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Problème de français avec la Cour...

MessagePosté: Mer 06 Juil 2011 10:58
de Camille
Bonjour,
Là, j'avoue que je sèche…

Cour de cassation chambre sociale
Audience publique du mercredi 29 juin 2011
N° de pourvoi: 10-11525 Publié au bulletin Rejet


Je résume ce qui me chagrine :

Mais attendu que les dispositions de l'article R.1234-2 du code du travail, selon lesquelles l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté, s'appliquent à tous les salariés y compris les employés de maison, la liste des textes mentionnés à l'article L. 7221-2 du même code n'étant pas limitative ;

que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;


Or l'article L.7221-2 dit exactement :
Article L7221-2

Sont seules applicables au salarié défini à l'article L. 7221-1 les dispositions relatives :

1° Au harcèlement moral, prévues aux articles L. 1152-1 et suivants, au harcèlement sexuel, prévues aux articles L. 1153-1 et suivants ainsi qu'à l'exercice en justice par les organisations syndicales des actions qui naissent du harcèlement en application de l'article L. 1154-2 ;

2° A la journée du 1er mai, prévues par les articles L. 3133-4 à L. 3133-6 ;

3° Aux congés payés, prévues aux articles L. 3141-1 à L. 3141-31, sous réserve d'adaptation par décret en Conseil d'Etat ;

4° Aux congés pour événements familiaux, prévues par les articles L. 3142-1 et suivants ;

5° A la surveillance médicale des gardiens d'immeubles, prévues à l'article L. 7214-1.


Donc, si je comprends bien, quand on écrit :
"Sont seules applicables (à M. Tartempion) les dispositions relatives :
1° A ceci…
2° A cela…
3° A patati…
4° A patata…
5° A trucmuchemachin…
"
Ce n'est pas une liste de textes limitative, ça ?
Et que, si les dispositions listées – et qui font bien référence à des articles du même code - sont les seules applicables à M. Tartempion, on peut néanmoins lui en appliquer d'autres ?
Alors, à quoi sert cet article ?

P.S. : ma question ne porte pas sur le fond réel de l'affaire.

Re: Problème de français avec la Cour...

MessagePosté: Mer 06 Juil 2011 16:07
de VincentB
Bonjour,

J'ai lu, j'ai relu, et j'ai conclu. D'un strict point de vue juridique, j'arrive à la même conclusion que vous : cette liste ne peut être considérée que comme étant limitative.

Franchement, cela me paraît doublement sidérant :
- de la part des juges de la cour de cass, qui tout de même jugent en droit - donc on va dire que là, ils ont des notions, hein - le contresens est assez hénaurme !
- mais sur le fond, la législation prive une catégorie de salariés d'une quantité impressionnante de droits...

J'ai donc été sur Légifrance, et là, surprise ! En 2008, cet article a été modifié et dans la version antérieure, le mot "seules" était absent !

Deux possibilités :
- arrêt rendu certes en 2011, mais concernant une affaire à laquelle sont applicables les textes antérieurs à la réforme de 2008 : en ce cas tout va bien ;
- arrêt rendu en violation caractérisée du texte... par une volonté des juges de protéger des salariés qui, autrement, se retrouvent depuis 2008 dépourvus de droits importants.

Dans ce second cas je suis doublement mal à l'aise : d'abord parce que la cour juge alors en équité et on a tous appris en première année ce que cela veut dire ; en suite parce que cette loi, si elle est appliquée comme elle devrait l'être, est pour les personnels d'entretien un recul social assez gratiné : je n'ose imaginer qu'il s'agit d'une coquille de rédaction lors de la rédaction de la Loi de 2008 :ange: .

En tout état de cause, vous soulevez indéniablement un loup.

Re: Problème de français avec la Cour...

MessagePosté: Mer 06 Juil 2011 19:20
de Camille
Bonsoir,
VincentB a écrit :J'ai donc été sur Légifrance, et là, surprise ! En 2008, cet article a été modifié et dans la version antérieure, le mot "seules" était absent !

Deux possibilités :
- arrêt rendu certes en 2011, mais concernant une affaire à laquelle sont applicables les textes antérieurs à la réforme de 2008 : en ce cas tout va bien ;

Oui, je l'avais vu, mais vous pensez bien que j'ai évité d'en parler… :roll:
C'est vrai que l'utilisation explicite de l'adjectif "seules" m'arrangeait bien. Cela dit, la nounou a cessé ses fonctions en 2009. Donc, pas de problème, c'est bien le texte avec "seules" qui devrait s'appliquer.

Mais, maintenant, dites voir, même sans l'adjectif "seules", à quoi pourrait bien servir ce texte, s'il ne servait qu'à rappeler que, dans une "SEPTIÈME PARTIE" qui traite expressément de "DISPOSITIONS PARTICULIÈRES À CERTAINES PROFESSIONS ET ACTIVITÉS", les employés de maisons sont visés par certaines dispositions bien précises, comme le sont toutes les autres professions, si c'est pour ensuite en déduire qu'ils sont visés par toutes les dispositions de ce même code, comme tout le monde ???
Donc, même sans l'adjectif "seules", pour moi la liste est bel et bien limitative/exhaustive.
L'ancienne mouture du L772-2 ne change, en fait, pas le sens de cet article.
Ou alors, dans ce cas-là, autant supprimer carrément cet article, s'il ne sert rigoureusement à rien, et dire que les employés de maison sont au même régime que les autres. Et du coup, il n'y aurait même pas besoin de le dire, il suffirait de supprimer, purement et simplement, le titre II. Ouh, ben voilà qui allègerait un peu un code déjà bien pléthorique ! Deux articles d'un coup !
8)

VincentB a écrit :- mais sur le fond, la législation prive une catégorie de salariés d'une quantité impressionnante de droits...

par une volonté des juges de protéger des salariés qui, autrement, se retrouvent depuis 2008 dépourvus de droits importants.

