Violences intrafamiliales : un arsenal juridique renforcé face aux défis de l’effectivité.

Par Stéphanie Piccoli, Juriste.

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Explorer : # violences conjugales # protection des victimes # droit pénal # procédure civile

Depuis plusieurs années, et plus particulièrement à partir de 2019, le droit français a connu une évolution significative en matière de lutte contre les violences intrafamiliales. Le législateur a cherché à répondre à la complexité de ces situations, en intégrant non seulement les violences physiques, mais aussi la dimension psychologique de l’emprise. Dans ce contexte, plusieurs dispositifs ont été créés ou renforcés, notamment l’ordonnance de protection, le bracelet anti-rapprochement (BAR), et le téléphone grave danger (TGD).
Néanmoins, la mise en œuvre de ces outils se heurte encore à des obstacles structurels et procéduraux.

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I. L’évolution du cadre juridique : vers une meilleure prise en compte de la complexité des violences.

A. Une répression aggravée des violences conjugales.

La reconnaissance par le Code pénal des violences au sein du couple comme circonstance aggravante constitue l’un des pivots de cette évolution. Les articles 222-13, 132-80 et 222-33-2-1 permettent un alourdissement des peines encourues lorsque les violences sont commises par un conjoint, un partenaire lié par un PACS ou un concubin.

Par cette reconnaissance, le droit pénal s’attache non seulement à sanctionner la matérialité des actes violents, mais aussi à prendre en compte le contexte relationnel, en tant que facteur aggravant.

B. La consécration juridique de l’emprise.

La loi n°2020-936 du 30 juillet 2020 constitue une avancée majeure en introduisant la notion d’emprise dans l’analyse des faits de harcèlement moral.

Elle est désormais intégrée à l’instruction judiciaire, notamment à travers l’article 222-33-2-1 du Code pénal, permettant de mieux appréhender la dynamique de domination psychologique.

Cette évolution doctrinale, appuyée par la littérature scientifique (notamment Amado, 2023 ; Trachman & Amado, 2024), reflète une compréhension plus fine du cycle des violences et de leur impact sur la capacité d’agir des victimes.

II. Des outils de protection renforcés mais sous tension.

A. L’ordonnance de protection : une procédure civile d’urgence.

L’ordonnance de protection, régie par les articles 515-9 à 515-13 du Code civil, permet au juge aux affaires familiales de prononcer des mesures d’éloignement dans un délai de six jours. Cette rapidité vise à répondre à l’urgence, sans attendre une décision pénale.

Cependant, dans une pratique quotidienne, la saturation des juridictions et l’hétérogénéité de l’appréciation des dossiers posent des problèmes d’effectivité. La jurisprudence démontre des disparités, certaines juridictions hésitant à ordonner des mesures sans preuves matérielles fortes, malgré un faisceau d’indices de harcèlement ou d’emprise [1].

B. Le bracelet anti-rapprochement : un outil dissuasif en construction.

Instauré par la loi du 28 décembre 2019, le BAR repose sur une technologie de géolocalisation visant à prévenir les approches physiques de l’auteur présumé à l’égard de la victime. Il est prévu par l’article 138 du Code de procédure pénale dans le cadre du contrôle judiciaire.

Si son principe est unanimement salué, sa mise en œuvre reste perfectible, en raison de limites logistiques (disponibilité, couverture nationale) et de résistances à l’égard de son usage anticipé (avant condamnation définitive).

Un rapport de recherche sur "le bracelet anti-rapprochement : état des lieux d’une mesure attendue" a dressé un état des lieux nuancé de ce dispositif dans cette étude publiée en 2024 [2].

C. Le téléphone grave danger : une réponse immédiate sous conditions.

Prévu par l’article 41-3-1 CPP, le TGD est un dispositif temporaire remis aux victimes identifiées comme étant en danger grave et imminent. Il permet un contact prioritaire avec les forces de l’ordre.

Toutefois, il repose sur une sélection stricte des bénéficiaires, laissant parfois de côté des situations objectivement risquées, mais difficiles à démontrer à ce stade.

III. Une effectivité en tension : les limites d’un droit protecteur.

Malgré une volonté politique forte, l’écart entre la norme et sa mise en œuvre soulève trois problématiques majeures :
- 1. Le délai de six jours pour les ordonnances est souvent dépassé, faute de moyens judiciaires suffisants.
- 2. La preuve de l’emprise reste un défi majeur. Les magistrats manquent encore d’outils et de formation pour reconnaître les mécanismes d’emprise dans les dossiers, ce qui nuit à une qualification correcte des faits.
- 3. La coordination entre procédures civiles et pénales est trop souvent lacunaire, générant des décisions contradictoires, voire des vides de protection.

Le droit français a franchi une étape décisive en intégrant des outils innovants dans la lutte contre les violences intrafamiliales, allant au-delà de la simple répression.

Néanmoins, l’efficacité de ces dispositifs dépend fortement de leur articulation et de la culture juridique des acteurs chargés de les mettre en œuvre.

C’est précisément sur ce terrain, celui de l’effectivité, de la formation des praticiens, et de la coopération interjuridictionnelle, que se jouera la crédibilité du droit dans sa mission de protection des victimes.

Stéphanie Piccoli, Juriste.

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Notes de l'article:

[1CA Paris, 12 mai 2022.

[2Rapport accessible ici.

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