Trois juristes à VivaTech : immersion au cœur des batailles qui redessinent le droit.

Trois juristes à VivaTech : immersion au cœur des batailles qui redessinent le droit.

Par Amel Rechid & Claire Caquant – Your Legal Angel,
Daria Viktorova
et Quentin Ramaget - Legal Jedi.

667 lectures 1re Parution: Modifié: 4.9  /5

Explorer : # ia juridique # legaltech # transformation numérique # gouvernance juridique

VivaTech, ce n’est pas un salon pour faire du tourisme juridique. Et nous n’y sommes pas allés en simples curieux. Si nous avons franchi les portes de Paris Expo mi-juin, c’est avec une intention claire : comprendre comment la tech transforme les métiers du droit.
Trois regards, trois journées, trois styles. Mais une même intention : les juristes ne peuvent plus rester spectateurs.
Alors on a écouté, questionné, challengé. Juristes, fondateurs, ingénieurs : on a capté leurs convictions, leurs doutes, leurs ambitions. On a pris le pouls du terrain et celui des idées. Et on était là, dans la salle, quand Emmanuel Macron a pris la parole. On a ressenti, en direct, l’élan qu’il veut insuffler à l’écosystème.
On vous restitue ici ce qui compte : les grandes batailles qui vont structurer les prochaines années pour notre profession.

-

Bataille #1 – L’IA juridique : agents IA, ROI, éthique

Par Daria Viktorova. [1]

15 000 pas dans les allées du salon. Des robots, des licornes (pas celles qu’on pense), des agents IA capables de coder, tester, déployer. Et, entre deux talks, la NASA qui parle souveraineté technologique. On était loin du droit classique, mais pourtant en plein cœur des enjeux juridiques.

Ce que j’ai vu à VivaTech, ce n’est pas du buzz. C’est une réalité qui s’installe. Des usages concrets, des décisions stratégiques et des signaux faibles que les juristes auraient tort d’ignorer.

L’enjeu n’est plus de savoir si on va utiliser l’IA, mais comment et avec quelles règles.

Les agents IA sont là.
Ils génèrent du code, déboguent, pilotent des tâches complexes. Ce n’est plus de la science-fiction. Mais ils nécessitent un cadre, une supervision humaine, des audits rigoureux. Exactement le rôle que peuvent jouer les juristes, à condition d’être dans la boucle, pas en marge.

Les données sont la vraie matière première.
Beaucoup d’entreprises se ruent sur des solutions IA sans se demander si leurs données sont prêtes. Or, pas de bonne IA sans bonne donnée. Cela veut dire :
- organiser, nettoyer, structurer les bases existantes,
- poser des règles claires de qualité, d’accès et de sécurité,
- penser à l’éthique dès la collecte.

Notre rôle de juriste est de cadrer, sécuriser, mais aussi simplifier les usages.

L’IA utile est celle qui a un ROI.
Un tiers des projets IA d’entreprise échouent faute d’intégration, de gouvernance ou d’alignement business. Le droit ne fera pas exception. Juriste ou responsable juridique, vous devez pouvoir parler valeur, pas juste conformité.

L’humain reste central, mais son rôle évolue.

L’IA est là pour augmenter l’humain, pas le remplacer. Mais cela implique de se former, de changer de posture et d’accepter de collaborer avec des outils intelligents.

Prenons Dicte. ai. Cet outil retranscrit automatiquement des échanges ou réunions avec une précision bluffante. Il soulage les équipes, évite les prises de notes approximatives et fait gagner un temps. Mais il bouscule aussi nos réflexes : que faire des données captées ? Comment garantir la confidentialité ? Qui valide la retranscription ? Autant de questions où le juriste a toute sa place et non pas pour freiner, mais pour encadrer intelligemment.

Mon message est simple : l’avenir de la pratique juridique ne se résume pas à “IA ou pas IA”. La vraie question, c’est : une IA bien pensée ou une IA mal subie ?
Les juristes ont clairement une carte à jouer, mais à condition d’entrer sur le terrain maintenant, pas d’attendre sur le banc.

Bataille #2 – LegalTech : des outils à la chaîne de valeur juridique

Par Amel Rechid & Claire Caquant – Your Legal Angel. [2]

Chez Your Legal Angel, on ne court pas après les outils. On cherche ce qui fait vraiment bouger les lignes métier : ce qui fluidifie les process, réconcilie les juristes avec leur valeur ajoutée, et installe une culture de la performance juridique durable.

C’est avec cette grille d’analyse que nous avons exploré VivaTech. Résultat : oui, les LegalTech ont mûri. Mais leur efficacité dépend aujourd’hui moins de leurs fonctionnalités que de leur intégration stratégique dans les organisations.
Notre terrain : le pavillon LegalTech.
On y a vu du bon. Du très bon. Et quelques absents.

Le CLM entre enfin dans le dur de l’IA :

Cette année, trois acteurs sont présents sur le salon : DocuSign, Tomorro, Gino.
Ils franchissent un cap :
● DocuSign propose désormais une couverture complète du cycle contractuel, de la génération à l’archivage, en passant par le suivi des obligations.
● Tomorro se distingue par une UX qui fluidifie réellement les usages, un sujet clé pour l’adoption.
● Gino, plus modulaire, intègre même une brique IA d’analyse comparative, pensée pour les juristes opérationnels.

On ne parle plus d’outils isolés, mais d’écosystèmes contractuels à insérer dans une architecture métier globale.

L’IA métier low-code : vers une autonomie maîtrisée :

Avec uControlAi, un véritable changement s’amorce : l’autonomie technologique des juristes devient enfin accessible, sans nécessité de compétences en développement informatique. Grâce à des cas d’usage personnalisés, une interconnexion fluide entre différentes briques d’IA et une approche modulaire, cette nouvelle génération d’outils inaugure l’ère du juriste-concepteur. Celui-ci est capable de traduire un besoin opérationnel en prototype fonctionnel.

Cela suppose cependant de disposer d’un cadre structuré, d’une méthode rigoureuse et de l’audace nécessaire pour expérimenter. Chez Your Legal Angel, nous aspirons à tester prochainement ces cas d’usage dédiés aux Directions Juridiques. Un projet prometteur qui devrait bientôt voir le jour.

Des solutions verticales, utiles :

Autre tendance notable : des LegalTech enracinées dans un métier ou un contexte réglementaire spécifique.
Clésame, pensée par des notaires, traite de la transmission patrimoniale avec une approche humaine. Ces expertes remarquables ont su concevoir une solution qui éclaire, digitalise et centralise des décisions souvent complexes,ou des choix non connus, rendant plus accessible la réflexion sur l’après.
WE CHOOZ, focalisée sur les élections professionnelles, combine conformité et simplicité pour les CSE.
SeedLegal, se positionne en allié stratégique des startups en levée de fonds, en alliant outils et accompagnement.

Testés en conditions réelles pendant les conférences, les assistants IA enregistrent, transcrivent et structurent les échanges en temps réel, même dans le brouhaha de VivaTech. Résultat : une prise de notes automatisée, fiable, et un esprit 100 % disponible pour l’analyse. Un vrai gain de temps pour les juristes en négo ou en réunion.

Souveraineté : moins de discours, plus d’infrastructures ?

La souveraineté technologique européenne se joue, concrètement, dans les alliances en construction et dans les choix d’infrastructure qui sont travaillés aujourd’hui. Le partenariat annoncé entre Mistral AI et Nvidia et le soutien affirmé de l’État français marque un tournant décisif. En investissant dans des centres de données de nouvelle génération, la France affirme une ambition claire : ne pas subir l’IA, mais la maîtriser. Emmanuel Macron l’a rappelé avec force : la souveraineté passe par la capacité à capter les talents, à influencer les normes et à s’appuyer sur des champions technologiques capables de rivaliser à l’échelle mondiale. Un signal fort pour les acteurs de l’écosystème juridique et technologique : rester spectateur n’est plus une option.