Dans ce second cas je suis doublement mal à l'aise : d'abord parce que la cour juge alors en équité et on a tous appris en première année ce que cela veut dire ; en suite parce que cette loi, si elle est appliquée comme elle devrait l'être, est pour les personnels d'entretien un recul social assez gratiné : je n'ose imaginer qu'il s'agit d'une coquille de rédaction lors de la rédaction de la Loi de 2008 :ange: .

D'abord, vous oubliez qu'il existe par ailleurs une "convention collective nationale des salariés du particulier employeur " qui a toute latitude de pallier les manques, Ceci explique cela.

Ensuite, vous ne devez pas oublier que la catégorie des "employés de maison", sous-entendus "salariés employés par des particuliers" recouvre - a toujours recouvert - des situations extrêmement différentes, surtout maintenant que se développent les "services à la personne".

A titre d'exemples, il y a :
1°) Monsieur et Madame, par ailleurs salariés eux-mêmes d'une entreprise, qui emploient une femme de ménage deux ou trois heures par semaine, un jardinier quatre heures tous les quinze jours ou tous les mois, une baby-sitter tous les samedis de 19h à 23h30 pour aller faire la bamboche, et qu'en plus, ils paient par CESU, dont on vous explique en long, en large et en travers qu'il simplifie tout, alors que, même dans ces cas-là, il faudra les licencier dans les règles. C'est même probablement ce qui s'est passé dans le cas de cet arrêt. Allez sur le site du CESU et trouvez-moi, dans les premières pages qui vantent les avantages du CESU, la moindre allusion au "léger" problème de la fin de contrat. Vous ne trouverez les renseignements que si vous les cherchez vraiment et pas forcément là où vous les attendiez. Pour celui qui ne fouille pas le site de fond en comble et qui se lance dans l'opération CESU, le piège machiavélique se referme, la future victime allume le pétard à mèche lente, mèche qui se consumera entièrement le jour ou Monsieur dira "Bon, mademoiselle, la tata d'Alfred-François-Marie étant maintenant à la retraite, c'est elle qui dorénavant va s'en occuper le samedi soir, donc nous n'avons plus besoin de vos services"… ;
2°) Ceux qui sont "attachés" en permanence au service d'une maison, ce qu'on appelle des "gens de maison", plus ou moins 24h/24 et à demeure, mais qui sont généralement "nourris, logés, blanchis", comme on disait dans le temps. Que ce soit parce que les patrons sont riches comme Crésus ou parce que la maison abrite une personne lourdement handicapée qui ne peut pas subvenir seule à ses besoins de nuit comme de jour ;
3°) Accessoirement, les fils de dictateurs arabes qui se retrouvent au poste de police du côté de Genève pour coups et blessures sur la personne de leurs employés dans un palace du bord du lac (tiens, encore une histoire de suite Royale… euh… Présidentielle dans un hôtel de luxe…) et dont le père, toujours dictateur actuellement mais en cours de déchéance, en guise de représailles, réclame le démantèlement de la Confédération. Bon, vous me direz, on sort ici du cadre strict de la compétence de la Cour de cassation…

Toutes situations extrêmement diverses, pour lesquelles il parait assez difficile d'appliquer le code du travail tel qu'il est conçu, parce que - justement - il n'est pas bien conçu pour ce genre de situations.

VincentB a écrit :En tout état de cause, vous soulevez indéniablement un loup.

Vous voulez dire que j'ai ferré un gros poisson ?
l-o

Re: Problème de français avec la Cour...

MessagePosté: Jeu 07 Juil 2011 10:21
de fs_nao
Bonjour,

En effet il est difficile d'avoir une autre lecture que celle que vous avez Camille. L'article L7221-2 laisse peu de place aux doutes quant au caractère limitatif de la liste de textes.

Cette situation ne me surprend cependant qu'à moitié venant de la chambre sociale. J'ai déjà rencontré un cas similaire où cette même cour ajoutait ou retirait aux dispositions légales aux fins de favoriser le salarié. Je ne me souviens pas du texte en question mais la situation m'a marqué car lorsque j'ai fait la remarque à la chargée de travaux dirigée voilà quelle a été sa réponse : "ah oui donc vous c'est le code et uniquement le code".... :roll:

Re: Problème de français avec la Cour...

MessagePosté: Jeu 07 Juil 2011 11:52
de Camille
Bonjour,
Oui, mais dans votre cas, ça peut se comprendre en matière de droit du travail puisqu'on sait que les conventions collectives nationales peuvent déroger ou plutôt étendre le champ d'application d'un article du code du travail.
Donc si la Cour avait dit que ce texte n'était pas incompatible avec l'application d'un texte de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur, voire avec l'application d'un texte l'accord interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail, texte en l'occurrence contradictoire "par omission" avec le L7221-2 , ce qui était l'argument de la cour d'appel, ça pouvait se discuter et ce n'était pas l'objet de ma question (mais il y en aurait d'autres !).
Mais ici, la Cour dit qu'un texte, dont la rédaction même est manifestement limitative, ne l'est pas.
Sans aucune référence à d'autres textes que le R 1234-2 de ce même code.
C'est là où mon bât blesse (à propos de loup et de poisson)...
B-l l-o :winkL: