Qui sont les ancêtres des comités d’entreprise ?
L’histoire nous le démontre, l’inventivité en matière de représentation sociale a souvent précédé de grandes lois. Ces dernières ont pris le relais pour édifier des réglementations de plus en plus précises. Les comités d’entreprise sont le produit d’une longue histoire au croisement des intentions de contrôle ouvrier et des politiques d’intégration des travailleurs.
Les comités sociaux d’entreprise ou l’avènement des comités patates !
Le premier ancêtre, fut officiellement créé par la Charte du travail du 4 octobre 1941, sous l’appellation des comités sociaux d’entreprise. Cette instance était destinée à réaliser au 1er degré la collaboration sociale et professionnelle entre la direction et le personnel.
Le comité social disposait alors d’un triple rôle : « aider la direction à résoudre toutes les questions relatives au travail et à la vie du personnel dans l’établissement » ; « provoquer un échange d’informations mutuel sur toutes les questions intéressant la vie sociale du personnel et des familles » ; « réaliser les mesures d’entraide sociale ». Notons, que ce comité était exclu de toute immixtion « dans la conduite et la gestion » de l’entreprise.
Institution mineure à laquelle on donne plus de devoirs que de droits, et qui ne bénéficie même pas de la personnalité juridique, le comité social sera davantage connu pour son utilité sociale. Il n’est pas indifférent à cet égard de constater que la mémoire populaire en a conservé le souvenir sous la dénomination de « comités patates », sobriquet qui illustra l’essor du ravitaillement alimentaire et des mesures d’entraide dans les domaines des coopérations (groupement d’achat inter-entreprises, jardins ouvriers, aides diverses dans le logement, les garderies ou les crèches, les colonies de vacances…) et de la santé (commission de secours mutuel ou d’assurance maladie, service médical d’entreprise…).
L’importance des œuvres sociales dans la vie quotidienne des salariés à cette époque surplombe encore aujourd’hui, le consumérisme des activités sociales et culturelles qui ne répond plus aux codes de la solidarité !
Les comités de gestion éclipsent les comités sociaux
Dès le mois de septembre 1944, divers comités spontanés avaient remplacé presque partout les Comités sociaux de la Charte du travail. Ces comités spontanés étaient de trois types : les comités patriotiques d’entreprises, les comités à la production et les comités de gestion. Ces derniers ont été créés, en particulier dans l’Allier. Ils comprenaient un représentant de l’Union des ingénieurs et techniciens français et un délégué de la CGT, qui désignaient un gérant responsable de la direction de l’entreprise.
Le programme du Conseil National de la Résistance, adopté le 15 mars 1944, prône, en particulier, « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie […] et la participation des travailleurs à la direction de l’économie ». Pour autant, le gouvernement du général de Gaulle, qui venait de s’installer à Paris, craignait un glissement vers la dépossession des chefs d’entreprise. Il publia le 29 septembre 1944 un communiqué indiquant notamment « qu’aucune autorité ni aucun organisme n’a qualité pour modifier, en dehors des prescriptions de la loi, les fondements du régime des entreprises ». Visant les groupements syndicats et les comités d’usines qui inquiétaient les milieux patronaux, ce fut la fin programmée de cette organisation qui ne trouva guère sa place.
Le franchissement du Rubicon pour aller d’un pouvoir consultatif à un pouvoir de codécision inspiré du modèle allemand demeure aujourd’hui comme hier irréaliste.
S’agissant du modèle allemand de codécision il faut rappeler que le conseil d’entreprise allemand et le comité d’entreprise français ne sont pas de même nature et qu’une transposition pure et simple n’aurait guère de sens. De surcroît les organisations syndicales de salariés souhaitent pour la plupart d’entre elles maintenir la dichotomie entre sections syndicales d’entreprise en charge éventuellement de la négociation et comités d’entreprise investis d’un pouvoir consultatif.
Les comités d’entreprise nés de la fibre syndicale ?
L’ordonnance du 22 février 1945 marque ainsi un recul considérable par rapport aux préconisations de l’Assemblée Consultative qui le 13 décembre 1944, déposait un avis offrant d’améliorer substantiellement les prérogatives des C.E. Aussi, dès le 24 février 1945, le bureau de la CGT déclara : « La CGT fera les plus grands efforts pour que soit modifié un texte insuffisant. Elle demandera en même temps aux membres des comités d’entreprise et aux syndicats de travailler à l’élargissement des pouvoirs et des moyens d’investigation de ces organismes » [1]. Il faudra en outre attende la loi du 16 mai 1946 pour que ce texte fonde véritablement les comités d’entreprise français.
