Les raisons d’un tel délai sont multiples.
Il convient bien entendu et en premier lieu de tenir compte des mois voire des années qui séparent la signature de l’avant contrat de la livraison de l’immeuble. En effet, et sauf à ce que les difficultés de l’investisseur trouvent leur cause dans un problème lié à la construction elle-même (défaillance du constructeur, retards, etc.) ce n’est le plus souvent que postérieurement à la livraison qu’apparaissent les déconvenues (vacance locative, rentabilité locative significativement inférieure à celle annoncée, etc.).
Même s’il y a bien entendu autant de réactions différentes que d’investisseurs, les avocats qui ont l’habitude de traiter ce type de dossiers savent aussi que très fréquemment chez leurs clients et, à une plus ou moins longue phase de prise de conscience du caractère définitivement "vicié" de leur investissement, succède une tout aussi longue phase d’abattement.
Humainement, on comprendra aisément la posture de l’investisseur qui, s’étant engagé sur un prêt d’une ou plusieurs centaines de milliers d’euros, s’obstine, nonobstant la persistance des difficultés rencontrées, à vouloir croire que lesdites difficultés ne sont que "conjoncturelles" ou contextuelles.
C’est dans cet état d’esprit que les investisseurs feront ainsi souvent de la gestion locative la cause de tous leurs maux.
En réalité, et s’il existe en effet de nombreux piètres gestionnaires, il est nécessaire de rappeler qu’à l’impossible nul n’est tenu.
Le meilleur des professionnels de l’immobilier lui-même aura le plus grand mal à louer un bien qui ne correspond pas à la demande du marché local ou un bien qui est proposé pour un montant de loyer déconnecté de la réalité de marché.
Humainement encore, on comprendra aisément que lorsque l’investisseur parvient enfin à se convaincre que définitivement sa situation ne s’améliorera pas, le premier de ses réflexes ne soit pas de courir chez son avocat mais qu’à rebours, il garde pour lui, silencieusement, la honte (il s’agit fréquemment du terme employé) de s’être, par une décision inopportune, embarqué dans des années de difficultés financières.
Humainement, tout cela est compréhensible. Mais en droit ?
En droit tout d’abord, il convient de rappeler que depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, tant les actions en nullité qu’en responsabilité sont soumises à une prescription quinquennale (5 ans).
Soit de prime abord, et compte tenu de ce qui a été exposé, un délai relativement bref et partant peut être insuffisant.
Si le délai de prescription peut en effet paraître en soi insuffisant, les règles relatives au point de départ de ce délai sont ainsi faites que, mêmes plusieurs années après avoir signé l’acte authentique de vente, l’investisseur pourra généralement encore agir en justice et tenter ainsi de faire valoir ses droits.
S’il souhaite obtenir la nullité de la vente pour dol, lui seront alors applicables les dispositions de l’article 1144 du Code civil qui dispose que : "Le délai de l’action en nullité ne court, en cas d’erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts et, en cas de violence, que du jour où elle a cessé".
Ou, pour les ventes conclues antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, celles de l’article 1304 al. 1 et 2 du Code civil qui dispose que : "Dans tous les cas où l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d’erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts".
Des dispositions précitées, il résulte qu’hier comme aujourd’hui (i.e. avant ou après l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 précitée), le point départ de la prescription de l’action en nullité pour dol est la date de découverte du dol et non celle de la conclusion du contrat.
Pour une illustration de ce principe : "Vu les articles 1116 et 1304 du code civil, ensemble l’article 4 du code de procédure civil ; Attendu que la prescription quinquennale de l’action en nullité pour dol a pour point de départ le jour où le contractant a découvert l’erreur qu’il allègue" (Cass., 3ème civ., 11 septembre 2013, n°12-20816, publié au Bulletin).
Ou encore : "Le point de départ de l’action en nullité pour dol en application des dispositions de l’article 1304 du code civil, est la date à laquelle l’acquéreur a découvert l’existence de ce vice du consentement.
Ce n’est qu’après la livraison du bien litigieux le 7 mars 2009 en raison de la signature du premier bail d’habitation à un prix inférieur à ce qui leur avait été indiqué puis une période de vacance locative et enfin une nouvelle baisse de ce loyer qu’ils se sont rendus compte que la rentabilité locative n’était pas du tout la rentabilité annoncée.
Les acquéreurs ont découvert les difficultés de rentabilité locative de l’appartement après la livraison et au cours de l’année 2009. Le jugement sera confirmé en ce qu’il jugé l’action en nullité pour dol non prescrite" (Cour d’appel d’Angers, Chambre A – Civile, RG 16/01821).
Ainsi, et sauf hypothèses particulières et au cas d’une opération de défiscalisation immobilière (structurée le plus souvent sous la forme d’une vente en l’état futur d’achèvement), la découverte du dol sera généralement postérieure à la livraison du bien. Comme déjà indiqué, ce n’est en effet le plus souvent que postérieurement à la livraison qu’apparaissent les premières difficultés.
En matière de responsabilité civile, les dispositions applicables au point de départ du délai de prescription sont celles de l’article 2224 du Code civil qui dispose que : "les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer".
Sur le fondement de ces dispositions, il est constant que le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité est la date de réalisation du dommage ou la date à laquelle la victime a eu connaissance de ce dommage.
Dans le cadre du contentieux lié aux opérations de défiscalisation immobilière, l’essentiel des actions en responsabilité est fondé sur des manquements à l’obligation d’information et au devoir de conseil et vise à obtenir la réparation d’un préjudice spécifique qu’est la perte de chance de ne pas contracter et donc d’éviter l’investissement litigieux.
Dans un arrêt assez récent qui concernait un contrat de prêt, la Cour de cassation a eu l’occasion de juger que : "(…) le dommage résultant d’un manquement à l’obligation de mise en garde et de conseil consistant en la perte de la chance de ne pas contracter ou d’éviter le risque qui s’est réalisé se manifeste dès l’octroi du crédit, à moins que l’emprunteur ne démontre, qu’il pouvait, à cette date, légitimement ignorer ce dommage" (Cass., com., 17 mai 2017, n°15-21260).
Appliquée au contentieux des opérations de défiscalisation immobilière, cette solution signifie que le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité fondée sur la perte de chance commence à courir à compter de la date de signature de l’acte authentique de vente sauf, pour l’investisseur à démontrer qu’il pouvait, à cette date légitiment ignorer son dommage.
En pratique, l’investisseur pourra aisément justifier du fait qu’il n’a été en mesure de se convaincre de l’existence de son préjudice que postérieurement à la livraison.
A titre de conclusion sur ces propos relatifs à la prescription, on ne peut manquer d’évoquer le fait qu’en sus des actions nullité fondée sur le dol, il est fréquemment invoqué dans le contentieux de la défiscalisation immobilière d’autres causes de nullité que nous qualifierons, pour les besoins des présentes, de "nullités formelles".
On citera par exemple l’action en nullité du contrat préliminaire de réservation pour violation des dispositions du Code de la consommation relatives au démarchage.
Une telle action, qui si elle aboutit peut affecter la validité de l’acte authentique, se prescrit par cinq années à compter de la date de signature du contrat préliminaire.
Ainsi, et même si le droit permet le plus souvent d’échapper à la prescription, il est en pratique et bien évidemment toujours recommandé d’agir au plus tôt.