Tutelle, curatelle et trouble mental : annulation des actes juridiques. Par Efraim Richmond Schreiber, Etudiant.

Un sujet proposé par la Rédaction du Village de la Justice

Tutelle, curatelle et trouble mental : annulation des actes juridiques.

Par Efraim Richmond Schreiber, Etudiant.

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Explorer : # incapacité juridique # nullité des actes juridiques # protection juridique des majeurs # trouble mental

Ce que vous allez lire ici :

La tutelle et la curatelle sont des régimes de protection judiciaire pour majeurs vulnérables. La tutelle retire l’autonomie juridique, tandis que la curatelle offre une assistance pour les actes importants. Le trouble mental constitue une incapacité de fait permettant d’annuler des actes juridiques,levant des enjeux de preuve et de prescription.
Description rédigée par l'IA du Village

La Cour de cassation, dans une décision rendue le 15 janvier 2020, a eu l’occasion de rappeler que la régularité des actes accomplis par une personne placée sous curatelle ne suffisait pas à écarter l’éventualité d’une nullité fondée sur le trouble mental.

Autrement dit, même lorsqu’un majeur protégé agit conformément aux prescriptions légales liées à son régime de protection, ses actes peuvent encore être remis en cause s’il est démontré qu’au moment de leur conclusion, il souffrait d’un trouble mental affectant son discernement. La solution de la Haute juridiction reflète la difficulté d’appréciation entre, d’une part, les incapacités de droit prévues par la tutelle ou la curatelle, et, d’autre part, l’incapacité de fait tirée de l’article 414-1 du Code civil, qui impose d’être sain d’esprit pour contracter.

Ou comment protéger les majeurs vulnérables tout en garantissant la sécurité des actes juridiques ?

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La tutelle s’organise comme un régime de protection permanente. Le tuteur agit au nom et pour le compte du majeur protégé, qui ne peut contracter seul des actes juridiques importants et dont la capacité juridique est en grande partie affectée.

La curatelle repose sur une logique d’assistance. Le majeur conserve la capacité d’accomplir seul les actes juridiques de la vie courante (acheter une chocolatine dans une boulangerie par exemple), mais il doit être assisté de son curateur pour les actes graves pouvant engager son patrimoine (acquérir une voiture entre autres).

Ces deux mesures traduisent une incapacité de droit et sont mises en place par le juge des contentieux de la protection (JCP).

Le trouble mental, en d’autres termes l’insanité d’esprit, est une incapacité de fait. Elle n’apparaît qu’a posteriori, lorsque le juge du fond constate que l’altération mentale a empêché un consentement éclairé et libre de la part du majeur vulnérable concerné.

Ces trois fondements peuvent aboutir, bien que leur logique diffère, à la même conséquence : l’annulation d’un acte juridique.

La tutelle impose une incapacité générale, la curatelle établit une assistance, on peut le dire, partielle. Le trouble mental, quant à lui, repose sur une mise en balance circonstanciée du discernement.

La distinction qui est réalisée est alors décisive. La tutelle et la curatelle sont déterminées par une décision du juge judiciaire, tandis que l’insanité d’esprit repose sur la charge de la preuve imposée à ceux qui agissent en nullité d’un acte juridique, pour cette cause.

La tutelle, la curatelle et l’insanité d’esprit peuvent toutes conduire à la remise en cause d’actes conclus par un majeur vulnérable. Même si chacune répond à une logique propre.

La nature de la nullité qui affecte un acte juridique dépend alors de la mesure.

Sur la tutelle.

Mentionnée aux articles 425 et 440 et suivants du Code civil, la tutelle établit une incapacité de droit, qui prive d’effet les actes juridiques conclus sans représentation.

Muriel Fabre-Magnan [1] a pu souligner que la tutelle repose sur une logique de substitution, dans laquelle le tuteur prend totalement la place du majeur protégé, désormais privé de toute autonomie juridique quasiment. Quand Jean Carbonnier parlait lui de « mort civile partielle ». Les mots graves d’un des pères du droit de la famille reflètent la mesure de protection judiciaire évoquée dans cette partie.

Cette mesure décidée par le JCP s’adresse aux personnes dont les facultés mentales ou corporelles sont altérées, au point de les empêcher d’agir seules. Elle se distingue d’autres mesures par son caractère de représentation permanente. Le tuteur agit au nom et pour le compte du majeur protégé, qui se trouve alors dans l’impossibilité d’accomplir seul les actes juridiques les plus importants.

La mesure a pour effet de limiter drastiquement la capacité du majeur protégé placé sous tutelle. Les actes juridiques conclus sans l’intervention du tuteur et/ou sans l’autorisation du juge sont en principe frappés de nullité absolue. La nullité ici ne vise donc pas seulement à protéger le majeur protégé, mais aussi à préserver l’ordre public en sanctionnant toute atteinte au régime de protection de la tutelle.