Parallèlement, on dénombrera des récits importants dans les années cinquante qui soutiennent que les comités d’entreprise seraient utilisés comme un instrument de l’action syndicale. Cette théorie disposant que le comité d’entreprise ne doit pas être considéré comme un organisme indépendant, mais comme un rouage du mouvement syndical, a longtemps créé l’amalgame entre ces instances dont les compétences et les missions sont radicalement différentes. Encore aujourd’hui, au sein des grandes entreprises françaises, les syndicats ravissent l’ensemble des sièges au premier tour des élections afin de s’assurer de la pleine coopération du comité d’entreprise au profit de la lutte syndicale.
Les salariés sont perdus dans cette mixité de représentation au point de penser qu’il n’y a guère de différence entre ces instances du personnel. Malgré eux, les comités d’entreprise deviennent peu à peu un instrument de propagande de mots d’ordre politiques.
Cette ambivalence permanente prendra techniquement fin à l’aulne des années soixante-dix (période qui fut déterminante de la paupérisation des classes populaires) lorsque la confédération de la CGT, leader du mouvement à l’époque, s’opposa à la direction prise par cette instance. Ainsi, le comité s’inscrivit de nouveau dans sa propre genèse à savoir ; « le C.E est un organe de représentation de l’entreprise ou de l’établissement tout entier, présidé par le chef d’entreprise ou d’établissement, divisé en collèges élus par les différentes catégories de salariés et composé, depuis 1947, selon une représentation proportionnelle qui peut inclure des non syndiqués ».
L’impulsion des Lois Auroux, propulse les prérogatives du C.E
Les lois Auroux avaient pour objectif de renforcer la protection des salariés et de leurs représentants. La première loi, celle du 4 août 1982 (n° 82-689) sur les libertés dans l’entreprise instaure un droit d’expression des salariés (articles L2281-1 et suivants du code du travail) sur leurs conditions de travail tout en encadrant le pouvoir disciplinaire de l’employeur (règlement intérieur et interdiction de la discrimination).
La loi n° 82-915 du 28 octobre 1982 sur les instances représentatives du personnel étend le rôle économique du comité d’entreprise avec un suivi par le C.E de la marche économique de l’entreprise. Elle vise à assurer « une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail et aux techniques de production ». Cette prérogative importante s’inscrivit rapidement dans le code du travail ; elle fut traduite depuis 2008 date de sa dernière recodification aux articles L2323-1, L2323-6 et L2323-27 pour les matières générales.
La nouvelle loi étendit en son temps la liste des questions sur lesquelles le comité doit être consulté, modifications de l’organisation économique ou juridique de l’entreprise, projet d’introduction de nouvelles technologies notamment. Ces nouvelles attributions économiques offraient incontestablement des possibilités importantes pour une intervention constructive et efficace des travailleurs dans le domaine de la gestion en intronisant davantage la notion de consultation renforcée en 1982 et qui a récemment été modifiée par la loi relative à la sécurisation de l’emploi [2].
La consultation doit donner lieu à un échange de points de vue. L’employeur doit présenter au C.E les informations transmises et fournir des réponses motivées aux questions élues. Le code du travail lui impose bien de rendre compte des suites données aux avis et vœux du CE de manière motivée, c’est-à-dire en expliquant les raisons de sa décision finale [3].
Le C.E ne peut pas s’opposer aux décisions de l’employeur, mais juridiquement il ne faut surtout pas croire que les consultations ne servent à rien.
Depuis la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, la manière dont le C.E reçoit de la direction les informations sociales et économiques sur l’entreprise a changé. Le code du travail impose effectivement à l’employeur de mettre en place une base de « données économiques et sociales » (BDES) reprenant le contenu des rapports et informations transmis de manière récurrente au comité d’entreprise. Les informations portent sur 8 thèmes. En fonction de l’effectif de l’entreprise, les obligations diffèrent. Le décret distingue ainsi les entreprises de moins de 300 salariés [4] de celles de 300 salariés et plus [5].
Mais, en tout état de cause, quel que soit l’effectif de l’entreprise, la BDES doit comporter une présentation de la situation de l’entreprise, notamment le chiffre d’affaires, la valeur ajoutée, le résultat d’exploitation et le résultat net [6]. Les informations de la BDES portent sur les 2 années précédentes et l’année en cours. Elles intègrent aussi des perspectives sur les 3 années suivantes [7]. Le décret précise que ces informations sont présentées sous forme de données chiffrées ou à défaut, pour les années suivantes, sous forme de grandes tendances. Dans ce dernier cas, l’employeur indique les informations qui, eu égard à leur nature ou aux circonstances, ne peuvent pas faire l’objet de données chiffrées ou de grandes tendances, pour les raisons qu’il précise [8]. La base de données économiques et sociales doit être mise en place [9] : à compter du 14 juin 2014 pour les entreprises de 300 salariés et plus ; à compter du 14 juin 2015 pour les entreprises de moins de 300 salariés.
