Re: Le rapport Darrois: Vos Réactions !
Posté: Mar 19 Oct 2010 19:06
Léonine a écrit :Cher Mr Thom,
Concernant le juteux marché du "In House" et de la pratique du détachement d'avocat en entreprise via la signature de conventions tripartites (que je connais, mais qui reste encore relativement marginale), sachez que ce système constitue justement la brêche principale par laquelle les grands cabinets espèrent récupérer des postes de juristes d'entreprise à leur profit :
En effet pour développer cette pratique à plus grande échelle il faudrait réunir les conditions suivantes :
[...]
- Faire en sorte que les avocats détachés en entreprise puissent justifier aux yeux des entreprises, d'un avantage concurrentiel indiscutable par rapport à leurs juristes internes en place (ou toute nouvelle embauche en CDD), sachant que ces derniers disposent, de plus en plus, des profils susvisés (en tout cas les plus jeunes qui ont fait l'objet d'une sélection drastique) : c'est là que l'instauration du statut d'avocat en entreprise bénéficiant du "legal privilege" devient crucial : en effet pour le moment les cabinets susvisés savent pertinemment que la pratique du détachement est bancale sur le plan de la confidentialité.
Par ailleurs la pratique est tout aussi limite sur le plan du droit social (risque de requalification en contrat de travail, prêt de main d'œuvre etc...), ce qui explique que les détachements sont à l'heure actuelle très limités dans le temps. Le statut d'avocat en entreprise pourrait remédier à ce pb en instaurant une présomption légale d'autonomie et d'indépendance vis à vis de l'employeur.
Enfin la cerise sur le gâteau serait de réserver à ces avocats, contrairement aux juristes internes, la possibilité de signer des "actes d'avocats".
...Sans oublier, bien sûr, que l'autorisation préalable de l'employeur au bénéficice du statut d'avocat en entreprise (cf position du MEDEF) ne serait pas un obstacle pour les avocats détachés... contrairement aux juristes internes susceptibles d'accéder à la passerelle.
Bonjour Léonine,
Je pense qu'on peut effectivement discuter posément, d'autant plus que je n'ai aucune envie d'apparaître comme un défenseur du rapprt Darrois (qui pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses).
Permettez-moi juste de revenir sur le statut de l'avocat en entreprise. Je comprends que ce statut puisse introduire une concurrence déloyale entre les juristes d'entreprise et les futurs avocats en entreprise, surtout dans les domaines sensibles où l'entreprise peut avoir intérêt à ce que sa direction juridique soit soumise au secret professionnel (droit fiscal et droit de la concurrence notamment). Le risque serait de voir les juristes d'entreprise évincés, de fait, de ces matières. Pour le reste, le risque est minime. Le statut d'avocat en entreprise a été pensé comme un statut optionnel pour l'employeur, qui amène d'ailleurs son lot de contraintes (soumission de l'avocat en entreprise à l'autorité du bâtonnier et à la déontologie de l'avocat). Dans ces conditions, un chef d'entreprise aurait de toute façon intérêt à conserver des juristes non avocats pour les autres matières telles que le droit des sociétés, le droit des contrats, le droit du travail et la PI. Ca ne résout pas votre problème, je le sais bien, mais ça le circonscrit.
Pour en revenir à votre dernier message, je continue à penser que la concurrence qui pourrait naître entre les avocats en entreprise et les juristes d'entreprise n'implique pas du tout les cabinets d'avocats. Car ces derniers ne pourront tirer aucun profit du statut d'avocat en entreprise. L'avocat en entreprise a été conçu par la commission Darrois comme un salarié (certes un peu spécial) de l'entreprise. Il est titulaire d'un contrat de travail qui le place dans une relation bilatérale avec l'entreprise, et aucun cabinet d'avocat ne peut être partie à ce contrat de travail. En conséquence, un avocat détaché par son cabinet au sein d'une entreprise ne pourra jamais prendre le statut d'avocat en entreprise : il restera lié au cabinet par son contrat de collaboration et ne concluera aucun contrat de travail avec l'entreprise.
Pour cette raison, même si la réforme passe un jour, les cabinets d'avocats continueront à employer les mêmes conventions tripartites "avocat-cabinet-entreprise" qu'aujoud'hui (à ne pas confondre avec le contrat de travail bipartite du futur avocat en entreprise), ce qui signifie à mon sens que le détachement d'avocat restera marginal (on parle de 400 détachements par an, tout au plus). Tout d'abord, il faut rappeler que le terme détachement est un peu galvaudé. En réalité, l'avocat "détaché" n'est pas un juriste d'entreprise en interim. C'est un avocat ordinaire, auquel le cabinet a confié un dossier spécifique concernant une entreprise cliente, et c'est la nature de ce dossier qui va expliquer que l'avocat soit contraint de travailler dans les locaux de l'entreprise. Ce qui signifie plusieurs choses : 1/ l'avocat conserve son statut de collaborateur du cabinet, 2/ il n'est pas soumis au pouvoir hiérarchique du chef d'entreprise ni à l'organisation interne de l'entreprise, 3/il n'effectue au profit de l'entreprise que les prestations prévues dans la convention tripartite, 4/ il reste incrit au barreau et continue à développer sa clientèle personnelle (on parle bien de la sienne, pas de celle du cabinet), 5/ son cabinet laisse son bureau à sa disposition, afin notamment qu'il reçoive sa clientèle, 6/ il reste entièrement soumis à la déontologie et au secret professionnel de l'avocat, 7/ l'entreprise n'est ni son employeur, ni son client, mais reste le client du cabinet.
En règle général, les "détachement" sont de courte durée. D'une part parce qu'ils correspondent à une mission précise et n'ont pas pour but de pourvoir un poste (cela serait d'ailleurs impossible à cause du statut de l'avocat), et d'autre part parce qu'ils sont facturés assez cher à l'entreprise. Voilà pourquoi je persiste à penser que les cabinets d'affaires ne devraient pas être votre cible dans le cadre de ce projet de réforme.
Pour le reste, croyez bien que je comprends votre vigilance.
PS: juste pour être complet, notez que le détachement peut découler d'un simple avenant au contrat de collaboration et ne donne pas nécessairement lieu à un contrat tripartite entre l'avocat, le cabinet et l'entreprise cliente.