renforçant les obligations de mise à jour des informations, de diligence dans certaines activités de conseil.

1.2 Structure du projet.

Le projet est divisé en deux volets principaux :

  • Projet 1 : le projet de loi fédérale sur la transparence des personnes morales et l’identification des ayants droit économiques instaurant un registre fédéral de transparence des ayants droit économiques.
  • Projet 2 : obligations de diligence pour les conseillers (avocats, notaires, etc.) dans le cadre de la LBA (Loi sur le blanchiment d’argent) pour les activités de conseil à risque.

1.3 Principales dispositions.

Parmi les points saillants du projet, on relève les éléments suivants :

  • Personnes morales assujetties : les personnes morales de droit privé suisses, certaines entités étrangères (p.ex. celles avec une succursale inscrite au registre du commerce, ou propriétaire d’un bien immobilier en Suisse), et les trusts dans certains cas.
  • Définition de l’ayant droit économique : personne physique qui contrôle une entité, soit par une participation directe ou indirecte d’au moins 25% du capital ou du droit de vote, soit par d’autres formes de contrôle significatif. En l’absence d’une telle personne identifiable, le membre le plus haut placé de l’organe de direction (gérant, administrateur) peut être désigné.
  • Obligations d’annonce et délais : après l’inscription au registre du commerce, la personne morale aura un mois pour annoncer ses ayants droit économiques dans le registre de transparence ; toute modification doit être annoncée dans le même délai.
  • Registre de transparence : tenu par l’Office fédéral de la justice et non public, l’accès sera réservé aux autorités compétentes, aux intermédiaires soumis à la LBA, et aux conseillers dans certaines conditions.
  • Exemptions : certaines entités sont exemptées, notamment les sociétés cotées en bourse ou leurs filiales importantes, les institutions de prévoyance professionnelle surveillées, etc. Aussi, fondations et associations sont dispensées d’inscription dans le registre dans le cadre des discussions parlementaires.
  • Présomption d’exactitude ? Il s’agit d’un point ayant suscité de vifs débats. Le projet du Conseil fédéral prévoyait que l’inscription des données au registre ait un caractère déclaratif, et non constitutif. Certains députés ont proposé d’aller plus loin en introduisant une présomption d’exactitude des données enregistrées, mais cette option n’a finalement pas été retenue.

2. Débats, critiques et modifications.

  • Présomption d’exactitude : comme évoqué, le Conseil des États proposait que les données annoncées au registre soient présumées exactes, ce qui pourrait faciliter certaines démarches administratives. Mais cela a été critiqué (par Transparency International Suisse notamment) pour risque d’affaiblissement du contrôle des intermédiaires financiers. Le Conseil national l’a rejetée.
  • Champ des exemptés : fondations, associations, institutions de prévoyance, sociétés cotées, etc. Le Conseil national a confirmé l’exclusion des fondations et des associations de l’obligation d’inscription.
  • Accès au registre : qui pourra consulter les données ? Dans quelles conditions ? Faut-il un accès public ou limité ? Le projet prévoit un registre non public, avec accès réservé aux autorités compétentes et aux intermédiaires financiers soumis à la LBA, ce qui soulève des questions sur la transparence effective.
  • Délais et obligations de mise à jour : modalités pratiques, les sanctions éventuelles, la charge administrative.

3. Appréciation critique.

3.1 Points forts.

  • Le projet LTPM comble un vide légal en Suisse, qui jusque-là reposait sur des solutions fragmentaires (registre du commerce, obligations de diligence dans la LBA) mais pas sur un registre fédéral centralisé des ayants droit économiques. Cela répond à des recommandations internationales et aux exigences du GAFI.
  • L’introduction d’obligations de mise à jour et de vérification, avec délai fixé, améliore la fiabilité des données.
  • L’exemption pour fondations et associations peut être vue comme une reconnaissance des particularités juridiques de ces entités et de la difficulté (voire du non-sens juridique) de leur attribuer des ayants droit économiques selon la définition standard.

3.2 Risques et faiblesses.

  • Accès limité/registre non public : bien que justifié par la protection des données et des intérêts privés, un registre non public restreint la transparence effective. Cela pourrait limiter la capacité de la société civile, des médias ou des chercheurs à détecter des abus.
  • Notion de contrôle économique : la définition proposée (25% de parts ou votes, etc.) est une pratique classique, mais les cas où aucun ayant droit ne remplit ce seuil mais où il y a un contrôle de fait risquent de poser problème. Le critère de « influence notable » reste vague et sujet à interprétation.
  • Présomption d’exactitude : le Conseil des États souhaitait conférer au registre de transparence une présomption d’exactitude, afin d’alléger les obligations de vérification imposées par la LBA. Cette proposition, critiquée par la doctrine comme source d’insécurité et de faux sentiment de fiabilité, a finalement été rejetée. Le compromis adopté (art. 23 al. 2 LTPM) maintient le caractère déclaratif du registre, tout en permettant aux intermédiaires de s’y fier s’ils ne constatent aucune anomalie manifeste - une solution jugée complexe et peu utile.
  • Exemptions : bien qu’elles réduisent la charge, elles créent des poches de moindre transparence, en particulier pour les entités étrangères, les trusts, ou les filiales.

4. Comparaisons internationales et normes externes.

Pour situer le projet suisse dans son contexte, il convient de rappeler quelques éléments de référence :

  • De nombreux pays européens disposent déjà de registres des bénéficiaires effectifs (bénéficiaires économiques), souvent publics ou semi-publics. L’UE exige depuis la directive anti-blanchiment (AMLD) que de tels registres existent et soient accessibles (avec niveaux d’accès variés).
  • Le standard du GAFI (Financial Action Task Force) impose des critères de transparence permettant aux autorités nationales et internationales d’obtenir les informations nécessaires, et recommande la mise en place de registres fiables.
  • En comparaison, certaines juridictions optent pour un accès public du registre, ou des niveaux publics de divulgation. L’absence de caractère public en Suisse la distingue, même si elle est défendue sur la base de protection des données et de responsabilités privées.

Conclusion.

Le projet LTPM représente un pas important pour la Suisse : il établit un cadre légal fédéral pour la transparence des personnes morales, via l’introduction d’un registre des ayants droit économiques, des obligations d’annonce et de vérification, ainsi que des exemptions ciblées. Le rejet de la présomption d’exactitude, l’exclusion des fondations et associations, et la définition claire des entités concernées sont des éléments qui témoignent d’un équilibre recherché entre efficacité et protection des droits fondamentaux.

Sources.

Projets et avant-projets de lois :
Projet de la Commission de rédaction pour le vote final, Loi fédérale sur la transparence des personnes morales et l’identification des ayants droit économiques du 26 septembre 2025.
Projet de la Commission de rédaction pour le vote final, Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme du 26 septembre 2025.
Procédure de consultation relative à l’avant-projet de loi fédérale sur la transparence des personnes morales et l’identification des ayants droit économiques (AP-LTPM), 22.05.2024

Articles :
Villard Katia, Blanchiment d’argent : Adoption de la révision du dispositif anti-blanchiment, 02.10.2025 [1].

Fiche parlementaire [2]
Reommandations du GAFI :
FATF (2012-2025), International Standards on Combating Money Laundering and the Financing of Terrorism & Proliferation, FATF, Paris, France [3].

Remi Zeitoun, Juriste
Genève, Suisse
https://www.linkedin.com/in/remi-zeitoun

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