Les C.E du 21ème siècle, une manne financière convoitée
On dénombre en France près de 40 000 comités d’entreprise avec l’accès à 12 millions de salariés. Ces clients atypiques représentent un formidable marché à explorer de plus de 10 milliards d’euros par an (ces chiffres ne tiennent pas compte des ventes directes aux salariés dans les locaux de l’entreprise, pour lesquelles le C.E joue un rôle de facilitateur). Ce marché a explosé depuis une vingtaine d’années. D’ailleurs, les C.E sont de plus en plus sollicités : les prestataires en loisirs, tourisme mais aussi en produits de consommation s’adressent à eux pour leur pouvoir d’achat direct et leur qualité de prescripteurs auprès des salariés.
Le comité d’entreprise ne doit pourtant pas se résumer comme étant l’institution des « bons plans » au sein de l’entreprise et du pouvoir d’achat des salariés.
En 50 ans, les comités d’entreprise ont acquis non seulement leur légitimité juridique au sein de l’entreprise et auprès des salariés, mais aussi une force financière considérable, qui dépasse de très loin les activités traditionnelles comme l’arbre de Noël.
Les pourvoyeurs de bons d’achat, de chèques cadeaux, de chèques vacances, de chèques multiculturels ne s’y trompent pas. L’Agence Nationale des Chèques Vacances (ANCV) pèse aujourd’hui près de 1,4 milliards d’euros reporté sur 20 000 comités d’entreprise ; 1 C.E sur 2 commande ces coupures à l’occasion des congés payés (6,2% de croissance pour le Chèque-Vacances en 2012).
Le marché pléthorique des chèques cadeaux et des bons d’achat couvrent l’essentiel des offres en matière d’activités sociales des comités d’entreprise. Parmi les acteurs du marché, nous pouvons citer les plus emblématiques comme Cadhoc, Tir Groupé (Sodexo), Kadéos (Fnac), Best, Kyrielles et le Groupe Chèque Déjeuner (promoteurs du Chèque Lire®, du Chèque Disque®, du Chèque Culture® et de la Carte Scènes & Sorties®).
La financiarisation des comités d’entreprise fonctionne à pleins poumons depuis les années 2000, les élus prétextant un manque de temps et une recherche d’égalité de traitement des salariés.
Intervient souvent dans les propos des élus, la notion de pouvoir d’achat. Le comité d’entreprise se veut un réel complément financier des bas salaires comme pour faire oublier l’essentiel de son activité fédératrice. Les salariés reconnaissent davantage le comité pour son attrait capitalistique individuel, comble pour une instance sociale qui se réclamait autrefois de la philanthropie et de l’intérêt général.
Les comités d’entreprise se sont laissés apprivoisés par les initiatives d’entreprises proposant par le biais d’un abonnement, un accès à des remises, réductions et à des services de conciergerie d’entreprise. Les C.E séduits par le concept, investissent des millions d’euros chaque année pour proposer à leurs salariés, des portails de réductions en tous genres auprès de prestataires comme Kalidea CE, Meyclub, AtooCE, REFLEXE CE, Butterfly, Cezam, Aceos CE Motivation, NOVELLIO, CE Pour Tous…, le tout financé presque exclusivement par le budget de fonctionnement qui pèse pour 0.2% de la masse salariale annuelle brute de l’entreprise. Pourtant, ce budget réservé aux besoins exclusifs et internes du comité ne peut servir sans contrevenir à la loi et aux règles d’usages à financer même indirectement une activité sociale.
Paradoxe de l’histoire, tandis que les lois tendent à renforcer l’assise économique et sociale des comités d’entreprise, ces derniers se détournent de leurs principales vocations nourries par près de 70 ans de rebondissements.
Amateurs dans l’âme, les élus de ces instances ne recherchent pas pour la plupart à se professionnaliser afin de devenir une instance incontournable tant pour les entreprises que pour les salariés qui y travaillent. Pionniers des grandes réformes sociales, les comités d’entreprise sont devenus l’ombre d’eux-mêmes entachés pour les affaires les plus connues, par des faits de délinquance et de fraudes. Les employeurs n’ont pas de réels interlocuteurs et s’interrogent sur le coût d’une telle instance par rapport au gain que les acteurs de l’entreprise en retirent.
Bref, que reste-t-il des comités d’entreprise en 2014 ?