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Salariés, sachez contester la modification de votre contrat de travail en 2019. Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : vendredi 11 octobre 2019
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Si l’employeur dispose d’un pouvoir de direction lui permettant de faire évoluer les conditions d’exécution du contrat de travail du salarié, c’est à la condition de respecter la loyauté contractuelle et de ne pas modifier une clause essentielle du contrat de travail du salarié sans son accord exprès tels un changement de fonction, de rémunération ou de lieu de travail [1].

En 2019 la règle demeure constante : le silence du salarié ne vaut pas accord de sa part :

« (…) l’acceptation de la modification du contrat de travail par le salarié ne se présume pas et ne peut résulter de la seule poursuite par ce dernier de l’exécution du contrat de travail dans ses nouvelles conditions » (Cass. soc. 26 juin 2019 n°17-20723).

En 2019 les décisions rendues concernent 1) la rémunération, 2) le lieu de travail et 3) les fonctions du salarié.

1) La modification de la rémunération du salarié exige son accord exprès.

A - L’accord exprès du salarié s’étend à tous les documents contractuels. (Cassation Sociale 6 mars 2019 n° 17-23615)

Un délégué commercial conteste la reprise d’une partie de ses commissions dont il obtient le paiement devant la Cour d’Appel.

Son employeur saisit la Cour de Cassation arguant que ce système de reprise était mentionné dans les barèmes de rémunération variables visés par les contrats de travail signés par les délégués commerciaux.

Peine perdue, la cour de cassation confirme l’arrêt d’appel qui a constaté que :

« La clause du contrat de travail relative à la partie variable du salaire ne prévoyait aucun mécanisme de reprise des commissions versées et que le renvoi à une annexe ne concernait que les barèmes de calculs des commissions….qu’il n’était pas établi que cette annexe incluant la règle dite des débits avait été portée à la connaissance du salarié et acceptée par ce dernier lors de la conclusions du contrat de travail… l’annexe lui était inopposable ».

En d’autres termes, le salarié n’avait pas expressément signé l’annexe établissant le barème des commissions, alors même que le contrat de travail ne visait pas explicitement cette reprise de la partie variable.

L’employeur ne pouvait donc pas reprendre les commissions du salarié, le système de reprise de sa rémunération était inopposable au salarié.

B - L’accord exprès du salarié doit reposer sur une modification légale. (Cassation Sociale 6 février 20129 n° 17-26562)

Un ingénieur commercial conteste en justice son nouveau plan de rémunération des ventes et obtient gain de cause en appel.

L’employeur forme un pourvoi en cassation estimant qu’il était en droit de modifier les objectifs du salarié dans le cadre de son pouvoir unilatéral de fixation des objectifs du salarié.

Oui mais… à la condition que les objectifs reposent sur des conditions acceptables (réalisables, non potestatives etc…). Tel n’était pas le cas puisque l’objectif fixé dépendait de la volonté de l’employeur -il était potestatif [2] - ce plan « entraînait une modification de la part variable de la rémunération du salarié en fonction de critères nouveaux qui ne reposaient pas sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur et que ce dernier avait mis en place puis maintenu ce dispositif en dépit du refus expresse du salarié ».

Et peu importe le silence du salarié durant 12 ans, son accord à la modification de sa rémunération doit être exprès. (Cassation Sociale 6 février 2019 n° 17-28744)

Un Attaché commercial conteste le montant de ses commissions après les avoir perçues durant 12 années. Son employeur rappelle au juge qu’il n’a pas protesté durant 12 années et qu’un collègue avait fait mention de son accord dans un document adressé au Directeur.

L’employeur en concluait que l’ensemble établissait l’accord du salarié à voir modifier ses conditions de rémunérations variables.

Ni la durée particulièrement longue du silence du salarié ni la preuve indirecte d’un accord de sa part mentionnée par un collègue salarié ne caractérisent l’accord exprès du salarié à toute modification de sa rémunération.

Sans surprise, les Juges suprêmes cassent l’arrêt d’appel :

« qu’en statuant ainsi, sans caractériser l’accord expresse du salarié à cette modification de sa rémunération, la Cour d’Appel a violé les textes susvisés » (à savoir la bonne foi contractuelle [3]).

2) Sauf clause de mobilité, la modification du lieu de travail au-delà du même secteur géographique exige l’accord exprès du salarié (Cassation sociale 20 février 2019 n°17-24094).

La modification du lieu du travail du salarié dans un secteur géographique différent constitue une modification unilatérale du contrat qui ne lui est pas opposable, sauf s’il a accepté expressément une clause de mobilité.

Que signifie cette notion de secteur géographique ?

Les juges la définisse au cas par cas (pas de modification du lieu de travail si le nouveau lieu de travail est à 25 kilomètres de distance du précédent avec une liaison par route expresse Cass. soc. 27 septembre 2006 / modification du lieu de travail si le nouveau lieu de travail est à 75 kilomètre de distance Cass. soc. 4 mai 1999).

Escomptant sans doute sur l’ancienneté de ces décisions, l’employeur d’un comptable lui avait notifié une modification de son lieu de travail en considérant qu’il s’agissait d’un simple changement de ses conditions de travail relevant de son pouvoir de direction puisque, selon lui, le lieu de travail restait dans le même secteur géographique.

La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel :

« le nouveau lieu de travail était distant de 80 kms du lieu précédent et n’appartenait pas au même bassin d’emploi… il ne situait pas dans le même secteur géographique ».

Retenons donc que 80 kms est en 2019 une distante suffisante pour modifier le lieu de travail du salarié et requérir son accord exprès, ainsi que la notion complémentaire de bassin d’emploi équivalente à une zone d’emploi où un ensemble d’habitant habite et travaille.

3. La modification des fonctions du salarié : le silence d’un cadre dirigeant durant deux ans ne vaut pas accord de sa part au retrait de ses fonctions de DRH (20 février 2019 n°17-27652)

Comment en matière d’heures supplémentaires, les fonctions dirigeantes ne font pas obstacle à l’application du principe selon lequel le silence du salarié ne faut pas acceptation (En savoir plus sur la façon d’obtenir le paiement de vos heures supplémentaires ).

Une DRH d’une importante mutuelle est privée de ses fonctions durant deux ans. Contestant son licenciement elle est déboutée de ses demandes en appel. Elle forme utilement un pourvoi devant la cour qui reconnait que :

"l’arrêt retient qu’après le refus de la salariée de signer l’avenant au contrat de travail… le contrat de travail s’est poursuivie dans ces conditions préalables sans que… la salariée ne conteste le retrait de ses fonctions de DRH intervenu deux ans auparavant, le seul souhait qu’elle exprimait alors étant de conserver sa rémunération et ses avantages acquis, alors qu’elle avait personnellement corrigé le nouvel organigramme… en qualité de DRH, qu’elle ne saurait donc se prévaloir de cet argument pour prétendre à une modification imposée de ces conditions de travail ;
qu’en statuant comme elle l’a fait, par des motifs impropres à caractériser l’accord exprès de la salariée au retrait de ses fonctions de DRH, la cour d’appel a violé le texte susvisé
".

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com