Village de la Justice www.village-justice.com

La résidence alternée, controverses et perspectives. Par Vincent Ricouleau, Avocat.
Parution : mercredi 29 juillet 2015
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/residence-alternee-controverses,20166.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

La résidence alternée suscite une polémique constante. L’instaurer en principe comme certaines réformes le prévoient, mobilise nombre de spécialistes.
Quels sont les critères de sa mise en place ?
Quelques rappels sont utiles pour se repérer, en rappelant que l’intérêt de l’enfant reste au centre du débat.

Un divorce ou une séparation ne signifie pas une rupture de la parentalité. Celle-ci se traduit notamment par l’exercice d’une autorité parentale conjointe, mais aussi par différentes organisations du droit de visite et d’hébergement classique, élargi ou par une résidence alternée, prévue à l’article 373-2-9 du code civil.

Au sein d’une même fratrie, la pratique montre que chaque enfant peut bénéficier d’une organisation différente. Mais le principe est de ne pas séparer la fratrie.

La résidence alternée génère une polémique très vive, l’article 373-2-9 du code civil ne mentionnant aucun âge de l’enfant.

La résidence alternée concernerait selon le ministère de la Justice 17 % des enfants.

La résidence alternée est-elle adaptée pour tous les enfants ? Doit-on adopter la résidence alternée pour un bébé, ou un très jeune enfant ? Le débat fait rage.

1. Une résidence alternée pour les bébés et les très jeunes enfants ?

Le professeur Maurice Berger, pédo psychiatre, nous précise que le processus d’attachement se développe entre la naissance et l’âge de trois ans.

La question est de savoir s’il y a deux figures d’attachement, celle de la mère et celle du père ou exclusivement celle de la mère.

Le professeur Maurice Berger dit que la priorité d’un enfant en bas âge est de bénéficier d’un lien principal avec une personne stable. Cette figure d’attachement sécurisante doit être unique.

Une stabilité des lieux, c’est-à-dire un seul domicile, s’impose, même sans conflit entre les parents séparés.

Le père et la mère proposeraient des relations de nature complémentaire. Mais ces relations ne seraient pas interchangeables, notamment pour les bébés et les très jeunes enfants.

Maurice Berger pense qu’il y a une confusion entre l’égalité de droit au niveau de l’autorité parentale et de l’égalité du rôle au niveau du développement précoce de l’enfant.

La maman allaitant ou non, reste la figure d’attachement d’un bébé ou d’un très jeune enfant. Ce principe biologique a évidemment des conséquences sur les droits des pères.

Quelles références a-t-on pour tenter d’organiser la vie du très jeune enfant, sans exclure le père et céder aux polémiques ?

Le calendrier de Brazelton.

Ce calendrier à adapter est indicatif et peut ne pas correspondre au contexte de vie de l’enfant. Mais il a le mérite d’orienter.

Jusqu’à l’âge de six mois, l’enfant peut voir le second parent deux à trois fois par semaine pendant deux à trois heures, sans dormir chez lui.

De six mois à un an, il peut le voir trois fois par semaine pendant trois heures.

De un à trois ans, en plus des trois demi-journées par semaine, l’enfant peut dormir chez l’autre parent une fois par semaine.

De trois à six ans, l’enfant peut passer un week-end sur deux chez l’autre parent (deux jours et deux nuits) et le voir une fois dans la semaine qui suit de manière à ce qu’il le rencontre toutes les semaines.

En règle générale, les juges des affaires familiales, et les spécialistes sont très réservés sur la résidence alternée pour les enfants de moins de cinq ans. Toutefois, chaque cas est spécifique.

Mais quelque soit l’âge de l’enfant, la mise en place d’une résidence alternée doit respecter certains principes dont le rappel est utile.

2. Le rappel de certains principes.

La résidence alternée exige une proximité géographique des deux domiciles parentaux.

Une excellente communication, directe et spontanée entre les parents facilite la vie de l’enfant.

La transmission des informations médicales et scolaires doit se faire sans rétention.

L’enfant ne peut être le messager de l’un ou de l’autre.

Il faut éviter de solliciter de l’enfant des informations personnelles concernant l’autre parent.

Certaines règles communes de discipline sont utiles aussi.

Le dénigrement est destructeur. Remettre en cause l’autorité de l’autre parent est préjudiciable.

Il faut laisser à l’enfant la possibilité de parler à l’autre parent à chaque fois qu’il en éprouve la nécessité.

Il faut éviter de juger l’enfant ou de le désavouer.

La résidence alternée peut ne pas être d’un temps égal pour chaque parent. On sait que la qualité du temps passé avec l’enfant est plus importante que la quantité du temps passé.

3. Comment construire la résidence alternée ?

La résidence alternée peut résulter d’un accord négocié, construit progressivement ou d’un combat judiciaire de plusieurs mois, voire de plusieurs années, avec nombre d’audiences et d’enquêtes en tout genre.

La résidence alternée est fixée par le juge aux affaires familiales lors d’une audience de conciliation, d’un référé, d’une audience de mise en état ou lors de l’homologation d’une convention de divorce par consentement mutuel.

