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Salariés, obtenez votre prime d’objectif en 2019. Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : vendredi 5 avril 2019
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L’analyse des premières décisions rendues en 2019 en matière de rémunération variable confirme la vigilance des Juges protecteurs des droits du salarié. [1] Cinq décisions illustrent cette jurisprudence protectrice.

1. L’inopposabilité aux salariés de toute modification de leur bonus sans leur accord exprès.

Dans cette première décision, une salariée responsable de groupe demande la condamnation de son employeur à régulariser une partie de ses commissions reprises par l’employeur qui s’appuyait sur un barème de calcul joint en annexe au contrat de travail.

L’employeur contestait l’arrêt d’appel qui l’avait condamné à régulariser les commissions de la salariée alors que, selon l’employeur, ce barème de rémunération variable était joint en annexe au contrat de travail signé par le salarié.

La Cour de Cassation ne suit pas cette argumentation et confirme l’arrêt d’appel en indiquant : « Que la clause du contrat de travail relative à la partie variable du salaire ne prévoyait aucun mécanisme de reprise des commissions versées et que le renvoi à une annexe ne concernait que les barèmes de calcul des commissions, la cour d’appel, qui a constaté qu’il n’était pas établi que cette annexe, incluant la règle dite des débits, avait été portée à la connaissance du salarié et acceptée par ce dernier lors de la conclusion du contrat de travail, en a exactement déduit que l’annexe lui était inopposable » (Cass. Soc. 6 mars 2019 n°17-21727).

Un mois plus tôt, la Cour de Cassation avait cassé l’arrêt d’appel qui avait débouté un attaché commercial réclamant le paiement d’un rappel de commission et congés payés y afférents compte tenu de l’absence de règlement d’une prime de 5% sur bénéfice.

La Cour d’Appel relevait que si le contrat de travail du salarié prévoyait bien cette prime de 5% du bénéfice, le salarié n’avait pas contesté les commissions qui lui avaient été versées sans en tenir compte, ni le courrier envoyé par son collègue du travail au Directeur avec son accord ne mentionnant pas cette commission de 5% du bénéfice comme étant en vigueur.

La Cour d’Appel en concluait à tort que le salarié avait ainsi « accepté » ces conditions de rémunération variable.

La Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel aux motifs : « Qu’en statuant ainsi, sans caractériser l’accord exprès du salarié à cette modification de sa rémunération, la cour d’appel a violé les textes susvisés (ancien article 1134 du Code civil devenu 1104 du code civil "Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public." » (Cass. Soc. 6 février 2019 n°17-28744).

2. Les Juges requalifient une prime dite « bénévole et exceptionnelle » en rémunération variable obligatoire.

Lors d’un précédent article, il a été relevé cette frontière ténue en droit du travail entre la prime dite « exceptionnelle » et la « rémunération variable obligatoire ». [2]

Dans cette décision, la Cour d’Appel de Versailles démontre que les Juges ne s’arrêtent pas à la qualification donnée par les parties (ici l’employeur qui a qualifié la prime d’exceptionnelle dans le contrat) mais vont plus loin en analysant et en interprétant les clauses qui leur sont soumises.

Un Chef de service juridique après avoir pris acte de la rupture de son contrat de travail réclamait un rappel de prime "bénévole et exceptionnelle" pour l’année 2015. Son employeur s’y opposait aux motifs que la prime avait selon lui un « caractère aléatoire et que son versement ne constituait ni un droit acquis ni un usage ».

La Cour d’Appel de Versailles constate que la lettre d’engagement stipule : « par ailleurs, à cette rémunération fixe s’ajoute une partie variable sous forme de gratification bénévole et exceptionnelle qui tient compte de la qualité de votre collaboration et des résultats du groupe ».

La Cour relève que si cette prime est bien qualifiée de « bénévole exceptionnelle », la lettre d’engagement précise néanmoins "qu’elle s’ajoute à la rémunération fixe" et en concluent « qu’il s’agit d’un élément contractuel et obligatoire de la rémunération du salarié ».

Pour en apprécier le montant, les Juges constatent que cette prime a été « versée chaque année, ce qui confirme ce caractère obligatoire », et en chiffrent le montant « en fonction des prévisions contractuelles et des éléments de la cause » puisque l’employeur n’avait pas fixé les objectifs à atteindre. (Cour d’Appel de Versailles 21ème chambre, 20 décembre 2018 n°17/00976.)

3. L’objectif fixé par l’employeur doit être indépendant de la volonté de l’employeur.

A l’occasion d’une procédure en résiliation judiciaire, la Cour de Cassation rappelle l’interdiction des conditions potestatives c’est-à-dire des objectifs fixés par l’employeur dépendant de sa volonté et qui font ainsi porter le risque d’entreprise sur le salarié.

« Appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui ait été soumis… la Cour d’Appel a retenu que le PRV 2014/2015 entraînait une modification de la part variable de la rémunération du salarié, en fonction de critères nouveaux qui ne reposaient pas sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur et que ce dernier avait mis en place puis maintenu ce dispositif en dépit du refus exprès du salarié. Ayant fait ressortir que ce manquement était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail, elle a pu en déduire qu’il justifiait la résiliation judiciaire de celui-ci ». [3].

4. Il appartient à l’employeur (et non pas au salarié) de prouver que le salarié a atteint ses objectifs.

Pour s’opposer à la demande de rappel de rémunération variable d’un salarié Directeur fiscal, l’employeur indiquait que le salarié ne prouvait pas que les objectifs fixés avaient été atteints et s’appuyait sur les dispositions anciennes de l’article 1315 du Code civil pour considérer qu’il appartiendrait au créancier de prouver l’existence de sa dette et donc au salarié de prouver qu’il aurait atteint ses objectifs. [4]

Or, de jurisprudence constante, les Juges savent bien que c’est le plus souvent l’employeur qui détient les éléments permettant au salarié de prouver qu’il a atteint ses objectifs et considèrent donc de manière pragmatique que la charge de la preuve de l’atteinte des objectifs incombe à l’employeur.

Sans surprise, la Cour de Cassation approuve donc la Cour d’Appel d’avoir condamné l’employeur à ce rappel de prime variable aux motifs que : « Lorsque le calcul de la rémunération dépend d’éléments détenus par l’employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d’une discussion contradictoire ; Et attendu qu’ayant constaté que le salarié sollicitait un rappel de rémunération variable soumis à la réalisation d’objectifs pour l’année 2013 et que l’employeur ne démontrait pas qu’à la date de la rupture du contrat de travail, le salarié n’avait pas atteint les objectifs lui ouvrant droit au paiement de la part variable de la rémunération, la Cour a légalement justifié sa décision ». (Cass. Soc. 13 février 2019 n°17-21514).

La rémunération du salarié reste très encadrée par les Juges avec pour ligne directrice la bonne foi contractuelle qui doit régner entre les parties contractantes.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com

[3Cass. Soc.6 février 2019 n°17-26562

[4Ancien article 1315 devenu 1353 du code civil : Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.