On distingue néanmoins les actes conclus par le majeur protégé. Les actes de la vie courante, autrement dit les actes d’administration, peuvent parfois être accomplis par le majeur concerné si le juge l’a expressément autorisé. En revanche, les actes de disposition, qui engagent le patrimoine de manière plus conséquente, nécessitent systématiquement l’intervention du tuteur, voire même l’autorisation préalable du juge. Ce contrôle renforcé énonce l’idée que le majeur sous tutelle ne dispose plus que d’une autonomie limitée, organisée par le juge.

La prescription des actions en nullité liées à la tutelle obéit à un ordre bien spécifique.

Tant que la mesure est en cours, le délai de prescription de cinq ans ne court pas, car l’incapacité juridique du majeur protégé fait obstacle à l’exercice effectif de ses droits. Le délai commence seulement à courir à compter de la fin de la mesure ou de la réintégration du majeur dans une pleine capacité juridique. Cet ordre spécifique permet par conséquent que la stabilité des actes juridiques, une fois la mesure levée, soit rétablie par l’écoulement du temps.

La tutelle apparaît ainsi comme une incapacité organisée et durable.

Sur la curatelle.

Mentionnée également aux articles 440 et suivants du Code civil, la curatelle constitue une mesure intermédiaire entre la pleine capacité et la tutelle. Elle est décidée par le JCP et s’adresse aux majeurs qui, sans être totalement incapables, ont besoin d’être assistés de manière continue dans les actes importants de leur quotidien.

Contrairement à la tutelle, la curatelle ne retire pas en principe la capacité juridique au majeur protégé. Elle conditionne simplement l’efficacité de certains actes juridiques à l’assistance du curateur.

Le majeur protégé conserve une part de capacité juridique. Il peut réaliser seul les actes d’administration mais doit être assisté pour les actes de disposition. Cette mesure instaure un régime d’assistance destiné à prévenir les engagements préjudiciables, tout en maintenant donc une certaine capacité. Une donation ou une vente immobilière conclue sans l’assistance d’un curateur peut être annulée, comme le juge du droit l’a rappelé dans une décision du 24 septembre 2009, en prononçant la nullité d’une donation immobilière réalisée sans l’intervention du curateur. La curatelle peut être vue en effet comme une protection partagée, dans laquelle le majeur protégé agit, alors que son curateur intervient pour renforcer la validité de l’acte juridique.

La sanction des irrégularités varie selon la nature des actes. Certains actes conclus sans l’assistance du curateur sont frappés de nullité relative, car cela touche avant tout les intérêts personnels du majeur concerné. Cette nullité peut être couverte par confirmation ou prescription, et ne peut être invoquée que par le majeur protégé, son curateur ou ses héritiers. Dans d’autres cas, lorsque la méconnaissance de la mesure porte atteinte à l’ordre public, la nullité absolue peut être retenue.

L’action en nullité ne commence pas à se prescrire pendant le temps où le majeur protégé est encore placée sous curatelle, car il serait incohérent d’exiger de lui qu’il exerce seul une action en justice alors que sa capacité juridique est affectée. Le délai de cinq ans ne court qu’à partir de la fin de la mesure ou de la réintégration du majeur concerné dans une pleine capacité juridique.

La curatelle n’affecte pas totalement la capacité du majeur protégé, mais encadre son exercice en imposant une assistance. Pour reprendre le propos de Jean Carbonnier, mais cette fois-ci en l’adaptant à la curatelle, celle-ci viserait donc à éviter « la mort civile partielle » que peut représenter la tutelle [2].

Sur le trouble mental.

L’insanité d’esprit représente un fondement autonome du régime des nullités des actes juridiques, distinct des mesures de tutelle et de curatelle. Mentionné à l’article 414-1 du Code civil, le trouble mental permet de remettre en cause un acte juridique dès lors qu’un de ses auteurs n’était pas sain d’esprit au moment de sa conclusion.

Contrairement aux mesures de protection judiciaire, l’insanité d’esprit ne repose pas sur une décision préalable du juge, elle est constatée a posteriori par le juge du fond, sur la base d’éléments de preuve apportés par la partie qui agit en nullité.

Le trouble mental est une incapacité de fait, par opposition à l’incapacité de droit instaurée par la tutelle et la curatelle. L’acte peut donc être annulé même si l’auteur n’était soumis à aucune mesure de protection judiciaire, dès lors que l’on établit que son discernement faisait défaut. Par exemple, un contrat peut être annulé sur le seul fondement du trouble mental (27 juin 2018). L’incapacité n’est donc pas organisée à l’avance, mais révélée par des circonstances postérieures, ce qui la rend à la fois plus souple et plus incertaine.

La charge de la preuve joue ici un rôle central. Le même article 414-1 imposant à celui qui demande l’annulation de l’acte juridique de démontrer l’insanité d’esprit. Le juge du droit est parfaitement clair à ce sujet. La Cour de cassation impose un faisceau de preuves suffisant pour caractériser le trouble mental (6 novembre 2013).

À défaut, elle refuse systématiquement d’aller dans le sens du demandeur initial.

La prescription obéit ici à un régime particulier. L’article 414-2 du Code civil prévoit un délai de cinq ans pour agir en nullité, qui court à compter du jour de la conclusion de l’acte juridique. Cette règle se justifie par la nécessité d’assurer la stabilité de la sécurité juridique. Le juge du droit a confirmé cette approche dans une décision du 13 novembre 2016, en jugeant que l’action intentée après l’expiration de ce délai de cinq ans était irrecevable, même si le trouble mental était établi. Contrairement aux mesures de protection judiciaire que sont la tutelle et la curatelle, ce délai ne se trouve pas suspendu par la vulnérabilité du majeur concerné. L’insanité d’esprit apparaît donc comme une nullité sévèrement encadrée dans le temps.

Le législateur a toutefois ouvert une action pour héritiers. L’article 414-2, à nouveau, leur permet de contester un acte après le décès du majeur, à condition que celui-ci ait déjà engagé l’action de son vivant, ou que l’acte juridique porte en lui-même la preuve d’un trouble mental manifeste. La jurisprudence a validé cette faculté, tout en exigeant des preuves particulièrement solides (27 juin 2018). L’objectif étant d’éviter que la mort d’un des auteurs de l’acte concerné ne devienne une occasion systématique de remise en cause des conventions passées.

L’insanité d’esprit est par conséquent un instrument de protection plus souple, mais qui reste étroitement lié par la charge de la preuve et par la prescription.

Sur le cumul des fondements de nullité.

Le cumul des fondements de nullité se pose lorsque l’acte juridique d’un majeur vulnérable peut être contesté à la fois pour défaut de représentation ou d’assistance, et pour trouble mental. Cette hypothèse n’est pas rare. Par exemple, un majeur sous tutelle ou sous curatelle, souffrant également d’un trouble mental au moment de la conclusion d’un acte juridique. Le juge est alors confronté à la question de savoir si ces fondements peuvent être invoqués simultanément, ou si l’un doit primer sur l’autre.

La jurisprudence admet que les deux causes de nullité coexistent. Ainsi, le juge du droit a pu rappeler que la régularité formelle d’un acte conclu par une personne sous curatelle, même assistée de son curateur, n’excluait pas la possibilité de l’annuler pour insanité d’esprit (15 janvier 2020). La protection ne se limite alors pas aux règles procédurales de la tutelle ou de la curatelle. Le consentement du majeur concerné doit encore être éclairé et réel. La nullité pour trouble mental peut donc jouer un rôle complémentaire, même lorsque les règles de représentation ou d’assistance ont été respectées.

Cependant, la jurisprudence n’applique pas systématiquement le cumul. Elle peut estimer qu’il est inutile de retenir la nullité pour insanité d’esprit dès lors que l’absence de représentation ou d’assistance suffit à annuler l’acte juridique. C’est ce qu’elle a jugé dans une décision du 6 novembre 2013, en rejetant une action fondée sur l’insanité d’esprit, parce que la nullité pouvait déjà être prononcée en raison de la méconnaissance des règles de curatelle.

Néanmoins, le cumul peut s’avérer utile. Le juge du droit l’a reconnu dans une décision du 27 mars 2019 en annulant une vente sur le double fondement de l’absence d’assistance et de l’insanité d’esprit. En retenant les deux causes, il a voulu renforcer la protection du majeur concerné tout en adoptant la sanction aux circonstances concrètes de l’espèce.

La tutelle et la curatelle sont des mesures de protection judiciaire organisées a priori, tandis que le trouble mental corrige a posteriori le défaut de discernement.

François Terré [3] a souligné à ce sujet le risque d’insécurité juridique que crée le mélange des genres, en soulignant qu’un tiers contractant pourrait voir l’acte juridique annulé pour des raisons qu’il ne pouvait anticiper. L’idée d’un cumul utile, qui permet aux juges d’utiliser les deux fondements de manière complémentaire, est par contre défendue par Jean Hauser [4].

Efraim Richmond Schreiber,
Étudiant en L3 (droit), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

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Notes de l'article:

[1Muriel Fabre-Magnan, Introduction au droit, Que Sais-je ?.

[2Jean Carbonnier, Droit Civil. Tome 1, Les Personnes, Personnalité, Incapacités, Personnes Morales, Thémis.

[3François Terré, Droit civil. Les personnes, Personnalité - Incapacité - Protection, Précis de Dalloz.

[4Jean Hauser, Droit de la famille.

"Ce que vous allez lire ici". La présentation de cet article et seulement celle-ci a été générée automatiquement par l'intelligence artificielle du Village de la Justice. Elle n'engage pas l'auteur et n'a vocation qu'à présenter les grandes lignes de l'article pour une meilleure appréhension de l'article par les lecteurs. Elle ne dispense pas d'une lecture complète.

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Discussion en cours :

  • par Ana , Le 16 novembre à 00:15

    Cet article est vraiment éclairant et aborde des aspects essentiels de l’essai juridique. J’ai particulièrement apprécié la manière dont vous avez analysé les actes juridiques exposés dans différents contextes ce qui offre une perspective nouvelle et enrichissante sur le sujet. Vos arguments sont bien étayés et incitent à la réflexion. Merci pour ce partage ! J’ai hâte de lire vos prochaines publications.

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