Les parents, ex-concubins, mariés mais séparés de fait, séparés de droit ou divorcés, peuvent aussi adopter la résidence alternée ou adapter les clauses de leur jugement sans intervention du juge. Ces cas « spontanés » de résidence alternée ne sont pas recensés par le ministère de la Justice. On sait qu’une certaine flexibilité est nécessaire pour nombre d’ adolescents.

Le juge peut procéder lui-même à l’audition de l’enfant ou des enfants d’une même fratrie ou déléguer l’audition à un enquêteur social.

Le juge peut ordonner une enquête médico psychologique ou psychiatrique s’il soupçonne un syndrome d’aliénation parentale ou des troubles du comportement rendant une résidence alternée inadaptée.

L’enfant ou l’adolescent n’est pas un adulte en miniature. Leur équilibre dépend de la coparentalité.

Mais parfois la parentalité a été difficilement construite du temps du couple.

Peut-on la construire après la séparation ?

Peut-on la renforcer après la séparation lorsqu’elle était faible avant ?

La résidence alternée est-elle un déclencheur de troubles, un facteur aggravant ou ne faut-il pas prendre en considération l’ensemble des interactions dans l’environnement de l’enfant ?

Un droit de visite et d’hébergement classique au sein d’une recomposition familiale problématique n’est-il pas aussi, voire plus dangereux qu’une résidence alternée, jeune enfant ou pas ?

Quels sont les dangers auxquels on expose l’enfant sciemment ou inconsciemment ?

Qu’est-ce que l’enfant serait devenu sans résidence alternée ?

Comment peut-on concilier l’alternance avec un droit de visite d’un tiers sur le fondement de l’article 371-4 du code civil ?

Un parent de substitution – concubin ou concubine - a remplacé le père ou la mère pendant quelques années. Une séparation suit. Un droit de visite et d’hébergement du tiers est-il compatible avec une résidence alternée exigeant déjà une grande organisation et absorbant beaucoup d’énergie ? Le tiers a-t-il une place ? Ne constitue-t-il pas une catégorie à part de figure d’attachement ?

Comment peut-on mesurer l’impact d’une résidence alternée, sans dialogue de sourd entre partisans et adversaires ?

Un environnement familial et social solide de l’enfant facilite beaucoup la mise en place d’une résidence alternée.

Autour de l’enfant, existe-t-il un étayage social, une parentalité déléguée, élargie, notamment avec les grands-parents, les oncles, les tantes, les voisines ?

Existait-il avant la résidence alternée une constellation familiale « portant » l’enfant et améliorant la prise en charge de l’enfant après la séparation ? Cette constellation familiale se poursuit-elle sans faillir ou s’est-elle dissoute ?

Un des critères d’évaluation de la résidence alternée est la réussite scolaire.

Un suivi scolaire correct semble être une présomption de bonne santé psychologique de l’enfant, avec des capacités d’adaptation et une concentration préservées.

Mais le critère de la réussite ou de l’échec scolaire est-il suffisant ou seulement un des critères d’appréciation ?

Autant de questions dont les réponses peuvent varier d’une situation familiale à l’autre.

4. Les troubles de l’enfant.

Comment repérer, quantifier et qualifier les troubles de l’enfant à l’occasion de la mise en place d’une résidence alternée ou lors de sa suppression, notamment lorsqu’un des parents s’éloigne géographiquement suite à une mutation ou à une expatriation ?

Peut-on imputer une situation pathologique à une résidence alternée alors que la genèse des difficultés de l’enfant peut-être fondamentalement la séparation ?

L’enfant peut exprimer des signes d’un mal être comme l’anxiété, la tristesse, la dépression, des troubles du sommeil, des modifications du comportement alimentaire, des difficultés scolaires, les absences, les transgressions, les comportements agressifs, la méfiance des adultes, un sentiment d’insécurité.

Les séquelles chez l’enfant peuvent être différées d’où une extrême vigilance à avoir.

Le juge aux affaires familiales ou un médiateur peut toujours être saisi dans l’hypothèse de difficultés rencontrées par l’enfant et de désaccords entre les parents.

La vie conjugale ou maritale des adultes est évolutive, soumise à nombre d’aléas. La vie de l’enfant et de l’adolescent en subit les conséquences. L’enjeu est de pouvoir réévaluer l’adéquation du mode de garde dans l’objectif de préserver un développement psycho affectif. Il conviendrait de disposer de plus de professionnels, enquêteurs sociaux, psychologues, pédopsychiatres.

On doit éviter de spéculer sur les capacités d’adaptation ou sur les facultés de résilience de l’enfant face à des situations de rupture traumatisantes, malheureusement répétitives dans la vie de certains parents.

Le ministère de la Justice doit compléter aussi ses statistiques en lançant des enquêtes visant à interroger les enfants devenus adultes, ayant connu la résidence alternée.

L’efficacité des acteurs du droit de la famille et des enfants exige aussi plus que jamais une transversalité des connaissances juridiques et médicales.

Une refonte complète de la formation des avocats d’enfants, en privilégiant justement cette transversalité, est à envisager.

La résidence alternée continuera de générer débats et polémiques. On observe aussi que de plus en plus d’enfants et d’adolescents optent pour un droit de visite et d’hébergement libre.
Le développement des nouvelles technologies (viber, skype…) aura un impact de plus en plus important sur l’organisation des familles et dans la vie des enfants.
Reste à préserver prioritairement l’intérêt de l’enfant et de l’adolescent. Une notion à géométrie variable, bien complexe, probablement au centre des polémiques.

Bibliographie :

L’enquête sociale devant le juge aux affaires familiales – le Village de la Justice - de Vincent Ricouleau
L’expertise médico-psychologique et psychiatrique devant le juge aux affaires familiales – Le Village de la Justice – de Vincent Ricouleau
L’audition de l’enfant devant le juge aux affaires familiales – Le Village de la Justice – de Vincent Ricouleau

Article 373-2-9 du code civil :
"En application des deux articles précédents, la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux. A la demande de l’un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l’enfant, le juge peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée. Au terme de celle-ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux. Lorsque la résidence de l’enfant est fixée au domicile de l’un des parents, le juge aux affaires familiales statue sur les modalités du droit de visite de l’autre parent. Ce droit de visite, lorsque l’intérêt de l’enfant le commande, peut être exercé dans un espace de rencontre désigné par le juge. Lorsque l’intérêt de l’enfant le commande, ou la remise directe de l’enfant à l’autre parent présente un danger pour l’un d’eux, le juge en organise les modalités pour qu’elle présente toutes les garanties nécessaires. Il peut prévoir qu’elle s’effectue dans un espace de rencontre qu’il désigne, ou avec l’assistance d’un tiers de confiance ou du représentant d’une personne morale qualifiée."

Psychopathologie de l’enfant de Marcelli D, Masson ;
Parentine Plan Evaluations Applied Rechearch for the Family Court (2012) Kathryn Kuehule, Leslie Drozd, Oxford University ;
Appréhender les temporalités de la résidence alternée de Benoît Hachet ;
L’enfant et la souffrance de la séparation de Maurice Berger, Dunod ;
Les enfants du divorce : psychologie de la séparation parentale de Gérard Poussin, Elisabeth Marin-lebrun, Dunod ;
Considérations particulières envers les nourrissons et les tout petits lors de la séparation ou du divorce : questions développementales dans le contexte du droit de la famille de Jennifer E MC Intosh La Trobe University Australie ;
La résidence alternée, panacée ou pis-aller, AJ Fam, 2015, 213, Bruno Ancel ;
Overnight care patterns and psycho-emotional development in infants and young children – In McMc Intosh J, Smyth B, Kelaher M, Wells Y. Long, eds – Post separation parenting arrangements and developemental outcomes for children – Collected reports – Report to the Australian Government – Attorney General ‘s department Canberra, 2010 ;
The place of disorganization in attachment theory In Solomon J, George C, eds ; Attachment disorganization – New York Guilford Press, 1999 ;
Société canadienne de pédiatrie ;
Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ;
Legi Globe – Résidence alternée de l’enfant Développement socio-affectif des enfants en résidence alternée, une approche écosystémique : conduites intériorisées et extériorisées et qualité de vie des enfants de 4 à 12 ans en résidence alternée de Amandine Baude ;
Ministère de la justice – Pôle d’évaluation de la justice civile – La résidence des enfants de parents séparés – De la demande des parents à la décision du juge ;
La résidence alternée chez les enfants de moins de 6 ans, une situation à hauts risques psychiques, de Maurice Berger, Albert Giconne, Nicole Guedeney, Hana Rottman ;
Divorce, séparation, les enfants sont-ils protégés de Jacqueline Phélip et Maurice Berger.


Avertissement de la Rédaction du Village de la Justice :
Le concept du "Syndrome d’aliénation parentale" fait l’objet de controverses. Il ne fait à ce jour l’objet d’aucun fondement scientifique - mais à l’inverse il n’est pas interdit et est utilisé dans de nombreux dossiers juridiques.
L’expression et l’usage du concept sont fortement déconseillés au niveau européen (https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0406_FR.html), étudiée au niveau français avec une note d’information mise en ligne sur le site intranet de la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice pour informer les magistrats du caractère controversé et non reconnu du syndrome d’aliénation parentale). Note introuvable à notre connaissance (voir à ce sujet : https://www.senat.fr/questions/base/2017/qSEQ171202674.html ).
Les enjeux sont multiples et nous semblent devoir être tranchés par une autorité publique.
Dans l’attente de clarification, nous vous invitons à prendre avec grandes précautions cette expression qui est ici employée sous la seule responsabilité de l’auteur.

Vincent Ricouleau Professeur de droit -Vietnam - Titulaire du CAPA - Expert en formation pour Avocats Sans Frontières - Titulaire du DU de Psychiatrie (Paris 5), du DU de Traumatismes Crâniens des enfants et des adolescents (Paris 6), du DU d\\'évaluation des traumatisés crâniens, (Versailles) et du DU de prise en charge des urgences médico-chirurgicales (Paris 5)

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).

Comentaires: