D’une part, le droit positif en la matière a subit des évolutions importantes notamment avec la réforme du droit des contrats.
D’autre part, la jurisprudence récente mais également plus ancienne a toujours fait une application stricte du droit civil mais en tenant compte des faits de l’espèce, prenant dès lors en considération des éléments factuels permettant d’assouplir la règle strictement posée.
C’est dans ce contexte, que la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 16 mai 2018, précisant que « même en cas de faute de sa part, la victime d’une inexécution contractuelle peut en demander réparation lorsque son comportement fautif n’est pas la cause exclusive du préjudice ».
A la lecture de cet attendu, trois mots retiennent immédiatement l’attention :
« peut » : la cour précise ici qu’il ne s’agit que d’une possibilité, appréciée au cas par cas, et donc en aucun cas un automatisme ;
« cause exclusive » : la cour, une fois de plus, précise que chaque cas est différent, et que pour apprécier une demande de réparation même en cas de faute de la victime, les juges du fond doivent s’assurer que cette faute ne soit pas à l’origine exclusive de son préjudice.
Nous allons voir, que la haute cour fait application d’une jurisprudence déjà établi, notamment par la chambre commerciale, et qu’en s’attachant à prendre en considération (de manière inévitable) les faits de l’espèce, elle semble reprendre des propositions énoncées dans l’avant-projet de réforme du droit des contrats (projet Terré), propositions non reprises in fine.
En l’espèce, un vendeur de produits surgelés avait confié l’entretien de sa chambre froide à une société de maintenance. A la suite du déclenchement de l’alarme de la chambre froide, la société était intervenue dans les locaux de son client. Quatre jours plus tard, ce dernier s’aperçu que la température était de -1,5 °C au lieu de -16 °C engendrant une perte sèche de marchandise. C’est alors que le vendeur décida de poursuivre en justice la société de maintenance pour obtenir la réparation de son préjudice.
En appel, sa demande fut rejetée, les juges considérant que le vendeur de surgelés n’avait vérifié la température de sa chambre froide que quatre jours après l’intervention de la société de maintenance, ceci constituant une faute, dans la mesure où son comportement avait ainsi empêché toute intervention en temps utile pour éviter le dommage.
Le 25 mai 2018, la Cour de cassation est venue censurer cette décision au motif que « la société de maintenance ayant quitté les lieux à la suite de son intervention sans s’assurer de la reprise de la production du froid, le comportement du propriétaire de la chambre froide n’était donc pas la cause exclusive du préjudice ; il pouvait, par suite, en être indemnisé ».
La première chambre civile fait une application étendue de l’ancien article 1147 du code civil, devenu 1231-1. Elle fait également une application d’une jurisprudence constante de la chambre commerciale, puisqu’à plusieurs reprises, cette dernière a été amenée à préciser que le débiteur n’est exonéré de toute responsabilité que si la faute de la victime est la cause exclusive du dommage [1].
Dans un premier temps, il faut donc souligner que les chambres de la cour de cassation tendent à s’aligner sur le sujet, renforçant ainsi la position de la haute cour.
Dans un second temps, il faut noter, comme souligné supra, qu’il ait fait une application modifiée de l’article 1231-1 du code civil, qui ne prévoit que le cas de force majeure comme tempérament possible à la responsabilité du débiteur.
Ceci est intéressant, car le positionnement des juges, qui incitent les juridictions de première instance à prendre en considération de manière très stricte les faits de l’espèce, rejoint certaines propositions qui avaient été faites dans l’avant-projet de réforme du droit des contrats (Projet Terré), mais non reprises.
En effet, l’avant-projet consacrait tout un chapitre aux causes d’exonération ou d’exclusion de la responsabilité contractuelle, comportant par certains aspects des avancées pratiques notables pour la protection des victimes tout en apportant des modifications conceptuelles importantes. L’article 1254 de l’avant-projet envisageait notamment que « le manquement de la victime à ses obligations contractuelles, sa faute ou celle d’une personne dont elle doit répondre sont partiellement exonératoires lorsqu’ils ont contribué à la réalisation du dommage (…) ».
Nous retrouvons ici la notion de « faute de la victime » et la notion de « lien direct entre la faute et le dommage ». Ceci rejoignant le positionnement de la cour de cassation. Dans le domaine de la responsabilité civile, cela semblait cohérent, dans la mesure où mettre en exergue l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité direct est le fondement même en matière délictuelle. Dès lors, pourquoi ne pas l’étendre à la matière contractuelle pour ainsi permettre d’appréhender les actions pour réparation du préjudice subit, de manière plus subtile et concrète ?
Il est sans doute regrettable que la réforme définitive n’ait pas retenu ce principe, laissant dès lors la jurisprudence prendre le relais, au risque de créer des situations inégales dans l’appréciation des faits et l’application du « précédent » jurisprudentiel.