Un outil sans adoption est une illusion.

Les retours terrain sont sans appel :
– Le choix technologique n’est que la face visible. Le vrai enjeu, c’est l’intégration dans les usages.
– La formation, la conduite du changement, le cadrage : ce sont ces briques qui conditionnent l’impact réel.

Dit autrement : une LegalTech sans vision ni pilotage, c’est du code en vitrine.
Sur place, plusieurs fondateurs et commerciaux nous l’ont confirmé : ils sont en demande de retours utilisateurs pour faire évoluer leurs produits. Et beaucoup reconnaissent que les projets les plus fluides sont ceux accompagnés dès le départ, par un tiers capable de cadrer, challenger et traduire les besoins métier en feuille de route opérationnelle.

Notre conviction : le juriste de demain ne sera pas celui qui sait tout faire seul, mais celui qui sait orchestrer les bons experts, les bons outils au bon moment. À condition de se donner le droit d’expérimenter.

Par Quentin Ramaget – Legal Jedi. [3]

En tant que Legal Ops, je le répète souvent :
- La tech ne remplace pas les process. Elle en crée de nouveaux.
- La tech tend à solutionner les défis et en fait naître de nouveaux.

Et à VivaTech, j’en ai eu une nouvelle démonstration.

J’ai vu des démos brillantes, des cas d’usage percutants, mais aussi cette tension permanente : comment accompagner ces outils ? Comment éviter qu’ils créent plus de désordre que d’impact ? Et de nombreuses questions, presque existentielles, sur la place de l’humain et de l’intérêt commun dans ces évolutions technologiques.

• Une signature électronique :
Ce ne sont pas juste 3 clics sur une solution en ligne. C’est un nouveau workflow, une gestion de la vérification d’identité à l’ère digitale, des questionnements juridiques sur le niveau de signature requis.

• Un projet IA :
Ce n’est pas un délire soudain de quelques juristes un peu plus geek que les autres. C’est un projet nécessitant un sponsoring des opérationnels, un ROI défini. Sans cela, votre projet est condamné à finir dans le cimetière des POC.

• Un projet de transformation :
Ce n’est pas choisir une destination pour votre DJ comme vous réservez vos prochaines vacances sur Booking. C’est davantage un roadtrip autour du monde demandant un pilotage minutieux, une priorisation des objectifs et une gouvernance sans faille. Sinon, le voyage de rêve risque de finir en un chaos déguisé.

D’un process à l’autre...

Vos process manuels font vivre un véritable enfer à vos juristes. Ni une ni deux, vous vous mettez en quête d’une solution Legaltech pour mettre un terme à cette situation archaïque.
La solution est ciblée, sélectionnée et finalement déployée.

Youpi, vous jetez ou même brûlez vos manuels de procédures devenus obsolètes dans ce nouvel environnement digital. Mais après quelques semaines d’utilisation, c’est le drame. Ou plutôt, c’est à nouveau le chaos.

Pourquoi ? Car vous n’avez tout simplement pas mis en place de nouveau process adapté à ce nouvel environnement. Qui fait quoi, comment, dans quel ordre ? Autant de questions qui doivent être posées, documentées et dont les réponses doivent être partagées et diffusées.

Digitaliser votre environnement de travail, ce n’est pas ne plus avoir de méthodes, c’est en adopter de nouvelles. Et vous devez prévoir le temps et les ressources nécessaires à la mise en place de ces méthodes dans votre projet.

La transformation est un sport collectif et stratégique.

Si vous voulez gagner le match de la transformation, il va vous falloir 2 éléments essentiels :

• Une équipe soudée.

N’envisagez pas de gagner le match en vous la jouant solo. Même si vous avez de super idées de digitalisation, même si vous êtes un génie de l’IA, vous aurez besoin d’une équipe avec vous.

Et cette équipe, c’est l’ensemble des personnes concernées ou impactées par la transformation (en général, cela fait beaucoup plus de monde qu’on ne le pense). Des opérationnels à la DSI, en passant par la direction financière et même les ressources humaines (oui, pour les process d’onboarding des nouveaux salariés incluant leur accès et formation aux nouveaux outils).

Ne pas impliquer l’ensemble des parties prenantes, c’est accroître fortement le risque de non-adoption des nouveaux outils.

• Un plan de jeu

Au-delà de la seule “victoire” de la transformation, demandez-vous en quoi consistera cette réussite. Comment déterminez-vous le ROI, quels KPIs devez-vous intégrer ? Et à partir de là, quelle tactique allez-vous déployer pour y parvenir.

Qui seront les pilotes de la transformation ? Quelles seront les étapes clefs et les quick wins ? Quelles difficultés risquez-vous de rencontrer et comment bien les anticiper ? Autant de questions qui, si elles sont posées en amont, faciliteront le projet dans son ensemble.

Autant de questions aussi, qui peuvent vous convaincre de vous faire épauler par un Legal Ops dans votre projet. Loin d’être un coût additionnel, c’est surtout un regard extérieur, neutre et un architecte du changement.

En conclusion, cela signifie pour les directions juridiques :
- Osez documenter vos process.
- Cartographiez vos outils.
- Créez des rituels d’évaluation.

L’impact de la tech dépend moins de sa puissance que de votre capacité à l’intégrer intelligemment dans vos workflows.

L’intérêt commun vs. la productivité

Les différentes conférences vécues à Vivatech ont également fait ressortir une chose extrêmement importante selon moi : ne soyons pas aveuglés par la seule productivité.

La digitalisation, l’IA générative, tout semble pousser vers toujours plus de productivité, de rendement. Faire toujours plus, plus vite. Si cela est effectivement utile dans notre quotidien de juriste pour répondre à une charge de travail croissante, nous devons prendre le temps aussi de réfléchir à la façon dont ces avancées peuvent servir l’intérêt commun.

Ne pourrait-on pas être plus heureux avant de produire plus ? Ne pourrait-on pas mieux enseigner et transmettre avant de remplacer ou d’éliminer ?

Et si nous, juristes, participions à montrer l’exemple ! Et si nous, juristes, sortions à nouveau de notre zone de confort pour être force de proposition dans d’autres domaines et mettre à profit nos expériences de transformation au service de l’intérêt général…

Ce qu’on ramène (et ce qu’on laisse sur place...)

On repart avec :
● Des pépites concrètes à tester et intégrer dans nos accompagnements, notamment la solution uControlAi très prometteuse.
● Des convictions renforcées sur le rôle stratégique du juriste.
● L’envie de bâtir un droit agile, souverain et profondément humain.

On laisse sur place :
● Le bullshit technologique.
● Le syndrome du “on verra plus tard”.
● La peur de l’expérimentation.

Et maintenant ?
Ce que nous avons vu à VivaTech 2025, ce ne sont pas des signaux lointains. Ce sont des indicateurs d’action immédiate.
Alors, juristes, directions juridiques, professionnels du droit :
N’attendez pas que la transformation vienne à vous. Initiez-la. Structurez-la. Et entourez-vous.

Par Amel Rechid & Claire Caquant – Your Legal Angel,
Daria Viktorova
et Quentin Ramaget - Legal Jedi.

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

10 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 640 membres, 28415 articles, 127 331 messages sur les forums, 2 620 annonces d'emploi et stage... et 1 500 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• "Futurs du droit et du chiffre traversés par l'IA - Une voie européenne", un documentaire intéressant pour préparer plus sereinement l'avenir.

• 15e concours des Dessins de justice : "Les vacances des juristes" (appel à dessins).




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs